18 Mars 2020

7h00 du Matin. Je cours à travers la brume dans les champs, au-delà de C. Je m’offre une respiration, après quatre jours entiers de confinement. Je suis seul. J’observe le ciel qu’aucun avion ne semble violer. Il retrouve son empreinte, sa couleur. J’observe la terre qui fume sous les premiers rayons de soleil. Et je me sens profondément heureux. Heureux, ému aux larmes. Un élastique vient de lâcher. Le covid 19 nous rend notre liberté.

Qu’on me comprenne bien : je sais dans quelle urgence se trouvent nos services de santé. Je sais quelle panique s’empare des malades en détresse respiratoire. Je ne minimise pas la catastrophe sanitaire actuelle…

Mais j’éprouve une libération, qui peut paraitre bien paradoxale et qui est pourtant jubilatoire.

Je pense que le grand frein économique sociétal fait du bien. Bien sûr le crash économique est inévitable, les bourses dévissent, les entreprises licencient, la France va entrer en récession, le modèle économique actuel n’en sortira pas indemne. Mais n’étions nous pas à bout de souffle. N’avons-nous pas remarqué que cette économie creusait depuis longtemps le tombeau dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui à moitié enseveli. Alors quand j’entends encore les économistes invités sur les plateaux télé, parler de « rebond », de reprise de croissance, de redémarrage de l’économie, de mettre les bouchées doubles etc… Quel Rebond ? Peut-on faire rebondir un ballon crevé ? Quel redémarrage ? Peut-on faire repartir une économie dont le moteur est dans le rouge depuis longtemps ? Ne faut-il pas changer de paradigme ? Vivre différemment… Non plus pour produire outrageusement, non plus pour stimuler compulsivement nos neurones dégénérés de consommateurs écervelés…

Je suis sidéré de voir l’exode de tous ces parisiens qui vont chercher refuge à la campagne, menaçant au passage de contaminer des zones qui ne l’étaient pas… On les voit entasser à Montparnasse se précipiter dans des trains bondés sans respect des distances de sécurité sanitaire, pour rejoindre la Bretagne ou la nouvelle Aquitaine, région qui était encore jusque là épargnée par la pandémie…

La vie à la campagne reprendrait soudainement des couleurs : grand air, potager, voisins éloignés, chute de la densité de population, baisse du stress, de la panique, vie en accord avec des besoins journaliers, rationalité du corps et de l’esprit… Je suis curieux de voir ce fameux rebond sur l’immobilier, ces appartements parisiens à 10 000 euros le mètre carré vont-ils survivre au Covid 19 ?

Les creusois, les corréziens voient également arriver des SUV immatriculés 92, 75, 78… Tous ces gens qui  ont gardé la vieille maison de grand-mère ou veulent encore assurer leurs arrières, mais qui regardaient d’un air condescendant le petit paysan. Là encore, renversement des valeurs, quand ils viendront lui demander quelques œufs et un peu de jambon. « Ben alors ? Il est fermé votre grand magasin parisien ? Elle est grippée votre grande industrie agro-alimentaire ? » soufflera le vieux marcel entre ses dents jaunis par le tabac. « L’air est meilleur à la campagne ? C’est fini Disney Parade ? La banque dans laquelle vous travaillez, elle est fermée?… Fini de vous rendre des services, vous abandonnez le tertiaire…pour revenir à du primaire…Le monde agricole vous intéresse ? Les chiffres et les alignements de zéro ont décidé de se sauver…Ils sont en grève ? à l’arrêt ? » Il se gondole le Marcel… De les voir tout piteux dans leur petit ciré…posant délicatement leurs mocassins entre les bouses fraîches laissées par les vaches qui viennent de passer. Bien sûr on ne va pas tirer sur une ambulance. Monsieur Delaistray qui vit dans le XVI ème arrondissement, n’a pas l’habitude de se laisser malmener… Mais là, l’ambulance elle est bourrée d’explosifs…Monsieur Delaistray il vient avec femmes et enfants… et ils sont comme ça des milliers. A descendre pour fuir la capitale et venir se réfugier en pays non contaminé…

12h

Etrangement quand je regarde ma bibliothèque je me dis, que même ici, entre mes livres, le covid 19 s’est invité. Il transforme l’attrait que je pouvais avoir pour certains auteurs. La littérature contemporaine s’érode pour laisser place aux valeurs sûres… Dumas, Hugo, Dostoïevski sont remontés en haut de la pile. Les livres inachevés auront droit à une seconde vie. Je les regarde, je les couve du regard, demain peut-être qui sait aujourd’hui… je lis différemment. Moins goulûment peut-être. J’ai plus de temps. Macron me l’a bien dit, il a insisté, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : « il faut lire davantage… » Incroyable… Lui qui parlait point de croissance, novlangue et bussiness american school project branché, s’en trouve réduit à me dire : « allume ta petite lampe de chevet, installe toi confortablement dans le canapé, et lis…Lis mon ami… » Décidément ce covid est plus disruptif qu’un acid ou une pilule de LSD… On n’en voit encore que les premiers effets. Même mon journal s’en trouve transformé…