Clair Sapin
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Clair Sapin
Concours de nouvelles Librinova (parrain Bernard Minier)
Nuit
Pleine lune, le bateau se balançait sous les étoiles. Comme chaque nuit d’insomnie, Yves venait au bord du Lac Blanc pour parler à sa femme, dont les cendres avaient été dispersées des années auparavant près du rocher Hans. Ce conducteur de bus, proche de la soixantaine, devenu solitaire depuis le décès de son épouse, restait soufflé d’étonnement : que faisait ce bateau sur le lac ? Il le distinguait nettement de la plage grâce à l’intensité du clair de lune.
En tout cas, cette embarcation n’appartenait pas à quelqu’un du coin : tout le monde ici connaissait la dangerosité mais aussi la vétusté du barrage. Et puis, beaucoup de légendes autour du lac Blanc faisaient frémir les jeunes, surtout lorsque c’était Jean-Pierre qui les racontait.
Jean-Pierre, c’était ce personnage détonnant qu’on rencontre dans chaque village de montagne, qui connaît les environs comme sa poche et qui transmet le folklore vosgien comme personne. Ce grand gaillard grisonnant, seul véritable ami de Yves, n’avait pas son pareil pour que tout le monde soit suspendu à ses lèvres. C’était d’ailleurs un avantage dans son métier puisqu’il n'était autre que le directeur du centre de vacances « Clair Sapin ».
Le regard d’Yves restait scotché au bateau, ne sachant quelle option serait la plus juste à cette heure de la nuit : quitter le lac et cet étrange bateau pour attendre demain matin qu’un autre quidam s’empare du problème, rejoindre Jean-Pierre à Clair Sapin et lui expliquer ce qu’il avait vu, ou bien prendre son courage à deux mains pour sortir l’équipement de plongée qui ne quittait jamais le coffre de sa Jetta et aller voir au plus près ce qui se tramait près du barrage. Il n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps : une ombre s’approcha de lui et vint l’assommer d’un grand coup de râ de sapin.
Veille
"A demain Astrid ! T’as de la chance, tu te prendras pas de rincée aujourd’hui et normalement pas demain non plus ! Pendant que Jo et moi on va se farcir les pieux et le ménage, toi tu vas bassoter à la capitale, petite Parigote, va ! Faudra pas oublier les marmots à la gare quand même !
-Mike, tu devrais aller vérifier la pharmacie, c’est plus important que de te taper la discute comme si t’avais qu’ça à faire ! balança Jo, la mine faussement contrariée.
Jean-Pierre, en bon observateur, regardait et écoutait ses trois animateurs, en attendant impatiemment la réponse de son protégé.
"Eh, je suis pas en train de mamailler, je bosse grande gueniche ! fit Mike en lançant un petit clin d’œil en direction de Jean-Pierre. Ce dernier partit d’un rire franc et caverneux."
Cet accent à couper aux couteaux et son lexique étrange, Mike en avait hérité de son enfance passée en Moselle, vivotant de foyers en familles d’accueil. Jusqu’à ce qu’il trouve un vrai foyer au lac Blanc. A Clair Sapin, on avait l’habitude des chamailleries entre Jo et Mike. Astrid les soupçonnait d’ailleurs d’être amoureux mais pour l’instant l’amitié entre les trois comparses était plus forte.
Astrid écouta ses deux camarades continuer à se disputer gentiment, tout en observant le ciel bleu sans nuage et dit :
"Prends pas trop la tête à Jo demain matin et aide-la vraiment à refaire les lits dans les dortoirs, OK ? Elle n’est pas sensée se taper tout le boulot pendant que Jean-Pierre et toi vous vous prélassez sur la terrasse face à cette vue de dingue !"
Et Astrid montra du menton l’étendue d’eau qui s’offrait à leurs regards. C’est vrai que le lac Blanc était l’un des lacs les plus beaux et certainement le plus sauvage des hautes Vosges. Le soleil déposait ses rayons à la surface de l’eau, et c’était comme des milliards de diamants qui brillaient, étincelaient ! Les rochers blancs qui le bordaient et dont le fond était également couvert lui donnaient cette couleur blanche scintillante. Extraordinaire de beauté et d’élégance ! En plus, cet endroit restait préservé : à part des sapins, des roches et la colonie, Il n’y avait rien autour. Le village se trouvait en contrebas, et la grande majorité des touristes délaissait la randonnée autour du lac pour faire du pédalo et du shopping vers Gérardmer et son lac touristique.
Astrid regarda sa montre, vit qu’elle était en retard pour tout ce qui lui restait à faire avant le départ du TGV à Epinal. Alors elle cria à la petite bande « A demain ! » puis sans attendre leur réponse, alla s’engouffrer fissa dans sa R21, en déposant délicatement son sac à dos sur le siège passager. Ce tout petit bout de femme de 1,60m dans cette bagnole immense, c’était bizarre mais ça avait du style ! Elle démarra et laissa derrière elle une trainée de poussière et de fumée avant de disparaître au premier virage.
La jeune fille était pressée de quitter le centre de vacances car elle avait un rendez-vous important avant de rejoindre la gare d’Epinal. Astrid se pressa pour arriver à temps au refuge des Trois Fours : c’était dans cet endroit reculé qu’elle devait rencontrer Monsieur Rouyer, le conservateur des monuments historiques de Meuse.
En effet, Astrid pensait être en possession d’un objet recherché depuis plus de deux siècles par les historiens férus d’art : la boîte contenant le cœur momifié du Transi ! Elle l’avait trouvée après de longues heures de fouilles autour du rocher Hans, au lac Blanc ! Drôle de coïncidence tout de même ! C’était en recoupant l’ensemble de ses recherches effectuées depuis des mois qu’elle avait pu trouver cet objet inestimable. D’ailleurs, son professeur d’histoire à la Sorbonne, Monsieur Vilard, l’avait pas mal épaulée. Quelle fierté si le conservateur confirmait l’authenticité du réceptacle !
Tout à ses pensées, elle arriva au Trois Fours. Elle gara la R21 près de la petite route, serra le frein main, puis se hissa hors de l’habitacle, sac à dos en bandoulière sur l’épaule. Il lui sembla entendre des éclats de voix provenant de l’appentis mitoyen au refuge. Instinctivement, elle courut se cacher derrière les stères de bois entassés à l’arrière du bâtiment, et tendit l’oreille pour comprendre ce qui se disait.
"… aucun droit…appartient à ma famille ! … vente aux enchères au marché de l’art !
-Monsieur, … votre identité ? Le cœur… patrimoine culturel !"
Astrid comprit que sa découverte n’était pas restée secrète : le soi-disant descendant de Ligier Richier voulait apparemment récupérer le cœur, mais Rouyer voulait une preuve du lien de parenté. Qui avait pu la trahir? Elle n’ avait parlé de ses recherches qu’à deux personnes : le conservateur et son professeur. Elle longea le tas de bois pour se rapprocher des voix, et en entendit une troisième qu’elle reconnut immédiatement : Monsieur Vilard, son professeur d’histoire de l’art !
"Qu’est-ce que tu fous Richard ? La voiture de la gamine est garée près de la route, elle est dans le coin ! Faut la retrouver vite fait et lui reprendre le réceptacle !
-Va lui crever les pneus, elle ne pourra pas redémarrer. Elle ne doit pas nous échapper ! hurla le soi-disant descendant de Ligier Richier."
Les battements de cœur d’Astrid tapaient fort au travers de sa cage thoracique et ça remontait jusqu’aux tympans. Elle resta tétanisée quelques secondes, puis des bruits inquiétants venant de l’appentis la firent sortir de sa torpeur et réfléchir avec rapidité. Grâce à Jo, elle connaissait le sentier des Roches et le chemin des crêtes, ce parcours escarpé pouvait la ramener à Clair Sapin. Elle en aurait pour sept, huit heures de marche au vu du périple. Il faudrait qu’elle détale très vite pour rejoindre le chemin de randonnée sans se faire repérer. Personne en vue. C’était maintenant ou jamais ! Elle courut au travers les pieds de myrtilliers pendant ce qui lui parut une éternité, sans se retourner.
Elle rattrapa le sentier des Roches et ne ralentit le rythme qu’une fois arrivée aux escaliers du rocher. Ceux-là étaient impraticables en courant, il fallait se maintenir à une rampe cordée, se coller à la paroi de la roche pour ne pas tomber. Rester concentrée, ne pas penser à ce qu’il était advenu de Monsieur Rouyer, marcher pour se rapprocher du lac Blanc, puis mettre le cœur à l’abri des envieux. Cette volonté ne la quitta pas jusqu’au parking du Tremplin.
Elle venait de parcourir huit kilomètres en deux heures et demi, ce qui était un véritable exploit vu la difficulté. Elle n’avait croisé que quelques randonneurs itinérants, et elle n’était pas suivie. Elle se posa sur une grume afin de recouvrer ses esprits et boire le contenu de sa bouteille d’eau. Astrid entendit le moteur d’un véhicule, elle sauta derrière la grume pour se cacher. Fausse alerte, juste un camping-car de touristes hollandais. Elle déguerpit pour rejoindre le chemin des quatre lacs. Entre gazon naturel, chemins faits de terre et d’épines de sapins, sentiers rocailleux escarpés, Astrid avançait quand même rapidement : elle se trouvait sur le chemin des crêtes qui la mènerait au lac Blanc.
Malgré la fatigue et la faim, elle ne ralentissait pas le rythme. A chaque source ou fontaine, elle se désaltérait, mettait de l’eau sur son visage et ses cheveux, et tamponnait sa nuque pour rafraîchir son corps. La nuit était tombée depuis un certain temps lorsqu’elle arriva à la source du lac Blanc. Sa montre indiquait minuit moins le quart. Heureusement, c’était une nuit de pleine lune car son sac à dos ne contenait pas de lampe de poche et il lui restait au minimum une heure avant d’arriver à la colonie et raconter son étrange aventure à ses chers amis et surtout leur demander de l’aide.
Rapprochement
Alors que son excursion forcée touchait à sa fin, Astrid entendit un bruit de moteur et vit une voiture se garer près du lac Blanc. Sa peur, qui l’avait un peu lâchée ces dernières heures, revint en force. C’était ses poursuivants, elle en était sûre. Alors, elle agit en mode automatique : elle pensa au bateau qu’elle et ses deux amis avaient planqué près du barrage du lac Blanc. Cela ferait une bonne cache pour le cœur, alors elle s’y rendit. Depuis toutes ces années le bateau n’avait pas bougé. Une vieille lampe de poche, des couvertures estampillées du logo de Clair Sapin, des épines et des cocottes de sapin jonchaient le plancher de la petite embarcation. Tandis qu’elle posait son sac à dos en-dessous des couvertures, elle se munit d’une branche, se dirigea vers la plage du lac Blanc en la contournant. Un homme était sorti de la voiture, il se trouvait là, immobile, au bord du lac, pensif. Ne tenant que par les nerfs, à bout de souffle et terrorisée, elle vint se positionner juste derrière l’individu et le frappa de toutes ses dernières forces avec son râ de sapin.
Astrid, transie de peur et suant à grosses gouttes, cacha sa branche entre deux gros rochers, un peu plus loin. Elle revint sur ses pas pour vérifier le pouls de l’homme inanimé. Il respirait…Tant mieux, elle ne voulait pas d’une mort sur la conscience ! Elle se rapprocha du visage de l’homme et là… Mais non ! Ce n’était pas possible ! Elle n’avait plus les idées claires : elle venait de confondre Yves avec ses hypothétiques poursuivants…
Mais comment avait-elle été aussi bête pour ne pas vérifier la marque de la voiture sur le parking du lac Blanc ? Elle aurait reconnu la Jetta d’Yves ! Jamais elle n'avait voulu lui faire de mal ! Elle était fatiguée, son esprit et ses idées s’embrouillaient. Elle n’avait rien dans le cornet depuis la veille et pour la première fois depuis le début de son escapade, elle se sentait démunie et sans force … Ses yeux s’embuèrent et elle pleura à chaudes larmes, là, au bord du lac Blanc, à côté d’Yves, inconscient. Elle était dépassée par les évènements. Elle avait besoin d’aide maintenant ! D’autant plus qu’en séchant ses larmes, elle vit son bateau voguer près du barrage ! Comment allait-elle faire pour récupérer ce qu’il contenait ?
Dénouement
Astrid rejoignit Clair Sapin en laissant Yves à contre cœur sans surveillance. Elle alla directement vers les chambres de ses amis. Elle tapa aux volets en bois mais c’est de la terrasse qu’elle entendit la voix endormie de Mike :
"Jo ? Astrid ? C’est vous ?
- C’est moi, c’est Astrid, répondit-elle. Je suis tellement contente de te voir Mike !
- Et moi donc !"
Mike s’approcha de son amie et l’entoura de ses bras réconfortants.
"On rentre ? Ça commence à cailler."
Et tout en se dirigeant vers l’entrée du bâtiment, Mike s’expliqua :
"Je devais monter la garde devant le centre cette nuit, mais comme un con je me suis endormi et j’ai pioncé sur le transat jusqu’à ce que tu tapes aux volets! Et dire que JP comptait sur moi pour vous accueillir Jo et toi ! Je mériterais des torgnoles !
-Attends, attends, attends là ! Je comprends rien ! Comment tu sais que je n’ai pas quitté les Vosges ? Et pourquoi Jean-Pierre t’a demandé de nous attendre, Jo et moi ? demanda Astrid, complètement ahurie.
-Ben, figure-toi qu’on est tous sur les dents depuis hier soir. Ton conservateur, après avoir été passé à tabac par le faux descendant de Ligier Richier …
-C’était un imposteur alors ? Monsieur Rouyer s’en doutait … le coupa Astrid.
-Une saloperie d’imposteur, oui ! Donc, ton conservateur a fait du stop depuis les Trois Fours. C’est des touristes en camping-car qui l’ont aidé. Vu la gueule de ton gars, ils ont eu la confiance les hollandais : complètement déchnaillé, la tête en sang, il faisait peur à voir ! Il nous a expliqué ce qui s’était passé au refuge. Et là, branle-bas de combat à Clair Sapin. JP nous a donné à chacun une mission : Jo devait te rejoindre sur le chemin des Crêtes pour t’aider et t’expliquer la situation, je suppose qu’elle ne doit pas être bien loin à cette heure-ci. JP et Monsieur Rouyer sont allés jouer les détectives afin de chopper ton pourri de prof et l’imposteur. Et moi, je devais attendre ici, aux aguets ! Et je me suis endormi ! se désola Mike."
C’est à cet instant qu’on entendit la grosse voix de Jean-Pierre retentir à l’extérieur.
"Mike, t’es là ? Et les filles, elles sont arrivées ?"
Astrid et Mike se précipitèrent dehors. Au grand soulagement d’Astrid, Jean-Pierre et Monsieur Rouyer soutenaient Yves. Il était conscient !
"Comment tu vas Astrid ?"
Et sans attendre sa réponse, Jean-Pierre ajouta :
"Et où est Jo nom de dieu ?! s’inquiéta-t-il."
Une voix retentit alors en contrebas :
"Astrid, dis-moi que le cœur du Transi n’est pas dans notre vieux bateau qui dérive sur le lac en ce moment ?"
C’était Jo ! Tout le monde était soulagé de se retrouver, à peu près sains et saufs. Et malgré la fatigue et la faim qui tenaillait les estomacs, on voulait recouper les parties du puzzle qui manquait à chacun. On s’installa donc autour du feu comme lors des veillées, et Jean-Pierre commença son récit en posant une main fraternelle sur l’épaule du conservateur :
"Nous, on a réussi à retrouver les deux guignols, ou plutôt leur bagnole : cette dernière s’est encastrée dans un sapin sur la route qui mène à Longemer ! Les deux bouffons vont s’en tirer avec quelques contusions. Les gendarmes de Gérardmer attendent leur rétablissement de pied ferme !
- On t’a connu plus loquace que ça Jean-Pierre ! se permit Jo."
Et tout le monde se mit à rire de bon cœur. Puis comme personne ne prenait la parole, Astrid se lança :
" Tout a commencé à cause d’un coup de cœur pour la sculpture du Transi de Ligier Richier…
FIN