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[Bivouac dans le Marais] #10 feuilleton d'Heroic Fantasy

[Bivouac dans le Marais] #10 feuilleton d'Heroic Fantasy

Pubblicato 31 ott 2022 Aggiornato 31 ott 2022 Cultura
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[Bivouac dans le Marais] #10 feuilleton d'Heroic Fantasy

 

- Tu oublies cette idée d’évasion. Quand bien même auras-tu fais tomber tes chaînes, la vieille troll sera encore là pour te rattraper et te rebattre les oreilles de ses histoires à dormir debout. Avec ses manières avilissantes, cette grosse maquerelle t’aura transformée en orquesse à mamelles avant même que tes sœurs n’aient été vendues.

Elle s’invective intérieurement. Tambourine le silence de ses tempes trempées de sueur. Ça l’aide à tenir. A ne pas sombrer dans la folie du désespoir. Elle aimerait s’effondrer sur elle-même, s’apitoyer, mais non ! Son bourreau se réjouirait trop vite.

- Trouver le moyen de lui fausser compagnie. Ensuite courir vers le nord, jusqu'à …

Elle trébuche. Ne peux se rattraper à rien, sinon les herbes hautes. Elle tombe mains ouvertes, bras tendus, sur une motte de glaise. Ses bras s’enfoncent jusqu’aux coudes. Elle s’est pris les pieds dans ses chaînes. L’humidité du marais est partout. Chaque parcelle de sa peau est mouillée et rougie ou souillée par le limon. Depuis le départ de la cité, Gramush Nab Odib garde la chaîne de la nîs attachée à sa ceinture. Leur progression est longue vers le centre de l’étendue d’eau. L'orquesse se sert régulièrement de son bâton pour sonder le chemin qu’elle trace à travers la végétation. Elle évite soigneusement de trop s’approcher de la mangrove qui tente de conquérir les eaux stagnantes de l’intérieure des terres, lors de chaque marée. Les assauts de bestioles rampantes et volantes se font moindres depuis que la surface liquide a atteint la taille de la nis et les cuisses de l’orquesse. Elles sont au cœur du Marais. De temps en temps les murailles de Port-Kro et quelques dunes apparaissent à l’horizon, entre deux volutes de brume épaisse. C’est l’un de ces instants, où le panorama s’éclaircit, que Gramush choisi pour détacher la nîs et enrouler sa chaîne autour d’une vieille souche. Elle grimpe sur une butte de terre. Puis sonde le vide laiteux tout autour. Elle lève les bras au ciel et lance un appel en orque, ponctué d’un claquement de langue et d’une succion de lèvres. Un gros corbeau, au bec tellement rocailleux qu’on le croirait de pierre, vient alors se poser sur son avant-bras. Elle lui caresse le crâne et lui chuchote des instructions. D’un geste, elle le libère. Il prend son envol, puis disparaît derrière une nappe de volutes cotonneux. Avant de redescendre de la bute, elle défie le marais, comme si elle s’adressait à un ennemi invisible : “A nous deux, Tamat !”.

Ses yeux parcourent l’étendue de tourbe autour d’elle et se posent sur les murs de la cité. Quand elle revient près de la nîs, elle reste songeuse. Sans la regarder plus qu’à l’accoutumée, elle théorise à pleine voix devant son esclave :

- Je pense que le dragon Tamat est venu ici pour s’emparer du trésor des barbares. Cette gemme qui leur donne immunité à toute magie. A part les falaises, que j’ai déjà fouillé de fond en combles c’est le seul endroit où elle peut se cacher en attendant la conjonction des trois lunes. Même elle ne peut approcher cet objet sans tomber sous son contrôle. Il lui faut patienter jusqu’à ce que les astres affaiblissent son rayonnement.

L’orquesse martèle le sol spongieux, là où elle se trouve, en le regardant.

Ses syllabes sont scandées comme si elle souhaitait qu’elles s’impriment dans la glaise du marais.

- Elle s’est ensevelie là, sous la boue et les eaux stagnantes. Elle attend son heure. Mais je la trouverai avant qu’elle n’agisse. Et je vengerai mon peuple.

La nîs se garde d’émettre un commentaire. Elle reste fière et immobile, contenant sa douleur en tentant d’exalter sa dignité. Mais son dialogue intérieur est agité :

- Faire mine de te parler à toi-même, pour te sentir moins seule vieille carne, ne me touche pas.

Ta folie te perdra. Et je serai là pour voir ton trépas.

Gramush arrache quelques herbes et branches de buissons de ronces séchés au vent salé. Elle entreprend de les placer soigneusement à mi-pente du monticule de terre pour préparer un feu de camp.

- Vous n’avez pas cet amour de la patrie, vous autres les nashkis ! Bien que vous ayez un roi et que vous vous soyez accaparé les meilleurs coins de forêt, vous ne pensez qu’à vous-même. Vous êtes des ingrats voilà tout.

Elle amène la nîs pour l’installer près de son tas de brindilles sèches et repart en quête de morceaux plus gros. Arrivée près d’un buisson qui semble lui convenir, elle sort un canif d’os et de silex de sa ceinture. Elle prend la pose, mains sur les hanches, en regardant la nîs, puis hausse les épaules.

- Quelle idée saugrenue ont eu les dieux de placer leur confiance en vous, les premiers nés !?

Votre race qui était autrefois la plus évoluée et la plus sage est devenue décadente et moribonde.

Vous vous laissez corrompre ! Vous vous vendez au plus offrant !

Vous vous laissez menés par le bout du nez.

Leurrés par les avances de nos cadets les humains ! Vous cédez à leurs caprices !

Pourquoi les écouter !?

Pourquoi avoir envahi avec eux nos terres par-delà le Fleuve ?

Nous les Orques nous sommes les puînés.

Nous devons désormais assumer seuls, entre les aînés et les cadets.

Gérer vos conneries.

۞ ۞ ۞

L’orquesse qui s’exprime en commun, roule les “r” d’indignation.

Comme elle le fait souvent quand elle parle avec conviction.

- Corrigez vos enfantillages !

Vous ne vous êtes pas dit un seul instant que nous acculer vers l’océan c’est déclencher une guerre totale ? Quand ils en auront fini avec nous, c’est à vous qu’ils s’en prendront.

Ils ont déjà gagné la guerre du nombre et des naissances.

Elle suspecte le ciel d’un œil sardonique, la tête penchée, le regard en coin.

J’espère que ça les fait se poiler les dieux, de voir ce spectacle pathétique ?

L’orquesse pose quelques affaires près de la nîs, s’essuie le front et soupire en terminant d’enlever tout le bois mort qui pouvait se trouver sur l’arbrisseau.

Elle en a extrait aussi une tige de bois vert dont elle vérifie la rectitude d’un coup d’œil avisé.

En le tendant dans le prolongement de son bras, visant de l’œil à partir de son épaule, la langue légèrement sortie, le temps de vérifier que l’alignement lui convienne.

- Je suis sûre que toi et tes sœurs vous nous méprisez tout autant que les barbares de Port-Kro. Pourtant leur histoire est plus liée à vous autres les elfes qu’aux orques. Et puis si je te parlais de ton peuple ou même du mien, tu ne m’écouterais même pas, petite effrontée...

Gramush tapote le vide entre elle et la nîs du bout de l’index, comme s’il s’agissait de lui percuter le front pour lui faire entrer quelque chose dans le crâne.

- … toute imbibée que tu es de vanité et de certitudes.

L’orquesse regarde autour d’elle en terminant de tailler en pointe la tige de bois vert. D’un geste souple et soudain, elle la projette dans une marre d’eau claire, pas très loin de la nîs. La tige reste figée presque verticalement. Quand Gramush la retire de l’eau, un poisson frétillant avec quelques aspérités bossues et cornues, lui donnant une semi-apparence de crustacé, est plantée à son extrémité.

- On va camper là pour la nuit. Demain je nous trouverai un quartier général digne de ce nom. 

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Lire la suite : [ Le Chariot ] feuilleton d'Heroic Fantasy #5

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