La première fois que je suis venue, honnêtement, je ne m'en souviens pas trop. Ou plus zegzaktement, je préfère ne pas trop m'en souvenir encore. Je débarquais d'Ebraaa, comme une écossaise m'a dit de le prononcer, où j'avais passé une année à valider le fait que je ne serai jamais prof, et encore moins à la fac, en les Eétats. Ni moi, ni la fac n'étions vraiment prêtes à nous rencontrer. Ca puait l'obligation de toutes parts.
C'était donc déjà une fuite. Une envie de "break free" parce que le reflet "you're so self-satisfied, I don't need you" m'éblouissait trop dans chacun de mes neurones miroirs.
Parfois j'essaye de compter le nombre d'adresses auxquelles j'ai fait parvenir un courrier aussi pauvre et attendu qu'une modernité usagée. Plus de 20? Plus de 30? Entre les deux, probablement, mon Capitaine.
Mais.
Mais toutes étaient "en ville", ou dans leurs périphéries trop proches.
Aucune "à la campagne".
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Je m'estime, le plus souvent possible, comme quelqu'un de pas trop bête, voire un tantinet capable de se projeter.
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Et bien il m'aura fallu 5 ans, un Master 2, 2 saisons en tant que serveuse, une élection municipale, l'achat d'un petit local rien que pour "mon projet", une élection départementale et régionale, une pandémie, 2 saisons en tant que serveuse pendant une pandémie, une élection présidentielle, et quelques Zautres petits détails pour comprendre que tout ce que je croyais savoir...n'était pas suffisant. Et que paradoxalement, alors même que je le sentais mais ne pouvais pas dire d'où ça venait egzaktement, je l'étais, suffisante, arrogante, et surtout tellement peureuse.
Ce n'est pas que je ne le savais pas avant, mais "en ville", on s'en arrange.
On rentre bien vite dans son petit appartement, on allume sa télé et on se rassure. Parfois on s'inscrit au sport, ou à la couture, ou.
Dans "une commune française située dans le département de Loir-et-Cher", on finit par rencontrer les mêmes personnes, encore et encore. Ceux qu'on aime, ceux qu'on aime moins, ceux qu'on aime pas du tout. Mais on ne peut pas les éviter indéfiniment.
J'avoue, ou j'admet comme disaient les djeun's il y a encore 5 ans, que je n'ai pas beaucoup voté dans ma vie. C'est que je prenais l'affaire très au sérieux. J'estimais, à 18 ans, que je n'étais pas encore capable de faire un choix clair, sinon "éclairé". J'ai donc pris le temps d'étudier le mieux possible l'échiquier politique français de l'époque, d'écouter les discours, de lire les programmes...jusqu'à mes 25 ans. Nous sommes en 2001. J'écoute encore et encore. Nous sommes encore dans "le monde d'avant". Je me sens...responsable, je fais de mon mieux. Juste avant mon 25eme anniversaire, le 11 septembre sonne le glas du "monde d'avant".
Je me souviens, comme tout le monde, d'où, de quand, de comment.
Dans la voiture de ma mère, revenant du bureau de poste où j'avais fait mon travail de facteur, c'était à la radio et ma mère essayait de trouver les mots pour me prévenir, sans y parvenir, à son habitude. Et à la mienne, je ne l'écoutais que des Zoreilles.
"Un avion s'est abattu sur les Twin Towers, nos envoyés spéciaux nous tiendrons informés, des éditions spéciales sont prévues toute la journée, nous ferons tout pour vous tenir informer en temps et en en heure, blablabla, blablabla...".
Ma main droite s'est repliée sur elle-même. Mon bras droit s'est levé. Et s'est rabattu sur la portière avec force, mais je n'ai rien senti. Le tout de ce mouvement accompagné de cette phrase que je ne peux, ni ne veux effacer, parce qu'elle est le point de départ de tout ce que j'essaye de faire depuis, pour moi, pour me sauver de moi-même, et sait-on jamais, un écho permettra peut être un jour à quelqu'un d'en faire autre chose.
"Je suis jamais au bon endroit au bon moment!"
Tout mon corps, mon esprit, mon âme, et tout le reste était...déçu de ne pas y être. Y être où au juste?
Au milieu du chaos.
Là où ma colère, mon désespoir, mon courage et ma lâcheté et tout le reste...auraient pu s'exprimer "librement".
Mais quelle colère, quel désespoir, dans le corps d'une jeune fille de presque 25 ans, pas bête, pas moche, et pas si feignante que ça, dans un pays qui pouvait lui offrir ce qu'elle voulait, pour peu qu'elle ait su ce qu'elle voulait, au moins un peu...?
Je ne savais absolument pas ce que je voulais. Justement parce que ma mère avait fait ce choix pour ses enfants d'une modernité de ville offrant tout ce qu'on pouvait bien vouloir acquérir de satisfaction immédiate, mais coupant toute relation avec quelques racines trop "traditionnelles" pour offrir un "avenir décent". J'avais été au lycée Robert Schumann pendant 4 ans, sans m'être jamais posé la question de qui était le bonhomme. Européenne? Ne te pose pas la question, tu l'es, c'est tout. Tu écoutes l'hymne à la joie et tu applaudis. Et tu le fais, parce que tu sens bien que si tu le fais pas, ca va poser problème, et tu en as assez pour en rajouter que tu ne comprends même pas. Et ne pose pas trop de questions, au risque que les gens se rendent compte que tu ne sais même pas qui tu es.
J'avais été à la fac. J'y ai appris des trucs et astuces pour paraitre un peu moins bête que les autres. Paraitre. Pas être. Et c'est là deux rives d'un fossé qu'aucun pont ne reliera jamais plus qu'un temps. Et ce temps s'écoule de plus en plus vite, on est presque à la fin du sablier.
Et, au bout de 5 ans, pendant lesquels j'ai planifié au moins 5 fuites possibles, y compris très dernièrement, ce matin j'ai eu une "nouvelle sensation". Celle de pouvoir moua-même, avec mes petites mains, retourner le sablier. Ne pas attendre que quelqu'un le fasse à ma place. Ou en faire un autre. Ou faire autre chose qu'un sablier. Ou...ou...
Parce que qu'on le veuille ou pas, ce sont des Zindividus qui votent. Et j'ai envie, sans savoir ni comment, ni quand, ni comment, d'aller parler à chacun des Zindividus de cette "commune française située dans le département du Loir-et-Cher", au-delà de ce tableau, mais avec lui. Ceux que j'aime, ceux que j'aime moins, ceux que je n'aime pas du tout. Ici et maintenant comme le dirait pompeusement un mauvais programme de didactique. Ca prendra un peu de temps, d'espace, d'humilité, et deux ou trois milles Zautres ingrédients. Mais il n'y a rien d'impossible.
Vivre ensemble.
Ca m'a toujours paru louche de le proclamer, trop haut et trop fort. Comme pour désigner "ceux qui ne voudraient pas et dont il faudrait se méfier". Et j'ai toujours eu l'intuition que pour que cette "lumière" ne porte une ombre trop lourde sur tous ceux qui n'auraient pas eu la chance d'être au premier rang, directement éclairé-e-s-z-etc par elle, il fallait que nous soyons tous conscients d'être au même point de départ: dans l'ombre.
Il m'aura donc fallu 5 ans pour accepter de me regarder un peu en face. Il en reste 5 pour prendre ce peu d'information et aller à la rencontre d'autres Zindividus. Je n'ai ni confiance, ni défiance. Ni courage, ni lâcheté.
Je suis, le plus humblement possible, une habitante d'une "commune française située dans le département du Loir-et-Cher" et je veux y vivre avec les autres habitants.
J'ai pour moi, au travers de ma petite vie, une certitude. Personne ne pourra me dire qui je suis à ma place. Et je ferai donc mon possible pour ne dire à personne qui "ils" sont à leur place.
Et partant de là, on arrivera quelque part. Peut être que les ponts ne sont pas les premiers ouvrages à penser. Peut être même que les plus solides d'entre eux se construisent avec bien d'autres matériaux que ceux auxquels on a pensé jusqu'ici. Peut être bien que la modernité et la tradition n'ont pas tant besoin de l'humain pour se marier, laissons les simplement se parler, pour l'heure.
La loire et les berges nous le racontent déjà...il suffit de tendre un peu plus que les Zoreilles pour les Zentendre...
Alexia Monrouzeau 2 anni fa
Putain, merci. Faudra que j'en fasse un sur "putain" au pas sage...
Fabrice Jayles 2 anni fa
Putain, bravo, et merci pour la claque!