Baudelaire champion de surf
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Baudelaire champion de surf
Le surfeur est un poète qui balance sa planche comme une plume qui court dans l’encrier du flot. « Homme libre, toujours tu chériras la mer » écrit Baudelaire. La page, elle non plus, n’est jamais blanche, oscillant entre écume et crête, toujours imprévisible, toujours recommencée. De la même façon, Baudelaire est un de ces poètes qu’il faut suivre « dans le déroulement infini de sa lame ». Beach Boy on a riding surf...
Qu’on relise seulement « Parfum exotique », « la Vie antérieure », « l’albatros », « la chevelure » ou « l’homme et la mer »... on y prendra peut-être le plaisir qu’on trouve à contempler les figures d’un surfeur en équilibre qui s’amuse des hasards et des caprices de la vague.
Baudelaire trouve sa correspondance dans la figure du surfeur. « Nageur qui se pâme dans l’onde », dans les « lames », les « houles », le mouvement de la poésie, le balancement du vers. Et, chemin faisant, il entraîne le lecteur dans son sillage...
Mais avant l’ascension vers la crête, avant le déroulé, il y a eu chez lui, comme pour le surfeur sous l’emprise du manque, l’attente intense et le guet du rouleau. Et tout à coup, le voilà qui décolle...
Baudelaire est le poète de la captation du mouvement. Chez lui, tout passe par la plante du pied, cette racine de la sensation ! La chaleur d’un corps, l’odeur d’un sein, le mouvement d’une chevelure aimée imprime définitivement en lui la cadence du poème. Alors, il s’en va, alors il épouse cette ascension vertigineuse au cœur des lames.
Les mots et les images qui s’enroulent sont autant de figures que réalise le surfeur des « gouffres amers ». A ce moment de plénitude absolue, il rivalise avec l’albatros son semblable, son frère...
C’est le creux de la vague, la pure force acoustique du poème : déferlement des sons, volume de l’alexandrin, harmonie des images, relief du vocabulaire. L’inspiration et la langue pour l’écrire ont le gonflement du flot. Hors de ce monde d’écume bleue, point d’horizon. Tout est là, qui s’offre au plaisir et à la pensée de l’Absolu...
Dans les îles Hawaï, les premiers surfeurs que côtoyait le cap’tain Cook cherchaient dans la vague et le grand large quelque chose comme le frisson du sacré, « l’horizon chimérique ». Marcheur sur les eaux, Baudelaire est un athlète de l’abîme qui vise non les palmes olympiques mais l’Ailleurs. Tout est muscle chez lui, aspiration à l’Idéal et tension du tendon.
De la même façon que le surfeur garde la mémoire musculaire de l’expérience inouïe vécue au creux de la vague, bonheur euphorique que le caprice de l’élément a communiqué à tout son corps, le poète vibre d’une extase sensorielle. Mais Baudelaire reste avant tout le poète de la chambre. Que lui reste-t-il alors de l’océan et du surf ? Rien n’est perdu pourvu qu’il ait une partenaire… Quand il tient une femme dans ses bras, une femme-flacon, il la caresse comme une planche bien polie, odorante et chargée de senteurs exotiques. Elle est là pour l’arracher au désespoir de son existence. Planche de salut !
Et le voilà qui tremble sur les reins de sa compagne et les courbes de la vague, la vague qui enroule indéfiniment les paysages éblouissants de ses rêves.