Binda Ngazolo/ Le griot et conteur, dépositaire des vastes secrets de l’oralité africaine
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Binda Ngazolo/ Le griot et conteur, dépositaire des vastes secrets de l’oralité africaine
Binda Ngazolo, l’homme de la tradition Beti Camerounaise, est un ‘’Djeli’’. Véritable griot des temps anciens, maître de la parole et du savoir des anciens de l’Afrique traditionnelle. Dépositaire des vastes secrets de l’Afrique profonde, Binda Ngazolo a déporté hors des frontières du Cameroun vers l’Afrique et l’Europe par l’oralité. Conteur, comédien, metteur en scène et aujourd’hui acteur, Binda est un homme exceptionnel pour son savoir de l’Afrique traditionnelle et moderne. Membre de la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD) -Paris, après de 50 ans, Binda ngazolo est considéré comme l’un des artistes de théâtre et conteur les plus talentueux de sa génération. Depuis 1980, il distille ses histoires à travers toute l’Afrique et l’Europe. Depuis quelques années, il réalise un projet remarquable de mise en espace de la nouvelle poésie urbaine africaine et réussit l’incroyable pari de réunir de jeunes désœuvrés autour d’une passion commune : le slam. Suivez-moi dans l’univers de Binda à travers cette interview.
Binda Ngazolo, les lecteurs ont bien envie de savoir qui vous êtes ?
Je suis Binda Ngazolo et né le 1er avril 1954 à Mbalmayo au Cameroun. Je suis issu d’une famille de conteur, dans la culture des anciens Beti. Chez nous, les moments du conte étaient le lieu de rencontre entre toutes les générations. Pour les jeunes, le conte est ludique et pédagogique et pour les adultes une philosophique, voir initiatique. J’ai reçu le savoir à travers des chants, des fables et des épopées transmis par ma grand-mère.
Quelle définition donnez-vous à votre personnalité ?
Je suis pour certains un penseur, un diseur, un raconteur, un transmetteur. Si je dois me définir, je dirais que ma fonction essentielle est de permettre aux Africains de se réapproprier leur moi.
Quelle est notre partialité dans votre pratique du Conte ?
Dans ma pratique de l’oralité, je mets en relation des contes d’inspiration traditionnelle avec le monde actuel. C’est ce qui fait la particularité de mes contes. Je raconte aussi des histoires contemporaines et urbaines à travers lesquelles, je présente les vaillants Africains qui ont conçu l’histoire de l’Afrique et des grandes villes africaines. Mes récits s’enracinent dans le centre-sud du Cameroun, le pays BETI où l’humour s’intègre à la vie.
C’est quoi la culture Beti Binda ?
Originaire de Mbalmayo à 20 kilomètres de Yaoundé, la culture Béti est située entre le centre et sud du Cameroun, mais aussi par la Guinée Équatorial et le nord du Gabon peuples de Fangs et de Ndoumou. Alors je suis issu de cet immense brassage. Pour revenir à votre question, la culture Beti est une culture de femmes et d’hommes libres dans leurs pensées, leurs manières de dire et de partager leurs expériences de vies. Dans le système éducatif Beti, le conte est un outil pédagogique essentiel.
Binda Ngazolo, on vous voir au premier rôle dans ‘’Soleils’’, une fiction documentaire. Ce film a été présenté en 2015 au Fespaco, à Ouagagougou. Alors après une vie consacrée au conte et à la mise en scène, vous vous retrouvez au cinéma. ?
À vrai dire, cette belle histoire avec le cinéma débute avec Sotigui Kouyaté qui m’a permis de jouer dans ‘’Soleils’’. Comme une autre histoire que je rencontre. Je reçois de la poste, un scénario dont le titre est ‘’Soleils’’ avec la photo de Tiken Jah. Un artiste que j’apprécie bien et qui connaît bien sa généalogie. Alors, après lecture du scénario, je me rends compte que le scenario a un contexte excellent parce qu’il parle dans de conte, de transmission, d’une histoire à raconter. Mais l’orientation était plus sur la culture du mandé. Bon cela ne m’effrayait pas quoi qu’originaire de l’Afrique centrale, parce que j’avais longtemps vécu en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire). Et la culture mande, j’en avais pris contact, et même beaucoup. Mais, pendant un instant, j’ai eu peur.
Pourquoi ?
En fait, j’étais un peu troublé parce que je ne comprenais pas pourquoi ce scénario m’avait été destiné alors que la photo de Tiken Jah y était. Alors pourquoi on m’envoie ce courrier contenant ce scenario ? Ce scénario disait Binda, ‘’ Tu dois incarner un personnage. Celui de Sotigui Kouyaté’’.
Connaissez-vous ce personnage Sotigui Kouyaté en tant que conteur ?
Oui, tout véritable conteur a le devoir de connaitre Sotigui Kouyaté. Sotigui Kouyaté’’ est de la caste des griots, descendants de Balla Fasseké qui était le djéli (griot) de Soundjata Kéita. Sotigui Kouyaté n’était pas n’importe quel griot. Le personnage de Sotigui Kouyaté est immense. En réalité, je me voyais mal devant une caméra et dire que (Moi Binda), je suis un Kouyaté.
Les exigences du cinéma commençaient donc à faire leur effet ?
Euh oui. Alors le réalisateur que je ne connaissais pas me répond que ce n’est que du cinéma. Honnêtement, je lui ai dit que je ne me sentais pas légitime pour jouer ce rôle. Ma conscience en tant que conteur me fatiguait. Ce n’était vraiment pas facile.
Et après ?
Quand il m’a informé que Dany Kouyaté est le co-réalisateur du film, j’ai commencé à avoir de l’assurance parce que je connais Dany Kouyaté. Mais ce que je voulais savoir, c’est pourquoi Dany m’a choisi, moi Binda, pour incarner le rôle de son père dans ‘’Soleil’’ ? Il fallait qu’il m’explique comment il est arrivé à cette conclusion.
Dany Kouyaté a dû voir en vous le personnage idéal mais aussi excellent dépositaire des vastes secrets de la traditionnel des anciens ?
Il se peut. Mais il fallait porter le souffle, la parole d’un immense acteur comme Sotigui Kouyaté que le monde entier connaissait. Je n’arrive pas à sa cheville et tout cela a fondé ma peur. Avec Dany, on a négocié pour couper la poire (rire) … En deux en enlevant Kouyaté pour garder Sotigui. Parce que ce film rendait hommage à Sotigui qui est l’inspirateur de ce projet.
Et finalement vous avez tournée ?
Oui ! En un mois, dans des conditions miraculeuses, nous avons tourné cet excellent film. C’est incroyable !
Tout à l’heure, vous avez parlé de respiration. La respiration, compte-t-elle assez dans l’imitation d’un personnage et dans le discours oratoire ?
Vous vous souvenez lorsque j’ai rencontré votre troupe de théâtre, la compagnie N’Semi. Nous avons eu cet échange avec vos comédiens sur l’importance de la respiration dans l’incarnation d’un rôle ?
Oui, nous nous s’en souvenons.
Dans ‘’Soleil’’, le jeu de la respiration a été déterminant. Dany Kouyaté m’a demandé de gérer la personnalité de Sotigui a parti de ma respiration. Il n’était pas question de singer Sotigui Kouyaté ou d’essayer de faire semblant d’être Sotigui Kouyaté. Il me fallait proposer une autre manière de porter ce récit. En dehors de la respiration, l’autre critère qui m’a beaucoup aidé, c’est que Sotigui et moi-même avions en commun la pratique traditionnelle du conte. C’est grâce à ma connaissance du conte que j’ai réussi ce rôle. C’est le conte qui m’a emmené au théâtre et au cinéma. Le conte, c’est ma racine, c’est mon école. J’ai appris traditionnellement les arts de la parole. Je ne l’ai pas appris à l’école française.
Après soleil vous avez joué à « Bienvenue au Gondwana » de Mamane ?
Ce fut là encore une autre histoire a rencontré. Ce film a bénéficié d’un casting ‘’panafricain et universel’’ avec des artistes de renom et de diverses nationalités. Dont les plus connus étaient Michel Gohou, Digbeu Cravate, Prudence Maidou, Lamine N’Diaye, Rasmané Ouédraogo, Hachimou Oumarou, Akissi Delta, Michel Bohiri, Léonard Groguhet, Sandra Nkake (musicienne) et moi-même. Encore une belle aventure.
Alors que doit ton savoir sur le célèbre conteur Binda Ngazolo ?
Je suis acteur. Je suis comédien. Je suis metteur en scène de théâtre. Je suis un médiateur culturel. J’ai toujours travaillé dans la transversalité. Je ne respecte pas les cloisonnements, les définitions des autres. Je considère que c’est celui qui produit une œuvre artistique qui la définit et qui détermine l’esprit dans lequel il fait sa proposition. Si ce rôle m’a été proposé, c’est dire que j’ai peut-être quelques talents d’acteurs. Si on vous demande d’incarner un personnage, c’est que vous êtes capables de le faire.
Et le soleil fut une réussite pour vous ?
Exactement
Le conte et sa fonction ?
Le conte a pour fonction de nous permettre de nous réapproprier nos imaginaires et nos différents récits ; et de nous reconnecter à notre récit pour pouvoir aller vers les autres en tant que nous-mêmes. Et non en tant qu’avatar ou caricature des autres parce que la plupart d’entre nous ont dans le tréfonds de leur être quelqu’un d’autre qui y habite. On est un peu schizophrène par le fait de l’histoire. Beaucoup d’entre nous sont porteurs du récit des autres. Dans la plupart des cas, beaucoup d’Africains ont à l’intérieur d’eux soit l’imaginaire arabo-islamique qui les habite, soit l’imaginaire judéo-chrétien. Ce qui fait que quelqu’un d’autre habite en nous. Nous n’avons pas d’autres alternatives que de nous réapproprier notre imaginaire et de cesser de nous regarder avec les yeux des autres.
Quelle définition donnez-vous à la culture africaine au pur sens ?
La culture africaine se résume à notre identité, notre originalité qui nous différencie des autres. Elle nous sert de repère quels que soient le lieu et le temps de notre existence.
Et c’est au nom de cette définition que vous utilisez le MINKANA ?
La technique du « MINKANA », est un terme qui désigne ce qu’on appelait en France au moyen-âge, les « chantes-fables » et dans l’Afrique ancienne la « Tradition Orale » : ces contes dits et chantés. Considérée à l’époque comme une pratique démocratique populaire, cette formule a perdu de sa valeur ou de son usage à cause de l’urbanisation et de l’avènement de la télévision et de tous ces médias modernes incontrôlables dans nos sociétés actuelles. Donc, le Minkana, c’est à la fois les chantes-fables, les contes, les proverbes ou les devinettes. C’est notre imaginaire à nous. Une source de toutes les formes d’écriture. Il ne peut pas y avoir d’écriture sans oralité. Le livre tout seul est un objet mort. La preuve, pour traduire ou transmettre ce qui est écrit dans un livre, il faut qu’un être humain le lise. L’oralité est pour moi est la base de toute forme d’éducation. Au commencement, était le verbe, n’est-ce-pas. En plus du Minkana (proverbes énigmes), il faut savoir, j’utilise aussi du Minlan (épopée, légendes). Tous ces technique servent à raconter des récits traditionnels : chantefables, épopées, légendes, devinettes, qu’il faut mettre toujours en relation avec le monde actuel.
Binda sur la scène de spectacle, que constitue le public pour vous ?
Le public est un partenaire réceptif et actif qui fait les chœurs dans la dynamique d’appels-réponses. C’est important de faire participer le public parce que c’est une communication appel réponse. C’est ce qui se traduit par exemple les appels réponses’’ Zee - la panthère’’, Kubu-la poule’’, ‘’Zoa- l’éléphant’’, ‘’Kulu- la tortue’’, ‘’Ebgeme- le lion de la Téranga’’ ou le lion Indomptable’’. Il faut savoir que ces personnalités drôles, autoritaires, incarnées dans des histoires sont chargés de leçon de vie et de morale qui amène dès fois le spectateur à se poser les questions sur son existence, son utilité vis-à-vis a son prochain etc. Sur la scène, Binda N’Gazolo, est un conteur-danseur vêtu de blanc.
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Quelles sont les langues que vous utilisez pour conter ?
J’utilise la langue Béti et le français. Les thèmes que je développe dans mes contes sont variés et adaptés à l’actualité. C’est ce qui fait ma particularité comme j’indiquais plus haut. Mes contes sont très souvent ou si vous voulez toujours accompagner par la « Kalimba », un instrument à pouce emprisonné habillement entre mes mains.
En dehors de l’Afrique que vous connaissez si bien, avez-vous eu des scènes internationales ?
Je me suis beaucoup produit à Paris, à Bruxelles, en Belgique, en Suisse, en Allemagne ou au Luxembourg. En menant ces voyages à travers l’Europe, je veux juste que les français d’origine se fassent une idée de leur racine et de ce que le culte de l’imaginaire a apporté à la grande Afrique et au monde à travers les mythes, les légendes, les contes, etc. Les parents doivent veiller à ce que leurs enfants nés en Europe soient au diapason de leur culture d’origine. Le respect des cultures, des valeurs, c’est important pour moi en tant que conteur et surtout de transcender toute cette bâtisse en perdition.
Au-delà de tout ce que nous avons pu dire plus haut, on constate qu’aujourd’hui, le conte est relégué au second rang par les Africains, comment expliquez-vous cela ?
Pour la bonne et simple raison que nous sommes dans un système qui nous a été légué en héritage colonial. Le théâtre par exemple qui bénéficie d’un certain prestige est la mise en espace du mythe de la Grèce antique. Ce qui veut dire que le théâtre est l’enfant du conte, mais il se trouve qu’en Europe au moyen des orients petits à petit le théâtre qui était un art populaire est devenu un art élitiste porté par les monarques dans l’aristocratie et donc le théâtre a bénéficié du prestige de l’aristocratie et du coup le conte est passé à l’attrape et nous avons hérité de ça ici. Paradoxalement, le conte est étudié de la maternelle à l’université, il y a une bibliographie considérable, mais dans le même temps, on fait toujours comme si c’était une discipline parce que le conte est souvent comme je le dis la racine mère de tous les autres manières de raconter et de se raconter et nous devons pouvoir nous réapproprier vos imaginaires afin de les raconter aux autres groupes qui nous sommes et où allons-nous.
Aujourd’hui, la difficulté se situe à quel niveau dans la tentative de rééduquer l’Africain à aimer le conte ?
C’est un niveau de la communication, de visibilité et du regard critique que les journalistes peuvent porter dessus. Comment voulez-vous qu’un journaliste qui ne puisse pas décrypter un conte, qui ne peut pas faire la différence une épopée, un mythe, et une légende s’il n’a pas reçu de formation sur le conte ? Dans ce cas, comment voulez-vous qu’il fasse aimer le conte à ses auditeurs, spectateurs et lecteurs si lui-même ne maîtrise pas son sujet ? C’est pour cela qu’il est important que nous échangeons, que nous apprenions des journalistes et que les journalistes apprennent de nous autres conteurs ce que le conte afin de nous aider à mettre en valeur cet art ancien par les médias, dans la mesure ou les nouvelles technologies s’ouvrent à ces choses-là afin que le récit prenne un terme global, car il est essentiel à l’éducation de l’humanité.
Aujourd’hui, le Conte fait partir des disciplines du Marché des arts et du spectacle africain (MASA). Alors quelles sont vos impressions ?
Ca me parait le normal. Ce qui me paraissait anormal, s’était que le conte soit relégué ou ne soit pas pris en compte. Car je disais tantôt, le conte est la racine mère de toutes les manières de raconter, de ce raconté. C’est-à-dire que ce soit le théâtre, la danse, le cinéma, la peinture, c’est raconter et ne prenons pas exemple de slam et speech. Je suis très content que le Masa prenne en compte le conte.
Christian GUEHI Hervé