MICHEL BERTOUX

Dix-sept heures cinquante. L'homme est dos au mur. Une moto accélère. Les feux se mettent au vert. Les autos démarrent de part et d'autre de la rue Chateaubriand. Clignotants, feux, freins, accélérations. La circulation est saccadée. Le passage au rouge presse les passants. L'homme observe. Il guette les allers et venues, dévisage chaque piéton. Sous son trois-quart sombre entre-ouvert, un pull-over, une chemise collée dessous. Il s'est adossé contre le mur, en retrait. Le trottoir se vide. On ne saurait dire s'il attend depuis longtemps. Il reste immobile. Les lueurs des feux se reflètent sur son pâle visage. Dans l'ombre du bâtiment, l'homme scrute d'autres passants avec leur sac de sport en bandoulière. Ils se dirigent vers la salle de l'ASPTT badminton. L'homme, c'est Michel Bertoux. Il s'est positionné ici, dans l'ombre et l'attente.

Ce n'est pas l'attrait pour le badminton qui l'a mené jusque là. Bien-sûr il a joué au volant étant gosse. Pas évident, en le regardant aujourd'hui, de l'imaginer môme. L'embonpoint gagnant, la chevelure abandonnée par les années, où sont passés les coups d'éclats de sa jeunesse ? Tout est devenu si terne dans son épaisseur molle, on ne pourrait l'imaginer autrement.

Ce qu' avait connu Michel Bertoux, c'était des jeux de plage, une raquette à la main. Il attendait que le volant arrive à sa hauteur et hop ! Ce jeu est un guet-apens, un jeu de hasard dont on ne se lasse pas. Le volant ne tient pas en place. Il est incontrôlable sous le vent des plages. On est loin, très loin du sport qui se pratique derrière les murs de la salle de l'ASPTT. Alors quoi ? À quel jeu joue Michel Bertoux au carrefour du Boulevard Victor Hugo et de la rue Chateaubriand ?

Les baskets qu'il porte font grise mine. Elles se sont laissées imprégner de la carnation des trottoirs. Elles sont amples, ouvertes et contiennent difficilement le pied rougeâtre et brunâtre. La texture de cette peau fascine et rebute. Le diabète s'est ancré dans ce corps. On peut s'en méfier comme de la peste. Lorsqu'il y est manifeste, lorsqu'il envahit votre vie, vous voudriez le jeter par-dessus bord, l'extirper, le jeter aux ordures, l'enfouir plus profondément que vos plus mauvais souvenirs. Cette maladie s'acharne à vous compliquer la vie. Le découragement, l'abattement vous écrase sur le sol. Vos anciennes joies rouillent, le souvenir de vos rires grincent dans leurs gongs en se refermant sur vous. Mais est-ce de votre faute ? À qui en vouloir ?