Un gros nez pour une grosse amitié
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Un gros nez pour une grosse amitié
Vendredi, 18h, Flavien attendait depuis trois heures ce pot entre amis. “Pot”, mot désuet qui n’empêche point de le remettre au goût du jour. Notre éternel célibataire, intermittent du spectacle et de la gent féminine, voue un amour sans faille pour sa basse.
Lucas, qu’il a connu en 5e B au collège Jean-Monnet, “s’est rangé”. Une école d’ingénieurs, un poste de cadre supérieur dans une multinationale de solutions logicielles, un mariage, deux enfants, un SUV, une maison à crédit sur 20 ans dans une banlieue verte : le trentenaire pourrait être casté pour une pub Renault ou Audi . “Se ranger” revient souvent dans les discussions de Flavien. Comme si son meilleur ami pouvait être assimilé à un meuble que l’on range au fin fond du grenier. Dans son phrasé, aucune animosité ou rancœur n’est palpable ; ce tic verbal résulte de l’analyse factuelle.
Vendredi, 18h, Flavien attend impatiemment son ami, incapable d’attendre son arrivée pour commander la première pinte. Son médecin lui a fait remarquer que le métier de musicien appartenait à ces professions à risque dans la consommation d’alcool. Flavien l’entend mais estime que ne pas s’enquiquiner d’une famille et vivre de façon rock’n’roll justifie sa dépendance au breuvage interdit aux enfants. Puis, il est marrant “le toubib”, mais les généralistes se défendent dans les professions à risque dans le lever de coude. De toute façon, il est 18h passé, donc qu’on ne vienne pas l’emmerder.
- T’as vu ce tarin, l'ami ? Elle a un pif à faire de l’ombre à Depardieu ! Et tu le sais à force de te le répéter mon mignon ce qui se cache derrière un tarin de cette taille.
- T’es lourd, vieille branche.
- J’y peux rien, la nature est ainsi faite
- Sérieux, tu vas fêter tes 40 ans et répète les mêmes conneries depuis 20 ans. Y’a un truc qui déconne chez toi, en as-tu conscience ?
- Ah ben voilà, Monsieur est père de deux mouflets, il est donc en droit de me faire la morale sur mon âge et mes remarques.
(Lucas boit une goulée de bière avec un regard blasé qui vaut de longs discours)
- Remarques fondées, qui plus est (sourire narquois).
- Rassure-moi, tu plaisantes.
- Non, je ne plaisante pas. Gros nez = femme chaude au lit. J’y peux rien, la nature est ainsi faite. Désolé de me répéter mais mon échantillon représentatif d’homme à femmes le confirme.
- Homme affable davantage qu’homme à femme.
- Un poète réside dans les bulles de ta IPA, semble-t-il.
- Faisons un autre parallèle : la taille des lèvres d’une femme noire… Sérieusement, tu réalises les dérapages racistes qui naissent de ce qui était une bonne blague à l’âge de passer le bac.
- Mais j’y peux rien mon cher si la libido des femmes au nez volumineux est supérieure aux autres filles d'Eve.
- Tu me désespères. Je sais qu’en rebondissant sur tes propos, j’entretiens ta connerie. Dans 10 ans, nos calvities avancées riront encore comme deux gros niais que nous devenons à valider cette blague usée jusqu’à la moelle.
- Tu m’inquiètes, mon mignon. Dois-je lire entre les lignes que tu t’ennuies de ma présence ? Que je suis devenu cet ami du vendredi avec qui tu bois une tasse par compassion ?
- Ne sois pas dans l’exagération, j’adore notre rituel du vendredi soir.
- C’est parce que tu ne sors plus avec la naissance d’Enzo. Ce deuxième gosse te rince mon ami, alors tu viens te rincer le gosier avec ton dernier ami beauf certes, mais un beauf au nez imposant qui aime les breuvages au malt.
- Les traits de mon visage se suffisent à eux-mêmes pour confirmer tes dires sur la venue au monde de notre second enfant. Je ne suis pas sûr de grand-chose, mais qu’il n’y en aura pas de troisième me paraît aussi plausible que toi abstinent.
- Mais je vote, mon mignon (doigt en l’air puis main sur le coeur).
- Ce genre de conneries fait que je t’aime.
- Ah, je préfère ça. Tu aimes ton pote irrécupérable et l'avoue.
- J’en reviens à la faculté que nous avons, nous les hommes, à balancer des conneries plus grosses que notre bedaine.
- Ma théorie sur les nez t’énerve car ta femme a deux narines fines, dans la norme nasale. Penser que sa libido est inférieure à notre inconnue de comptoir te fout les glandes. Crache-le !
- Merci de te soucier de ma sexualité, mais elle se porte globalement bien.
- On se dit tout, mais tu as le mérite de tenir sur ton intimité sexuelle. Cette règle que tu ne te fixais pas avant de rencontrer Clémence prouve que ton amour perdure.
- J’avais oublié que j’ouvrais ma bouche sur les précédentes. Mon maigre palmarès n’affiche aucun nez proéminent. Serai-je passer à côté de l’orgasme de ma vie ?
- Souris, souris, petit rigolo plein de poils !
- Ah non, je refuse de me soustraire à une tromperie, qui plus est pour une maîtresse ayant du poil au nez.
- Monsieur est en grande forme.
- En parlant de femmes, celles à barbe te donnent-t-elle envie ?
- Digère ton clown l’ami, tu vas finir obèse. Envie de titiller quelqu’un d’autre que Clémence ?
- C’est moche de répondre à une question par une question.
- Ton tee-shirt produit par des enfants d’Asie du Sud-Est l'emporte sur la laideur de ma remarque.
- Oh la la, je ne t’imaginais pas flirter sur le volet politique.
- Et pourquoi pas ?
- Ton tee-shirt provient d’une usine française usant du coton ardennais ?
- Un bon point, Monsieur.
- Que serait-on sans ce rendez-vous du vendredi ?
- Une semaine sur deux - pendant que tu pars en week-end ou à un dîner en famille, ou si ce n’est moi qui joue sur scène - je t’annonce mon amoureux non-assumé que tu me manques.
- A ce point ? Ça va mal finir pour l’équilibre de mon couple ce sous-entendu évocateur ?
- La seule certitude que j’ai sur notre relation, c’est que l’amitié profonde n’a rien à envier à l’amour physique. L’amitié se résume à de l’amour sans le cul, après réflexion.
- Ne réfléchis pas trop, finis-moi cette pinte.
- Une parole de philosophe.
- Sartre a dit “L’enfer, c’est la flotte le vendredi soir”.
- Et Cyrano d’ajouter “T’as du nez, mon soiffard”.
Photo by Patrick Carr on Unsplash