Du rififi au phare
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Du rififi au phare
Son cœur palpitait tellement vite. Malgré tout, ses jambes ne l'avaient pas lâché durant l'ascension.
Max était désormais terré, immobile derrière la lanterne. Immobile au-dessus d'une mer démontée. Il entendait les pas de son binôme sur les 301 marches en pierre du grand escalier. Il est au deuxième étage. Que faire maintenant qu'il était tout en haut ? Plonger ? Pas de meilleur endroit au monde pour être piégé. Un phare.
À ses trousses, son collègue, son coéquipier, son seul lien social dans la tour en plein océan. Deux hommes perdus, isolés dans l'estuaire de la Gironde, sur un rocher. Peter était devenu fou. Son poing lui avait cassé le nez. Ses deux mains avaient serré sa gorge. Puis elles avaient méchamment maintenu la pression. Max s'était retrouvé plaqué contre le sol glacial. Du marbre. Du marbre dans un phare. Un bâtiment hors norme. Construit en matériaux luxueux, avec des hauteurs sous plafond et des pièces spacieuses. Statues, ogives, ornements, chapelle à vitraux et chambre du roi. La promesse d'une vie de château et d'un destin unique dans le Versailles de la mer, voilà ce qui avait attiré Max à Cordouan. Loin, bien loin de la vie rude et monastique à laquelle il s'était préparé.
Son pote l'écrasait de tout son corps. Peter pesait une tonne. Max s'était repassé des films d'horreur, avait tenté de se rappeler comment on s'en sort dans ces cas-là. Sortir un bras. Chercher un couteau, une arme, une solution. Ou un balai. Qui avait frappé l'arrière du crâne de son copain. Il avait pris alors la seule issue possible : l'escalier. Le voilà à présent comme un con à 70m de hauteur. Que faire ? Se planquer derrière la lanterne. Celle qui éclaire au loin, qui annonce aux navires les dangereux bancs de sable. Le temps qu'ils pouvaient passer à l'astiquer, cette lanterne. Toujours suivre un protocole bien précis, militaire. Le chiffon de soie et une composition savante de produits dans le pulvérisateur. On pense vraiment à des trucs cons, avant de mourir. Superficiels. Terre à terre.
« Te voilà ! »
Le hurlement de son binôme. La rage dans ses yeux. Terrifié, Max se figea sur place.
Ils avaient pourtant la meilleure vie qui soit. Loin de l'agitation du monde, cheveux au vent, le pif dans les embruns. Des soirées tranquilles, à relire les grands classiques, à regarder de vieux films, à parler. Le ménage, un peu de restauration, les visites guidées. Jouer des mécaniques devant des paquets de touristes émerveillés. Une vie de vent et de sons. Les vagues, les mouettes, les goélands. Le grincement des tirants de la lourde porte qui s'ouvre sur l'estuaire – la porte des marées. Le clapotis de l'eau recueillie dans les fontaines de bronze. La sensation de liberté, la pêche des oursins, le travail des mains. Parfois, le soir, une promenade à marée basse. Marcher doucement pour ne pas écraser les crabes. Peter avait toujours un truc intéressant à raconter. Cet homme était fait pour l'Atlantique, un garçon à la fois doux et solide comme un roc. Libre.
Sentant sa dernière heure arrivée, Max pensa à elle : Sybille. Sybille qui faisait souvent la visite de Cordouan. Au printemps, l'été, l'automne. Par beau temps, mer d'huile, tempête et grandes marées. Sybille qui prenait le bateau malgré son mal de mer... Une jeune femme discrète et solitaire. Une silhouette fine, des yeux en amande, une voix douce. Sybille qui aimait les gardiens de phare.
Les deux hommes se faisaient maintenant face, les cheveux dressés par de fortes bourrasques L'agresseur à deux pas de l'agressé. Il faisait nuit noire, la lanterne éclairait leurs visages, alternant les couleurs. Rouge. Vert. Rouge. Vert. Rouge. Peter cria « Pourquoi tu as fait ça ? » Ses traits s'affaissèrent « Pourquoi Max ? » Des grosses larmes coulaient sur ses joues. Vert. Tout s'enchaîna. Dans le champ de vision de Max apparut le pulvérisateur, le nettoyeur de lanterne. Il propulsa son corps pour atteindre le flacon, tendit le bras vers le visage de son collègue, activa le déclencheur. En plein dans les yeux. Hurlements : surprise, effroi, douleur.
Une semaine où il ne vivait pas en mer, Sybille avait invité Max à prendre le thé. Dans son salon aux murs blancs, avec une baie vitrée donnant sur un petit parc plantés de pins. Une fenêtre d'où on pouvait voir des écureuils. Elle lui avait montré son petit bureau. Des pastels et des crayons de couleurs, un carnet de croquis remplis de dessins. Toujours le même thème. Son obsession. Des phares.
Peter recula. Bascula dans le vide. Englouti dans l'océan. Perdu à jamais dans l'estuaire de la Gironde. Bientôt dévoré par les goélands.
Max et Sybille avaient dégusté un merveilleux. La jeune femme était une pâtissière hors pair. Ils avaient regardé les écureuils, les dessins encadrés au mur. Sybille lui avait expliqué qu'elle était amoureuse. De Peter. Le doux, le romantique, le cultivé. Qu'ils allaient se marier. Que Peter quitterait le phare. Son meilleur binôme, son ami, son collègue, son co-équipier. Déchirant la façon dont elle a crié quand Max l'a assassinée.
Max redescendit en tremblant les 301 marches. Regagna sa chambre spacieuse, enleva ses chaussures, chaussa les patins pour ne pas abîmer le parquet en chêne bicentenaire.
Max n'aurait jamais imaginé que Peter le doux puisse devenir fou : il avait probablement tout découvert.
Max se glissa sous la couette, éteignit la lumière. Le gardien s'endormit en écoutant les grincement des tirants de la lourde porte qui s'ouvre sur l'estuaire.