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Juillet - 2

Juillet - 2

Pubblicato 19 ago 2023 Aggiornato 19 ago 2023 Cultura
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Juillet - 2

« Eh bien, je crois que nous n’avions pas terminé notre conversation la fois dernière. Et je vous sentais prêt à partir sans même que nous ayons eu le temps de reprendre notre échange. C’est sans doute la dernière fois que je viens à Paris, que je vous vois.

- C’est-à-dire que Lisbonne... »

Isidore esquissa cette excuse avec une gêne palpable.

« Je ne vous retiendrai pas outre mesure. Toutefois, j’aurais aimé en savoir plus sur la jeune femme druze que vous avez fréquentée. Voyez-vous, il n’y en a pas eu tant que cela à être partie. Surtout des femmes d’Aley, si c’est bien de cette ville dont elle faisait partie. Nous avons sensiblement le même âge tous les deux : il n’est pas impossible que je l’ai connue avant son départ. Il n’est pas impossible non plus que je l’ai vue ou croisée après son retour. Vous aviez l’air très affectée par votre séparation – je ne veux pas insister trop lourdement là-dessus – et je me disais que je pourrais vous apporter des réponses, si vous le souhaitez. »

Isidore ne s’attendait pas à une question aussi directe sur son passé. Il allait partir à Lisbonne dans trois heures avec la femme qu’il aimait et Hakim le ramenait brutalement vingt ans en arrière en lui proposant de faire le pont entre ces deux époques irréconciliables. Qu’était devenue Amal Tannoukhi ? C’était la seule question valable. Pendant toutes ces années, il avait imaginé mille scénarios, mille vies, mille parcours pour celle qu’il avait aimée passionnément. Elle avait un tempérament de méditerranéenne, fière, orgueilleuse même, riant facilement, n’hésitant pas à railler les défauts d’Isidore, mais aussi capable de s’abandonner complètement entre les mains d’Isidore, de lui donner les clés de sa vie et de le suivre aveuglément où qu’il aille. Vu qu’il n’allait jamais bien loin, le risque était mesuré, sauf cette fois où ils allèrent en Bretagne, en faisant du stop. Amal n’avait jamais pratiqué le stop et Isidore ne l’avait fait qu’une fois entre Valogne et Saint-Vaast-la-Hougue, l’été de ses 17 ans, après avoir raté le bus qui l’emmenait au centre de vacances. Mais ils s’étaient bien amusés au final. Qu’était-elle devenue ? Aujourd’hui, cela n’avait plus de sens. La question s’était dissoute dans le temps et la réponse ne l’intéressait plus. Il regarda Hakim avec une grande lassitude.

« J’ai souffert pour cette femme et ne veux plus souffrir inutilement. Je suis désolé de vous répondre ces mots qui vont vous paraître durs : je ne veux pas savoir ce qu’elle est devenue. »

Isidore sortit son portefeuille et en dégagea la photo d’Amal.

« Cette femme n’existe plus dorénavant. Il ne reste plus que son souvenir. »

Hicham Hakim prit la photo et l’observa longuement. Puis il la rendit à Isidore qui la garda devant lui.

« Je pensais pouvoir vous rendre service en exorcisant cette histoire... »

Ils sourirent tous les deux à ce mot. Isidore s’était exorcisé tout seul, en tombant amoureux d’une autre. Les hormones sont ainsi faites, un amour chasse l’autre et les sentiments disparaissent peu à peu.

« J’ai moi aussi laissé de côté un grand amour en quittant la France. Et, je n’ai jamais cherché à renouer avec lui. J’en avais eu l’opportunité, au début. Mais… non, ce n’était pas raisonnable. J’étais obligé de me marier comme je vous le disais, pour les besoins de la ‘asabiya. La tradition, la famille, la religion… A mes yeux trois fardeaux ! Et je m’y suis plié. Comme un bon petit soldat. Je pense que j’ai fait partie des dernières générations à m’y plier ainsi. Ma fille n’écoutera que ce que son coeur lui dit et m’enverra paître si je m’oppose à ses vues ! Les jeunes n’ont pas le respect des anciens codes moraux. Cela fait très cliché de dire cela, mes parents ont dû penser exactement la même chose, je suppose, mais quand on est père, on oublie bien souvent qu’on a été fils. »

Isidore acquiesça, cherchant à se remémorer quel genre de fils il avait bien pu être aux yeux de ses parents.

« Et la femme que vous avez laissée en France, vous a-t-elle recontacté ?

- Monsieur Valois... »

Hicham Hakim regarda fixement Isidore.

« Ce n’était pas une femme que j’ai laissée. Il s’appelait Thomas. Il était blond. Sa mère était hollandaise. Il n’était pas très beau mais il avait un charisme fou et c’était le premier homme ouvertement gay que j’ai rencontré. »

Cette révélation stupéfia Isidore. Il n’avait rien remarqué. Mais rapidement son esprit tenta de reprendre le contrôle. Hicham Hakim, cet homme qui ne cesse de parler de la tradition druze, dans laquelle la place des homosexuels doit être extrêmement marginale, cet homme qui a respecté cette tradition au point de se marier et d’avoir un enfant, lui avouait le plus naturellement du monde qu’il était gay.

« Vous m’avez l’air surpris. Je ne pense pas être le premier homosexuel que vous rencontrez tout de même ! »

Et Hicham Hakim rit d’un grand rire libérateur. Isidore était mal à l’aise d’être mal à l’aise. Il fallait réagir intelligemment.

« Je, mais non, en fait, oui, surpris mais… non pas le premier, j’ai une collègue lesbienne... »

Il s’arrêta là, consterné par sa réponse.

« Vous comprenez pourquoi je n’étais pas pressé de me marier de retour au Liban. J’allais rendre une femme malheureuse. J’allais aussi rendre impossible cette fichu ‘asabiya. Bref, le retour au Liban n’était pas joyeux. Et puis j’ai eu une opportunité. »

Il aspira un peu de son panaché. Isidore était tout ouïe.

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