Les blés
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Les blés
Va-t-il rentrer ce soir ? Rien d’autre ne saurait occuper les pensées d’Iris. Va-t-il revenir ? Avec quoi, avec qui ? La dernière fois, il y avait du pain chaud sur la table et du vin blanc pétillant au frais. Iris avait attendu Matthieu une heure ou deux en lisant, et puis était allée se coucher. Au matin, il était allongé sur le tapis, non sur le canapé mais sur le tapis, yeux grands ouverts, mains croisées sur le ventre, souriant. La moitié du pain avait disparu mais pas une goutte du vin. Des fraises étaient sur la table, juste cueillies. Il avait observé les étoiles filantes toute la nuit, c’était son explication.
La fois d’avant, il avait observé une famille de blaireaux. D’après lui.
Iris n’osait pas demander plus avant, cela faisait trop longtemps qu’elle connaissait les absences, les silences et les failles de Matthieu.
Une fois seulement, elle l’avait confondu dans ses absurdités, ses demi-vérités et ses vagues mensonges et la dispute avait été terrible. Matthieu avait pleuré. Iris aussi. Le chat était au milieu, déconcerté, tournant dans un sens puis dans l’autre, ne sachant vers qui aller.
Ce matin-là, Iris trouva une femme âgée, à la table de la cuisine. En train d’attendre poliment, un bol devant elle, comme si elle s’attendait à ce qu’on lui serve le café. Elle n’avait rien dit, hormis un bonjour aimable et avait, effectivement, fait puis servi du café. Attiré par l’odeur, Matthieu avait débarqué, calme, plein de cette sereine affection qui le caractérisait.
Iris n’avait jamais demandé qui était cette femme ni d’où elle venait.
Matthieu chantait. C’était pour ça qu’Iris l’aimait, à l’origine, et pour cela qu’elle avait notamment continué de l’aimer.
Matthieu chantait, toute la journée. Ce n’était pas son métier mais cela aurait pu. Il avait une voix d’une grande pureté, et un talent particulier pour se souvenir des paroles d’à peu près tout. Il chantait la Flûte enchantée, il chantait des cantates de Bach, il chantait Leonard Cohen et David Bowie. Son talent était fameux parmi leurs amis et parfois, il organisait des sortes de micro-récitals, rien que pour eux. A la carte, passant d’un genre et d’une époque à l’autre, avec cette fluidité et cette aisance qui le caractérisait.
Iris ne chantait pas, ou faux, alors elle ne chantait quasiment jamais. Elle écrivait. Matthieu disait d’elle qu’elle était une artiste et lui un interprète.
L’accident était la dernière chose à laquelle Iris avait pensé. Elle avait envisagé toutes les possibilités, les blaireaux, les étoiles filantes, le défilé de motos anciennes, les méandres de la rivière captivant son attention, le vent dans le blé, les chants des vêpres à l’abbaye voisine, une rencontre impromptue, l’alcool, qu’elle envisageait toujours, alors même qu’elle savait pertinemment que Matthieu ne buvait qu’en sa compagnie, tout, mais pas l’accident. Il avait toujours été un homme prudent, curieusement, dans sa folie et dans son inconscience des choses matérielles. Prudent, précautionneux, capable d’attendre qu’une voiture passe, alors qu’elle était à plusieurs centaines de mètres encore, pour traverser.
Alors Iris n’avait pas envisagé l’accident. La fatalité, l’idiotie, l’ineptie de l’accident.
Sa brutalité, non plus. Son injustice. La douleur qui s’ensuit.
Photo by Glenn Carstens-Peterson Unsplash