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Le film Scandale, d'Akira Kurosawa

Le film Scandale, d'Akira Kurosawa

Pubblicato 7 ott 2020 Aggiornato 3 feb 2022 Cultura
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Le film Scandale, d'Akira Kurosawa

Scandale, film de Akira Kuoswa (1950)

Akira Kurosawa réalise Scandale en 1950, à une époque où le Japon est sous contrôle américain, suite à la défaite de 1945. Le réalisateur dénonce, dans ce film, une certaine liberté d’expression qui s’empare de l’image pour falsifier la réalité et "faire n'importe quoi" comme le déplore l'une des victimes, le peintre Ishiro Aoye, interprété par le talentueux Toshiro Mifune. Suite à une rencontre, fortuite, avec une célèbre chanteuse Miyako Saïjo, interprétée par Shirley Yamagushi, le couple se trouve entraîné par une vague mensongère, orchestrée et diffusée, à grande échelle,  dans Amour, journal d'une maison de presse à scandales. Photo volée, vie privée violée, mensonges et calomnies vont se dresser face à une vérité nue,  incarnée par les deux artistes. L'avocat, sensé les défendre, Attorney Hiruta, interprété par  Takashi Shimura, se trouve au centre des deux parties, corrompu, il est tiraillé entre le monde du mensonge incarné par l'éditeur, Eitaro Ozawa, dans le rôle de Hori et la vérité représentée par la chanteuse et le peintre. Touchant, le personnage de l'avocat entraîne le spectateur, dans cette tension, tout au long du film Scandale

Rencontre des deux artistes dans Scandal  Kurosawa

 

Scandale : l’œil du peintre selon Akira Kurosawa

Le film Scandale d'Akira Kurosawa débute par une rencontre entre le peintre face à la montagne et trois personnages qui viennent regarder sa toile pour se lancer, communément, dans une critique de sa peinture qu'ils ne trouvent pas ressemblante. L'artiste répond, d’une manière amusée, que lui dans son intérieur, c’est ainsi qu’il voit la montagne et qu’elle bouge. La vue du peintre n'est pas crédible aux yeux des paysans.

Le film Scandale annonce déjà cette vision intérieure, libre des conventions et le regard des personnages qui cherchent un point d'appui dans la ressemblance. La scène annonce  l'expression artistique et son besoin de liberté qui va bientôt s'étouffer dans le bruit de la ville.

Le peintre confie à la chanteuse qu'il a accompagnée chez elle, qu'en sa peinture, les critiques d'art cherchent celui qu'il imite. La célèbre chanteuse est, quant à elle, venue se reposer dans cet hôtel, du voyeurisme, exacerbé, malgré elle, par sa célébrité et qui lui pèse.

On note que, sur le lieu de sa rencontre avec le peintre, son chant est interrompu par les regards. 

Scandale est un film qui révèle le regard, miroir de l'intériorité, la vision est centrale dans ce film.

L’artiste est doué d’une faculté supérieure, une intuition qui le guide et une perception de la beauté qui va au-delà des apparences. Ainsi, dit-il, plus tard, de l’avocat, qui n’a pas fait bonne impression :

 en regardant bien, on voit qu’il a un beau regard."


L’œil qui voit, n’est plus l’organe trompeur mais une énigme à déchiffrer, on entend la fille de l’avocat, Yoko Katsuragi dans le rôle de Masako, dire à son père :

«  j’avais de la fièvre, je voyais clair, je voyais au fond de son cœur. »

Le regard est tantôt trompé, tantôt clairvoyant.

L’image qui fait scandale dans le film de Kurosawa

L’image volée est l’objet du délit, elle est, surtout, la révélation de l’américanisation du Japon et de l’arrivée, sur le sol japonnais, de cette nouvelle forme de presse, car si le plaignant veut rétablir la vérité, l’accusé, responsable du journal et de la publication se défend en invoquant la liberté d’expression.

Le regard se fait voyeur, il pervertit la réalité, crée un mensonge, l’alimente, le diffuse dans un intérêt financier et pour finir, corrompt l’avocat, pour obtenir gain de cause au tribunal.

L’image n’aurait pas un tel impact si elle ne trouvait pas accueil. La multiplication de sa diffusion révèle d’autant plus la nature des regards que le tableau se dérobe à celui du spectateur.

Les personnages qui témoignent en faveur de l’éditeur du journal Amour, lors du procès, sont représentatifs des lecteurs qui se délectent de cette presse. L’œil voyeur, calomniateur, accusateur, et complice, s’alimente d’histoires imaginaires dans un monde où la fausseté se normalise dangereusement. Le regard doit s'éduquer semble nous dire Akira Kurosawa.

Scandale, Akira Kurosawa


Le film d'Akira Kurosawa est un tableau qui ne se révèle pas au spectateur et d'une image, objet du scandale, omniprésente. Deux univers, que tout oppose, se confrontent, Aoye se défend en donnant d'abord un coup de point à l'éditeur et déclare à la presse qui s'alimente de chaque événement : 

C'est mal d'avoir été violent. Mais la violence, c'est pas seulement des coups de poings. Cet article est une violence bien pire. C'est un crime modernisé."

Scandale ou la mélodie interrompue

Le chant mélodieux est interrompu brusquement par les regards et d'un tableau qui ne ressemble pas, en cherchant la représentation dans l'objet imité, dans le semblable, le récit évoque la création entravée, la liberté comme acte créateur inconcevable, d'emblée.

Scandale est le film du bruit, de l’intériorité agressée, de la vérité qui ne peut se dire, du cœur condamné au silence, et du mensonge qui trouve un public, qui crie, qui s’affiche, qui se paye d’un salaire.

Le spectateur qui veut voir le tableau adopte l’œil du peintre, cet homme qui voit l’étoile avant sa naissance, perçoit l'invisible et voit au delà.

la chanteuse annule son récital, calomniée,  elle est traitée de traînée et de libertine.  

Le peintre décide de mettre un terme à son exposition, car le public, dont la vision est corrompue, vient, enfiévré par la romance, mise en scène par la revue à scandales. Ce n'est pas l'esprit qui attire la foule dans une exposition mais le corps passionné, déréglé et entraîné dans le mouvement de masse.

La réflexion sur la peinture au Japon et le nu absent de la tradition nippone, est révélateur d'une vérité qui ne trouve pas accueil, les deux artistes sont étrangers dans ce monde. 

La description du tableau nous parvient à travers le regard des autres, les préjugés, le seul moment où on voit la naissance de l’œuvre du peintre est lorsque l'artiste dessine les yeux de la chanteuse, l'expression d'un lien qui n'a pas pu se dire, un mouvement de l'âme empêché, un amour confisqué. C'est aussi, le clin d'oeil vers le spectateur du film qui voit et doit se questionner sur ce qu'il voit et comment il le voit.

Scandale, film de Akira Kurosawa : les yeux

 

Scandale entre illusion et réalité

Scandale est un film qui ne montre pas, il donne à voir, Akira Kurosawa implique le spectateur dans une réflexion profonde sur un fait social, celui de l’arrivée d’une presse violente qui joue avec les mots, manipule les images au nom du profit, une crise morale qui interroge aussi bien l’auteur de média que le lecteur sur le  mensonge et la falsification de la vérité. Mais, au delà de l'intrigue, c'est le regard du spectateur qui est questionné.

Comme dans La Forteresse cachée Akira Kurosawa met en perspective deux manières d’être au monde : l’une qui s'égare dans le monde de l’illusion, générateur de désordre et de souffrances, et l’autre monde, celui du réel, tel qu’il est et qui nécessite courage, connaissance de soi et éducation. C’est toute la question du perfectionnement de l’Homme qui se retrouve, de nouveau, centrale dans l’univers du cinéaste Akira Kuroswa et le personnage de l’avocat l’incarne d'une manière vive et touchante dans ce film.

Scandale, film de Akira Kurosawa

 

Scandale, de la laideur à la beauté

Scandale de Akira Kurosawa est un film de paroles, de bruits, d’images  et de preuves, mais aussi un film très poétique. En parallèle à la vulgarité des reporters, se meut un monde paisible, fait de calme, de justesse et de beauté. La fille de l’avocat, Masako, atteinte de tuberculose et alitée depuis cinq années, réconforte le peintre dont l’expression du visage dévoile une tristesse et un mal être en réalisant la gravité de l'état de santé de la malade. Compatissante, elle  se dévoile à l'artiste, l'amour, comme facteur révélateur du réel est exprimé, à travers cette délicate jeune femme, amoureuse de la vie et de la beauté :

« les gens pensent que je dois m’ennuyer, dans ce jardin de poche, il se passe tant de choses : les fleurs s’ouvrent, l’ombre des nuages passe et les oiseaux chantent. »

Le monde extérieur est à l’image du monde intérieur, on peut y voir beauté et poésie malgré le cadre restreint, la jeune malade fait part de son univers intime dans lequel le peintre plonge de tout son être, attiré d'abord par son beau regard.

L’accent est mis, par contraste avec les dialogues tenus lors de la fête du nouvel an au bar,  sur la saveur du moment présent et son intensité, la vie qui se goûte maintenant, il faut saisir cet instant au vol, à l’exemple du kimono, cousue par sa mère et qu’elle contemple avant qu’il ne soit livré.

La beauté les unit déjà, elle lui demande de regarder le kimono, cousu pour une mariée, avant qu’il ne soit livré. La vie, c’est le présent, la beauté extérieure reflète la beauté intérieure. Ici, le regard est guidé pour contempler la beauté qui ne dure pas. Le regard guidé renvoie à l'idée de l'éducation du regard que j'ai évoquée. Le guide est le maître des passions désordonnées et le formateur d'un disciple avide de vérité.

Le film Scandale (1950) de Akira Kurosawa

 

Le film Scandale : amour propre ou dignité

L'amour propre empêche de voir et de comprendre. La presse fait fortune car ses cibles ne se défendent pas : "les lecteurs affichent un mépris, tout au plus", affirme le responsable de la revue.  Ainsi quand il attaque, il est sûr de son "coup".

Dans le même esprit, le modèle interprète les paroles du peintre sous le voile de son amour propre, ce dernier lui signifie : "tu es bête et idiote".

l’indignation du peintre face au mensonge et à la popularité qui en découle est vue comme un excès d’amour propre par les galeristes en charge de son exposition, par effet de projection, ils sont incapables de bien interpréter l'intention du peintre. 

Au moment où l’avocat est prévenu d’un coup de fil et où il refuse de répondre à l’invitation, le message est déformé par le propriétaire qui a réceptionné l’appel, ce qui fait fléchir la position de l’avocat dont la volonté est déjà bien faible, vers la décision de se rendre au champ de courses et cède, ainsi, à la tentation en acceptant la liasse de billets qui signe sa corruption et son pacte avec le mensonge

On voit comment l’amour propre est un obstacle à la vérité, le voile qui ferme l'accès à la connaissance.

La chanteuse est sollicitée par son agent pour profiter de cette popularité en laquelle, il voit une oportunité. En guise de réponse elle chante une chanson qui parle d'un pays lointain où des fleurs s'épanouissent, une évocation, peut-être, au poème de Baudelaire, Invitation au voyage. Elle finit par dire fermement qu'elle ne veut pas de popularité sans respect.

La maison d'édition se défend en mentionnant qu'il y va de son honneur.

L'amour propre, une construction sociale, illusoire car élaborée sur une image et la dignité qui trouve sa source dans le respect, la justice et la vérité sont deux concepts clés pour lire le film Scandale d'Akira Kurosawa.

Le film Scandale de Akira Kurosawa

 

Le film Scandale : tourment entre mensonge et vérité

L'avocat ne maîtrise pas son image et n'a souci d'elle. C'est l'homme qui n'a pas "réussi" à devenir un vrai salaud. Les yeux de sa fille sont le regard de sa conscience, il se confie, en pleurs, à son enfant aimée et aimante et confesse avoir toujours été trompé et moqué et pour ne plus subir cette injustice, il a décidé de tromper les autres, pensant que les choses changeraient en sa faveur. Un retour sur soi qui lui fait dire que les hommes feignent la force parce qu'ils sont faibles. 

C'est un homme qui a voulu entrer dans le monde des crapules mais n'y a pas trouvé place, à voir la scène où il est ridiculisé à cause de son costume quand il entre dans la salle du tribunal. L'avocat incarne l'homme qui n'a pas su jouer les règles du jeu des salopards. 

Ce père accablé, sous le poids de la culpabilité et de la honte, se traîne dans un monde où il n'ose plus se montrer devant ceux qui l'aiment, voir la scène où il regarde, à travers la cloison, sa fille, qui fête Noël avec les deux artistes et la mère. La cloison est l'image du mensonge qui l'a séparé des siens, il se croit indigne d'eux et pourtant, ils ne l'ont pas rejeté. 

Scandale, Akira Kursawa

 

De la rédemption à la grâce 

Ce qui caractérise cet avocat, c'est la sincérité, son apparition nue dans le monde, on peut dire que s'il n’a pas réussi dans le monde de Hori, celui de l'image et du spéctacle, c'est bien parce qu’il souffre de faiblesse. Mais, il ne falsifie pas la réalité, son cœur n’est pas corrompu, même s'il l'a été par son acte. Cet homme qui aime sa fille  a compati pour le peintre. L'amour est rédempteur dans le film Scandale.

C'est l'étoile en lui qui reconnaît l'étoile en sa fille. Akira Kurosawa nous invite, toujours, à  cet aller-retour entre l'extériorité et l'intérieuriorité.

Après ce désamour de soi, la mort de sa fille, emporte cette part de lui qui voulait réussir, c'est dans son annihilation que l'avocat trouve son salut après avoir imploré le pardon.

Le seul témoin à la naissance de l'homme nouveau est le peintre. Sa connaissance intuitive annoncait cet éveil.

Cette réalisation est inhérente au métier d'avocat qui a permis la transformation pour une renaissance.

L'avocat témoigne en dernier lieu en faveur de la vérité, il est l'homme qui se met au service de la vérité. On peut dire que la fonction est méritée, à présent. Devenir avocat est une conquête, le métier est formateur.

Comme dans le premier film d'Akira Kurosawa, La Légende du grand judo, Scandale est le film de la formation.

Scandale est un film bouleversant, poétique mais aussi sans concession devant ces importations qui viennent menacer la relation au réel, à voir la scène où Ayoe arrive sur sa moto avec un sapin de Noël et où les enfants le saluent en l'appelant M. Ayoe, auxquels il répond : 

"je ne suis pas M. Ayoe. Je suis le père Noël"

 

Ce n'est pourtant pas les valeurs occidentales qui sont rejetées dans ce film, les valeurs christiques sont adoptées favorablement. Mais la question du rapport au réel est cruciale chez Akira Kurosawa et ce phénomène de la presse qui pervertit le regard, au nom du profit,  annonce une décadence qui inquiète le cinéaste. 

Scandale film de Akira Kurosawa

 

Scandale est un lieu, Scandale est un bruit.

Le film Scandale est l'endroit où les sentiments naissants sont confisqués, la parole vraie est empêchée, l'expression qui se cherche ne peut pas naître, voir toutes les scènes où le peintre se gratte la tête, signe qui signifie la pensée qui peine à s'élaborer. Quand il fait du bruit avec sa moto pour couvrir le bruit de son modèle qui parle faussement est un indicateur de cette absence de pensée et de son élaboration. Le peintre n'a pas les mots.

Et pourtant, une parole se distingue, celle de l’avocat qui parle, à lui-même, à haute voix. Les mots qui disent le désamour de soi. La parole de l'avocat est celle qui n’a plus de barrières, ni  le rempart de l’amour propre, c'est la vérité qui se cherche nue et se fait piégée dans un monde de paroles bien ficelées, calculées et maîtrisées. C’est bien cette parole qui échoue à la fin du film Scandale, lorsque l’avocat témoigne en faveur de ses clients et dit la vérité. La parole véridique l'emporte sur la parole mensongère dans le film Scandale d'Akira Kurosawa.

Scandale, le procès film de Akira Kurosawa

 

Le film Scandale d'Akira Kurosawa est le déroulement de la transformation intérieure d'un homme, le projet cinématographique portait le germe de cette ligne directrice dans le premier film du grand cinéstate, La Légende du grand judo. Le film Scandale est une réponse au monde de la presse à sensations, que le cinéaste condamne. Une alerte contre le danger de la presse à scandales. Après tout ce bruit, il ne reste, à la fin du film, que papiers déchiquetés et emportés par le vent : vanité, mensonges et illusions appartiennent au monde de la mort et la vérité triomphe du mensonge.

Chant, poésie et peinture, le film Scandale d'Akira Kurosawa est un hymne à l'expression artistique et à la création qui a besoin de liberté pour se réaliser.

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