

Raconter la Terre une image à la fois : l’enfance au cœur de la création avec Yann Bonnin – Partie I
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Raconter la Terre une image à la fois : l’enfance au cœur de la création avec Yann Bonnin – Partie I
Conversation réalisée le 24 juin 2025 en Normandie, à Montigny avec Yann Bonnin, auteur-réalisateur, animateur et directeur de l'animation pour le projet Green Tales. Publication en 3 parties.
Propos recueillis par Imane Tamli, rédactrice multilingue et créative pour Panodyssey.
Green Tales est un projet pédagogique européen qui permet aux enfants de parler d’écologie autrement. Pas avec de grands discours, mais avec leurs mains, leurs dessins, leurs idées. En réalisant un court-métrage en stop-motion et différents diaporamas, ils explorent les quatre éléments de la nature : l’eau, l’air, le feu et la terre. Ils racontent le monde tel qu’ils le ressentent, chacun à leur manière.
Depuis les tout débuts du projet, Yann Bonnin accompagne ces ateliers. Il est artiste, auteur-réalisateur spécialisé dans l’image animée, et surtout quelqu’un qui aime transmettre. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, sur ce que lui apporte ce travail avec les enfants, et sur ce que ça change aussi dans sa façon de créer.
Image composite de la série : Les Shadoks et le Big Blank – Réalisation : Jacques Rouxel et Laurent Bounoure Productions : AAA Productions, Canal+, INA – © 1999, tous droits réservés.
Peux-tu te présenter en quelques mots ? Qui es-tu, que fais-tu ?
Je m’appelle Yann Bonnin. Je suis né à Tours, au cœur de la Touraine, mais mes racines bretonnes tiennent une place importante dans mon identité.
À 21 ans, j’ai quitté ma ville natale pour Paris, animé par une ambition encore floue mais profondément ancrée : me lancer dans le monde du dessin animé. C’était en 1987, à une époque où l’animation assistée par ordinateur en était à ses balbutiements.
J’ai commencé dans une boite d’anim qui était pionnière dans ce qu'on appelait à l’époque le Dessin Assisté par Ordinateur, ou DAO pour les intimes. On ne parlait pas encore d’animation “numérique”. La chaîne de production était certes empirique, mais c’était le high-tech du moment. Pour faire court ici, dans l’intro, mais je peux développer plus tard, le processus créatif en amont était du tradi dessiné sur papier, mais ensuite… Fini le celluloïd, la gouache et le banc-titre pour composer l’image finale. Tout ça se faisait sur ordinateur ! Une véritable révolution, grâce à un programme développé par un monsieur que j’aime bien citer : Claude Huardeaux, car c’était un type épatant à qui nous devons beaucoup, avec d’autres, dans l'animation moderne. Je fais une parenthèse ici, mais c'est constitutif de ma personne… J’ai une admiration profonde et une loyauté sans faille pour ces personnes qui cherchent, qui inventent, qui font progresser les idées et avancer l’humanité. S’il faut en citer deux là comme ça… D’office, Albert Einstein pour les hommes et Marie Curie pour les femmes me viennent instantanément à l’esprit. Je les adore. Mais ma liste est longue… Ouf ! Et heureusement, car ça me peine beaucoup de savoir qu’ils ou qu’elles finissent parfois oubliés au profit de margoulins très habiles à piquer leurs travaux, avec leur esprit cupide. Je trouve ça navrant, et pouvoir les citer est pour moi une aubaine, et aussi un devoir. Merci de m’en donner l’occasion, et revenons à nos moutons.
Vu que ma première expérience à “faire du cinéma“, ça a été le Super 8, pour filmer mes dessins ou mes petites voitures image par image, à Label 35, c’est précisément toute cette alchimie tradi-analogique-numérique qui m’a donné envie de poursuivre dans cette voie. Et je dois aussi remercier Virginie Jallot, qui m'a vu débarquer avec un carton à dessin et une boîte en carton, dans laquelle se trouvaient mes premières expérimentations animées. Elle m’a dit : “Ok, et tu veux en faire quoi de tout ça ?“ Je lui ai alors répondu : “ Je ne sais pas trop encore, et c’est pour ça que je suis là… “ Elle m’a regardé étonnée, et j’ai ajouté : “ C’est pas le bon endroit ?“ Là, elle a compris que ce n'était pas juste une lubie, plutôt une idée fixe, et que j’irai me faire voir ailleurs pour aller au bout de mon envie. alors autant que ce soit dans sa boite, et elle m’a dit ok pour passer des tests, et venir me former sur le logiciel. Une fée !
Depuis, je n’ai jamais quitté l’univers de l’image animée et du numérique. Mon parcours m’a amené à rencontrer des personnalités comme Jacques Rouxel, créateur des Shadoks, mais aussi Jean Giraud alias Mœbius, et bien d’autres encore, même des moins connues, même pas connues du tout, mais néanmoins très importantes pour moi. C’est ce que j’appelle mes fées, ou mes fantômes… Ceux et celles qui habitent mon imaginaire, et m’accompagnent sans cesse. J'ai travaillé sur des séries, dont les célébrissimes Shadoks, et pour cause… Mais aussi sur des documentaires, du cinéma d’auteur, fictionnel ou expérimental, des films de commande ou institutionnels, bref, tout un tas d’objets audiovisuels. Et me voilà à 59 ans, après toutes ces années et expérimentations, à me dire que ce qui me passionne le plus aujourd’hui, c’est la transmission : partager cette expérience, ce savoir-faire, notamment avec les plus jeunes, à travers des projets pédagogiques comme Green Tales. Quel bol !
Avant ça, je ne pars pas de rien puisque j’ai été 10 ans intervenant aux Gobelins, quasi 3 ans à l’Atelier de Sèvres, mais interrompu par le COVID, et auparavant autant à l’INA, au Cifap, à l’ESRA. Durant 18 ans, j’ai été responsable d’un atelier d'animation pour Paris-Ateliers.
En Belgique, j’ai été intervenant à Liège, puis à Bruxelles, dont des workshop pour enfants avec Zorobabel durant le festival ANima.
Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ? Comment es-tu devenu artiste ou créateur ?
J’ai grandi dans un environnement familial très modeste, mais en sécurité. J’ai toujours eu un regard très singulier sur le monde. À l’époque ma famille l’a ignoré, mais bien des années après, à l’âge adulte, j’ai été diagnostiqué TDAH. Cela m’a aidé à comprendre beaucoup de choses en regardant dans le rétro. Soit !
Enfant, le dessin, le bricolage, ou toute autre activité créative, étaient ce que j’appelle ma cabane. Une sorte de refuge mental. Je pouvais être là physiquement, mais complètement barré dans ma tête, à imaginer des trucs délirants. Ça étonnait mes parents, sans les alerter. Ils se demandaient où j’allais chercher toutes ces idées… Forcément farfelues pour eux. Pourquoi cette obstination à toujours vouloir savoir, comprendre comment marchent les choses, bricoler, démonter, dessiner… Bref, je n’arrêtais pas. Je ne vous raconte pas la claque que ça a été de découvrir la lecture à l’école. D’abord “Apoutsiak, le petit flocon des neiges“ de Paul-Émile Victor, puis Tomi Ungerer avec “Les trois brigands“. Et plus tard Jules Verne, Buzzati, Bradbury, Queneau… La cabane n’avait jamais fini de s’agrandir, et comme un escargot, je l’emmenais partout avec moi. C’est comme ça, depuis toujours, ma curiosité nourrit mon imagination, et l’expression artistique fait naturellement partie de mon quotidien. Ça n’est pas un hasard si j’en ai fait mon métier plus tard. Ça me fait penser à Einstein, un agnostique comme moi, avec son aphorisme sur le hasard : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito. » Épatant !
Ado, mon premier amour a été la musique. J’ai pris des cours dans un centre culturel social, qui proposait uniquement de la guitare classique. J’aimais bien ça, mais jouer de la gratte électrique me titillait fort, influencé par la pop-rock, le jazz et surtout le blues. Grâce à mes grandes sœurs, qui se sont chargées de mon éducation musicale, j’ai découvert un tas de groupes et d’artistes… La liste est sans fin, et sur une île déserte, c’est sûr, c’est l'album Abbey Road des Beatles que j’emmènerai. Je suis fan depuis gamin. Un de mes rêves serait de rencontrer un jour Paul McCartney ou Ringo Starr, ou les deux carrément ! La première écoute de "Come Together" gamin, ça a été un flash. Ce morceau est tatoué dans mes neurones, et a été le déclencheur de mon envie d’apprendre la musique.
Pour la pratique, ça a commencé avec les copains du quartier, on improvisait des sessions sur les bancs du terrain de jeu, et on répétait dans des caves. À cette époque, pas de tutos, ni de plateformes : il fallait écouter, reproduire, expérimenter. On scratchait nos vinyles à force de remettre le diamant des dizaines de fois au même endroit. Alors, comme ça revenait cher à force, le truc c'était d'enregistrer plusieurs fois de suite un même passage sur des K7 audio, et de se les repasser en boucle en chantant le thème pour le mémoriser. Ensuite, il ne restait plus qu’à chercher sur le manche… guidé par ses oreilles. C'était une approche totalement intuitive, faite d’essais et d’erreurs, mais qui m’a profondément formé. Le cerveau enregistrait les phrases musicales, et les chemins que prenaient les doigts à chaque tentative. Les deux sont indissociables. Souvent, en cherchant un truc, on en trouve un autre… Qu’on n’a pas cherché, ou réussi encore à trouver. Là, c’est le bonheur assuré ! C’est pourquoi la recherche en musique, c’est très important ! Ce sont des moments jouissifs et mémorables, au sens propre du terme. Tu n’as pas ça en achetant des tablatures ou des partitions toutes faites, faut déjà savoir les lire et même avec une vidéo en ligne, c’est pas pareil.
Bon, et puis comme beaucoup, je nourrissais aussi un amour sincère pour la bande dessinée et les livres, mais j’en ai déjà parlé. Pour l’anecdote, j’ai ce souvenir, et toujours cette manie de passer un temps inconsidéré avec le dictionnaire sur les genoux, à parcourir le monde, d’un mot à l’autre. Toujours le même, le petit Larousse illustré de la famille que j’ai gardé étant le dernier des trois enfants à avoir fait des études. J’ai passé beaucoup de temps aussi à la bibliothèque du quartier. C'était ma caverne d’Ali Baba.
Soit ! Après la musique et la radio libre, je suis monté à Paris, en 1988, pour essayer de rentrer dans cette boîte dont un ami m’avait parlé, où lui travaillait déjà sur une série qui s’appelait "Sharky & Georges". La boîte s'appelait Label 35, du nom du logiciel.
Pour expliquer un peu le bazar, comme on dit ici à Bruxelles, la chaîne de fabrication ou pipeline pour parler comme aujourd'hui, était d’un empirisme joyeux, et se déroulait ainsi: anim tradi sur papier, donc rien d'extraordinaire en soi jusque là. Mais ensuite, c'est là qu’entrait en jeu l’ordinateur : La saisie des dessins-papier se faisait sur palette graphique digitale (on n'utilisait pas le terme numérique à l’époque.) ; Ensuite, c’était l'étape du compositing, où l’on empilait et synchronisait les couches d’anim, avec d’éventuels recadrages et mouvements de caméra… Et puis venait la sortie finale, dernière étape du processus où intervenait l’ordinateur. Les images s’affichaient couche par couche sur un moniteur, et étaient filmées image par image par une caméra 35 mm. On rebasculait en tradi sur péloche pour le montage final avec le son, lui aussi sur support optique. Une fois le master terminé, il passait à la moulinette du télécinéma pour être converti en vidéo, et être diffusé à la télé. C’était long, mais c’était bon. Du high-tech pour l’époque !
En résumé, la création de l’animation en amont restait traditionnelle, mais toute la partie colorisation et fabrication de l’image finale était traitée sur ordinateur. Fini les tâches laborieuses et manuelles, où la moindre modification obligeait la plupart du temps à repartir de la case départ. À l’ordi, c’était peanuts de changer une couleur par exemple, ou un décor, et de relancer un tournage. Sans compter l’archivage et la capacité à pouvoir réutiliser des animations déjà validées. Le tournage était entièrement automatisé. Le labo restait encore à gérer, mais tout de même… Quelle révolution !
Voilà ! C’est précisément cette alchimie tradi-analogique-numérique qui m’a donné envie de poursuivre dans cette voie. C'était passionnant !
Comme je ne pouvais y travailler que par intermittence, le taf étant d’abord réservé aux plus anciens et expérimentés, j’en ai profité pour me former à la PAO (publication assistée par ordinateur). J’avais beaucoup de facilités avec l’informatique appliquée, et grâce à cette nouvelle compétence, j’ai pu travailler dans des agences de comm’, des bureaux d'études, et des studios, où se pratiquaient le graphisme et la mise en page. J’ai enchaîné bon nombre de missions par intérim, en gardant toujours un œil sur une opportunité de retourner travailler dans l’anim. Ça, c’était toujours en arrière-plan.
En 1992, par le truchement d’un coloc’ cinéaste qui avait remporté le grand prix du court métrage à Avoriaz, et plusieurs autres prix, je me suis retrouvé à l’INA. Un des prix consistait en un stage pour se former sur Toonbox, le logiciel d’animation maison. Suite à quoi, si des tests d’aptitude étaient concluants, une formation plus étoffée serait proposée avec à la clé un an et demi de prod’ sur une série sitcom d’animation. À l’époque, ils recherchaient des profils qui, de préférence, avaient déjà une expérience avec l’informatique. J’ai tenté ma chance en passant le test, et bingo, j’ai été pris pour la formation, et la prod. Ça a été génial, car je me suis fait de bons collègues, avec qui je suis toujours resté ami. À la fin de la prod, j'étais convaincu que c’était ça que je voulais faire. Alors, j’ai demandé si je pouvais venir pour me faire une bande démo, et aussi venir faire des prestations extérieures, puisque le studio pouvait être loué lorsqu’il était libre. Après quoi, une fois dans les murs, j'étais disponible également pour les besoins de l’INA, qui m’a régulièrement confié des missions. J’y ai réalisé des animations pour des documentaires, des génériques, des infographies animées, des jingles, des clips, etc.
Et puis coup de bol, un jour, Claude Longérinas, productrice en chef du service de la Recherche est venue me voir en me disant : « Dis Yann, tu serais disponible du tant au tant ? »
j’ai répondu : « Oui, a priori, je suis dispo… C’est pour faire quoi ? » Claude : « Tu connais les Shadoks ? » Évidemment que je connaissais les Shadoks, et que je les adorais même. « Eh bien, Jacques Rouxel, et sa boîte AAA, souhaitent réaliser une pub sur Toonbox. Tu veux en être ? » Je croyais rêver, et devinez quoi ? J’ai dit oui. Cette collaboration m’a profondément marquée, et a été un point de départ. J’ai ensuite retravaillé plusieurs fois pour lui, et notamment sur la dernière saison des Shadoks, sortie en 2000. Puis tant d’autres projets, qui par leur singularité et la personnalité de Rouxel, ont fait que nous sommes devenus très proches.
Quand il est parti dans l’au-delà, ça a été difficile pour moi, et j’ai choisi d’aller m’installer à Bruxelles, où j’ai découvert l’animation stop-motion avec le studio Zorobabel. Là-bas, tout est permis : pâte à modeler, papiers découpés, sable, purée, nouilles, café moulu ou pas… Un laboratoire joyeux et absurde, où la créativité pouvait s’exprimer sans aucune limite. J’ai participé à plein de films d'auteur ainsi qu’à des œuvres collectives sélectionnées et primées dans les plus grands festivals.
No-Go Zone - réalisé à l’Atelier Collectif de Zorobabel © 2015, production Zorobabel 70 sélections officielles, 8 récompenses, diffusion pendant 1000 jours en accès libre sur Arte.tv
Pour découvrir les autres volets de cette conversation, rendez-vous sur la Creative Room Green Tales
Envie d'en savoir plus sur ce projet européen ? Visitez le site officiel de Green Tales
Enfin, ne manquez pas l’article : Echappée créative au Pays de Caux 🍏
Et parce qu’il est aussi musicien, Yann nous a glissé ce morceau où il joue la partie guitare : "Mystery Train" (avec Wilfrid Devaux)

