Les vacances
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Les vacances
Chère M,
Tout comme vous, dès octobre, les retraités de notre proche environnement nous racontent les itinéraires de leurs déplacements estivaux. Nous visitons ainsi les rivages de la Baltique, les lacs de Mazurie, les massifs des Sudètes ou des Carpates, les fjords norvégiens, la Bulgarie, les pyramides d’Égypte et, je cite : « la Toscane, parce que la France c’est tellement beau » ... si, si, je n’invente pas. Nous, nous poussons des oh et des ah entendus, nous leur posons des questions sur le temps qu’il a fait, sur les spécialités locales, etc. histoire de retarder l’inévitable question : « Et, vous qu’avez-vous fait ? » A quoi nous répondons « Dzieckowice beach. » Dzieckowice est le lac tout près de chez nous où nous aimons tremper du fil. Et là un ange passe. Bozena et moi nous nous bidonnons en douce. Pour ne pas prolonger le malaise nous relançons : « Et la santé ? »
Et là, c’est parti mon kiki ! Nous savons tout de leurs entrailles, des analyses de leurs fluides corporels (et pas seulement des fluides), des bons médecins spécialistes et des moins bons, des bons ostéopathes et des arnaqueurs. Nous savons tout de leur pilulier, des centres de thalasso où l’on mange bien. Et nous, faux-culs, nous faisons des mines contrites, des grimaces de douleur, comme si nous vivions leurs malheurs dans notre chair.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les gens en général et les vieux en particulier s’empressent tant de tuer le peu de temps qu’il leur reste. Délivrés des contraintes professionnelles et parentales ils courent partout : au yoga, à la mer, à la montagne, à l’autre bout du monde. Débarrassés de leurs enfants, ils s’embarrassent de leurs petits enfants. Que leurs enfants cherchent à leur refourguer leur progéniture, soit. Mais que les vieux en redemande … ? Un chant du cygne, peut-être ?
Nous, ce temps nous ne lui voulons aucun mal. Nous l’avons même apprivoisé. Lorsque je peaufine la traduction d’un poème ou que je retouche une photo, il s’installe sur mes genoux, se met en boule et s’endort. Il aime le cliquetis du clavier de mon ordinateur, ça l’apaise, ça le berce.
Pour apprivoiser le temps il faut de l’application. De l’application, au sens d’attention, de soin. Elle concerne tous les gestes de la journée. Faire un bon café, le servir dans une tasse en porcelaine fine, une sous-tasse et quelques éclats de chocolat amer. En cuisine invoquer Jean-François Piège et son regard ardent ou Alain Passard et sa passion contagieuse. Leurs gestes précis, la simplicité et la justesse de leurs conseils.
Revenons aux vacances : nous aussi nous avons essayé. Si, si, je t’assure. C’est cher, fatigant, inconfortable, agaçant, on y mange et boit bien moins bien que chez soi et les gens que l’on rencontre sont tout aussi inintéressants que ceux que l’on a pour voisins. Comme nous n’avons ni besoin de nous distraire du lieu où nous habitons, ni de nos activités habituelles, ni même l’un de l’autre, nous restons chez nous, en tête-à-tête ou avec nos chiens, la fraîcheur de notre jardin, nos cocottes en fonte, nos appareils photo, nos cannes à pêche, nos livres, nos disques et nos ordinateurs.
Malgré tout, nous avions prévu de partir une semaine au bord de la Baltique, fin mai. La mort de mon beau-frère et nos deux voyages dans le nord du pays ont modifié nos plans. En octobre nous envisagions de passer une semaine au Touquet (côte d’opale, baie de Somme). Ces deux impulsions étaient motivées par un besoin d’horizontalité. Ici, nous vivons dans un monde vertical. Verticalité des paysages urbains et des forêts. C’est comme un code à barres. La plage, la mer, le ciel, … c’est comme du papier à musique. J’imaginais déjà tout le parti photographique que nous nous pourrions en tirer. J’avais, en prévision, acheté des filtres gris neutre pour faire des photos en pose longue, saisir la trace laiteuse des vagues et la course effilochée des nuages. L’envie nous a passé.
Tu me demandes quelle est la bonne adresse mail. Les trois mon capitaine ! En revanche, cette fois, ton mail n’est parvenu qu’à la première, pas aux deux autres. Faut pas chercher à comprendre.
Je t’embrasse,
J
- Photo d’entête : Aline Ziemniak
Bernard Ducosson 2 anni fa
Facile à lire, limpide, on s'y croirait !
Julien Ziemniak 2 anni fa
Merci beaucoup.