Éléments obligatoires dans l'histoire : une forêt - un.e sorcier.ère - revoit un ancien amour.

Amour impossible

Depuis qu’il avait quitté sa terre natale pour migrer dans une grande ville, Adam n’a jamais songé à y remettre les pieds. Ingénieur en informatique, il avait décroché ses diplômes comme n’importe quel humain aurait pu le faire. Maintenant, il exerçait sa profession dans un cadre sympathique, où la bienveillance régnait parmi le personnel.

Quatre ans s’étaient écoulés depuis son entretien d’embauche, dans ce qui est devenue sa future entreprise. Alors qu’il manquait cruellement de confiance en lui, le directeur l’avait reçu en personne dans son bureau, aggravant encore plus son malaise. Avec son costume et sa cravate trop serrée, Adam peinait à trouver les bons mots. À se faire valoir et à convaincre d’être le candidat idéal. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Mais dès le lendemain, le directeur l’avait rappelé à neuf heures, alors qu’il était encore au lit. Adam avait senti l’excitation l’envahir en apprenant qu’il avait le poste. L’annonce lui avait provoqué le même effet qu’une montée d’adrénaline. Le directeur l’attendait quarante-huit heures plus tard dans les locaux de l’entreprise pour son premier jour.

Adam s’était apprêté. Il avait hésité entre plusieurs chemises, essayé différents manteaux, passé du temps à cirer parfaitement ses chaussures jusqu’à ce qu’elles brillent. Il voulait être parfait, et que son humanité soit incontestable. Durant ses années d’études, il avait pu observer et apprendre à se fondre dans la masse. Alors, il ne lui restait plus qu’à prouver qu’il avait retenu tout ce qu’il avait appris. Si personne ne se doutait de quoi que ce soit, alors il aurait gagné son pari.

Aussi surprenant soit-il, aucun de ses collègues ne s’aperçut de sa différence. Ils le traitaient comme tous les autres, et avaient même noué rapidement des bonnes relations. Certains sont devenus ses amis en un temps record. Pourtant des amis, il n’en comptait que très peu. Surtout depuis qu’il avait fui les siens. Il avait l’impression que ce jour remontait à une éternité.

Quand il a pris son sac et traversé la forêt pour se jeter dans l’inconnu. Laissant sa vie et sa véritable nature dans ce lieu duquel il s’éloignait, pas après pas.

Chaque matin, en se préparant pour aller travailler, Adam s’observait dans le miroir. Il avait les yeux gris, des cheveux bruns coiffés en un man bun, tout en laissant ses pointes libres. Depuis qu’il avait commencé à laisser pousser sa barbe, ça lui rajoutait encore plus de charme. En tout cas, c’est ce que disait la gent féminine, qui le trouvait très agréable à regarder.

Mais alors qu’il avait un jour de repos, et que neuf ans étaient passés depuis qu’il avait quitté ses terres, il avait senti ce besoin d’y retourner. Un besoin viscéral, qu’il n’arrivait pas à s’expliquer.

Alors il avait activé son alarme pour se réveiller tôt, très tôt. Cinq heures du matin. Le temps de se doucher, d’avaler un café et une orange, et d’enfiler sa tenue. En ce jour spécial, il avait troqué son costume-cravate pour une tenue beaucoup plus fantaisiste, avec une note médiévale.

Il s’était choisi un chemisier blanc, aux manches élastiquées au niveau des poignets, donnant un effet bouffant. Un laçage sur le devant avec une large ceinture autour de sa taille lui donnant fière allure. Une longue cape à capuche en lin, bleu marine à l’extérieur et rouge vif à l’intérieur, l’empêchait d’avoir froid. Un pantalon noir et des chaussures confortables lui permettaient de marcher confortablement dans la forêt. Les arbres y étaient nombreux, l’odeur de la terre humide avec les récentes pluies emplissait ses narines. Ça faisait trop longtemps qu’il n’avait pas senti ce parfum issu tout droit de la nature. Les feuilles s’accrochaient aux arbres, pour ne pas tomber avec le début de l’automne. Les doux chants des oiseaux parvenaient à ses oreilles, comme une caresse.

Il prit le temps de faire une pause, pour s’agenouiller et saisir la terre à pleine main. Le contact lui donna le sourire. Toutes ces sensations réveillaient un millier de souvenirs en lui. De bons souvenirs. Ceux d’une enfance heureuse, au milieu d’une famille aimante et dévouée.

Un craquement l’alerta, quelqu’un d’autre marchait non loin. Ne tenant pas à rencontrer quelqu’un, il se recula pour se réfugier derrière un large tronc qui le cachait entièrement. C’est là qu’un effluve chyprée vola jusqu’à lui et raviva les battements de son cœur. Se pouvait-il que ce fût elle ? Non, le destin ne pouvait pas leur faire ça. Lui faire ça. Un chantonnement mélodieux s’approchait de lui. Il reconnut immédiatement sa voix. Comme pour se cacher un peu plus, il rabattit sa capuche sur sa tête et ferma les yeux. Pas elle. Pas maintenant.

D’un coup, il n’y eut plus aucun bruit. Elle devait s’être immobilisée, et ne lâchait plus le moindre son. Avait-elle perçu sa présence ? Reconnu son odeur ? Entendu qu’il était là ?

Incapable d’exercer le moindre mouvement, Adam respirait vite. Les battements de son cœur ne se calmaient pas. Revenait-elle ici souvent ? Ou juste aujourd’hui, comme par hasard ?

Toujours à l’abri, il sourit en se remémorant les meilleurs moments qu’ils avaient vécus ensemble. Ils se connaissaient depuis toujours. Adam l’avait toujours trouvée magnifique. Rien que son prénom les prédestinait à vivre ensemble. Ève et lui étaient inséparables. Jusqu’à ce que les pouvoirs d’Adam commencent à se manifester. Désormais, il n’y avait plus aucun doute c’était un sorcier. La magie le transcendait, petit à petit. Elle prenait de plus en plus de place. Et alors qu’ils avaient déjà entamé une belle histoire tous les deux, Ève découvrit également sa véritable nature. Une tragédie. La jeune adolescente apprit qu’elle était un démon. Un succube. Alors que ça aurait dû les séparer instantanément, ce fut le contraire qui se produisit. Sachant que leur idylle ne pourrait durer encore longtemps, ils firent le choix d’en profiter un maximum. Passant tout leur temps ensemble et ne se séparant plus jamais. Chacun connaissait l’autre mieux que lui-même. Puis arriva ce jour fatidique. Celui où les deux amants durent se dire adieu. Ça avait été un déchirement. Eve était rongée par la culpabilité, se sentant responsable de leur amour impossible. Adam avait l’impression qu’on lui arrachait le cœur, laissant une plaie béante, impossible à cicatriser. Ils s’étaient enlacés, longtemps, très longtemps. Il avait caressé ses longs cheveux flamboyants, en essayant de la consoler. Eve pleurait silencieusement sur son épaule. Elle y avait niché son visage, en imaginant qu’elle y resterait éternellement. Dans ses bras, elle se sentait en sécurité. À sa place. Pourquoi la vie était-elle si injuste ? Pourquoi un succube ? Pourquoi devait-elle être un démon ? À ses yeux, Adam n’était pas seulement un sorcier, il était surtout un ange. Il ne lui manquait que les ailes à plumes blanches.

Pour essayer de rendre leur séparation moins difficile, il avait décidé de partir. De quitter ses terres et de changer radicalement de vie. Pour ça, il décida de ne plus utiliser sa magie. De renier tous ses pouvoirs et d’enfouir ce qu’il était au fond de lui. Alors qu’il avait eu l’occasion de faire des rencontres, jamais il n’avait pu oublier Ève. Aucune femme n’arrivait à l’effacer. Il gardait toujours en tête son regard doré, ses grands yeux en amande. Il se souvenait de la douceur de sa peau. Du contour de ses formes. De tout le bien qui émanait d’elle. Mais il savait qu’un jour son pouvoir prendrait le pas sur le reste. Qu’elle deviendrait un monstre.

À l’arrière du tronc d’arbre, Adam gardait les yeux fermés et les poings crispés, en espérant qu’elle allait simplement faire demi-tour. Qu’il s’imaginait trop de choses, mais qu’elle n’avait pas ressenti sa présence. Peut-être même qu’elle était déjà repartie et qu’il se faisait un film en restant caché.

Après avoir attendu un certain temps, il se préparait à quitter sa cachette. Il ne percevait plus personne. Les piaillements des oiseaux redonnaient vie à la forêt. Il pivota et jeta un regard aux alentours. La zone était libre. Malgré tout, il lui semblait plus prudent de ne pas s’aventurer plus loin. Même s’il regrettait déjà de partir aussi vite, alors qu’il voulait passer au moins la journée ici, il revint sur ses pas, jusqu’à ressortir de la forêt et regagner le bord de la route.

Entre deux châtaigniers, Eve observait la silhouette sortie de sa cachette. Elle ne rêvait pas. Son esprit ne lui jouait pas un mauvais tour. Il était là. C’était bien lui. Jamais elle n’aurait cru le revoir. Surtout après autant d’années. Qu’est-ce qui l’avait ramené ici ?

En se posant un millier de questions, elle ne pouvait s’empêcher de sentir son cœur palpiter plus fort en le voyant. Il était toujours aussi beau, bien que légèrement différent. Il avait une barbe qui le rendait encore plus désirable. De loin elle n’avait pas vu ses yeux, mais elle supposait que son regard était le même que durant leur adolescence. Aussi gris que bienveillant.

Agenouillée entre les arbres, elle retenait son pouvoir le plus possible pour qu’il ne la détecte pas. Ainsi, elle pouvait profiter de cet instant, et le regarder.

Quand il exécuta un demi-tour et repartit dans l’autre sens, elle sentit sa poitrine se serrer et son souffle devenir irrégulier. Elle devait le retenir. Elle voulait qu’il sache qu’elle l’avait vu. Lui dire qu’il lui manquait et qu’elle pensait à lui chaque jour. Que, depuis son départ, elle restait seule. Elle vivait en solitaire, pour ne pas avoir à utiliser le pouvoir qu’elle considérait comme une malédiction. Elle avait toujours renié ce qu’elle était, et continuerait pendant très longtemps. Il lui paraissait impossible que quelqu’un d’autre prenne sa place dans son cœur. Elle se battrait pour qu’il reste le seul et unique amour de sa vie.

Sur le point de bouger pour dire son prénom, une force étrange l’en empêcha. Parce qu’elle savait qu’elle ne devait pas céder à cette pulsion. Le croiser aujourd’hui était déjà une chance immense. Il ne fallait pas abuser.

Baissant les yeux, elle attendit qu’il fût suffisamment éloigné pour se relever. Les yeux brillants de larmes, elle sentait qu’il savait. Il l’avait ressenti, et s’était caché pour qu’elle ne le voie pas. Lui aussi savait qu’ils ne devaient pas prendre le risque de se revoir. De reparler ensemble. Si leurs regards se croisaient, qui sait ce qui se passerait ensuite…

Dans sa robe de coton blanc, elle rejeta sa chevelure de feux en arrière et repartit à son tour d’où elle venait.

Chacun sur leur chemin, ils pensaient à cette balade dans la forêt. À cet appel qui les y a menés, aujourd’hui précisément. Visiblement, le destin n’en avait pas terminé avec eux. Aujourd’hui encore, ils prenaient des routes différentes. Poursuivaient leur choix de vie. En agissant ainsi, ils préservaient aussi cet amour qu’ils éprouvaient toujours l’un pour l’autre. Et aussi longtemps qu’ils le pourraient, ils continueraient sur cette voie. Chacun pensant à l’autre, chaque jour au réveil. Rêvant de leur passé et du futur qu’il leur était interdit, durant toutes les nuits. Ils ne pourraient jamais être ensemble. Ils ne se retrouveraient pas. Mais chacun prenait soin d’entretenir la flamme qui brûlait en eux. Ils alimentaient le feu, en y jetant toujours plus de bois. Et s’ils ne pouvaient faire que ça, éternellement, ils l’acceptaient.

Couverture créée sur Canva.

Idée d'exercice, trouvée ici : https://www.instagram.com/p/DAu7laQNXd7/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA==