Le Chasseur du Temps
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Le Chasseur du Temps
Il y a fort longtemps, bien avant que le royaume d’Éternitia ferme ses portes au monde de Britannia, il existait un prince au nom de Bernat.
Bernat était courageux, beau et méticuleux. Il savait se faire apprécier des autres et respectait son peuple. Il était d’une extrême bienveillance à l’égard des plus pauvres.
Un jour, il tomba amoureux d’une jeune femme qui s’appelait Flora. Orpheline d’une gentille famille, celle-ci résidait dans son château et l’aimait tout aussi passionnément. Elle attendait avec impatience, ce jour, où il demanderait sa main.
La date du mariage arriva et se posa dans l’agenda du prince. La veille de l’événement, Bernat décida d’aller voir sa promise pour lui annoncer la nouvelle. Flora laissa son cœur s’inonder de joie. Dans ses bras, elle lui avoua qu’elle avait anticipé ce moment.
Le jeune prince l’informa qu’il viendrait la chercher demain pour l’amener dans son château où une église immense allait accueillir la cérémonie des tourtereaux. Roi, reine, prince, princesse, comte, comtesse, chevaliers et tant d’autres allaient pouvoir témoigner de leur grande amitié.
La nuit s’apprêtait à tomber. Bernat n’arrivait pas à se séparer de Flora. Il avait pourtant pas mal de routes à accomplir. Quand il se décida à quitter ses bras pour rentrer chez lui, la peine lui fut considérable, mais Flora piaffait d’impatience d’être à demain.
La jeune femme se rendit au balcon de sa fenêtre et regarda Bernat partir pour profiter encore de sa présence.
— Mon amour, dit-elle. Je suis aussi triste que toi de te voir t’en aller. Il me tarde d’être à demain. Dès le chant du coq, je serai ici, à cette fenêtre. Je guetterai ton arrivée.
— Par tous les saints de Britannia, je serai à cet endroit dès les premières lueurs du jour, rétorqua Bernat.
— Je t’y attends déjà, mon bien-aimé. S’il en tenait qu’à moi, je resterai là à patienter toute la nuit. Et mes cheveux bruns qui te plaisent tant deviendront une crinière d’argent.
En entendant les paroles de Flora, Bernat éclata de rire.
— Ma douce ! Il n’y a point besoin d’attendre. À l’heure qu’il est, tout le monde se trouve dans mon royaume et il me tarde de ne pas les décevoir !
Avec un dernier signe de la main, Bernat s’en alla en galopant sur son cheval. Celui-ci courra toute la nuit qui devenait de plus en plus dense.
Bernat connaissait parfaitement sa route. Il l’avait parcourue si souvent pour retrouver sa promise, et ce, de nuit comme de jour. Il savait qu’il allait devoir chevaucher jusqu’à minuit passé. Sa nuit serait courte, son repos aussi. Mais il aimait tellement Flora, qu’il se sentait capable de supporter toutes les fatigues du monde de Britannia sur ses épaules.
La lune n’était pas encore levée, mais l’air était doux. Un vent léger caressa le visage du jeune homme. Il huma des odeurs qui venaient du bois de Brocélianda. Soudain, il se mit à siffler une mélodie d’une autre époque. Son cheval bondissait facilement sur le chemin. Ensemble, ils sautèrent par-dessus des taillis, des ruisseaux et décidèrent de prendre une route plus courte en allant dans un bois sombre qui leur permettrait d’atteindre une plaine.
En sortant de cette forêt, Bernat entendit des cors de chasse. Il arrêta son cheval. Qui pouvait bien chasser à une telle heure de la nuit dans une pareille obscurité ? Il ne put s’empêcher d’aller voir et de suivre cette chasse, ne serait-ce qu’un certain temps. Au lieu de rentrer dans son château, la route lui sera plus courte pour retrouver Flora.
Rapidement, il alla à l’endroit où il entendait les cors. Brusquement, la forêt s’illumina d’une lueur provoquée par les profondeurs du sol.
— Par tous les Britannors, suis-je tombé sur un fabuleux trésor ?
En se rapprochant, derrière des troncs de chêne, il découvrit toute une troupe de chasse. La plupart des participants étaient vêtus de grands manteaux rouges et noirs.
Celui qui paraissait être le meneur était un vieil homme maigre au regard perçant. Dès qu’il vit Bernat, il lui fit un signe du bout de sa cravache pour l’accueillir chaleureusement. Cet étranger était installé sur un cheval tartare où les muscles frémissaient sous cette curieuse lumière qui éclairait la clairière. Autour de lui, des hommes retenaient leurs chiens, impatients de chasser.
Bernat rentra dans le groupe. Le meneur souffla dans le cor avec folie. Quand il eut fini, tout le monde entendit au loin, une église qui sonnait les douze coups de minuit dans un silence bien pesant. Au dernier son de cloche, le groupe s’élança dans un galop furieux.
Ces bois, que Bernat connaissait bien, lui parurent immenses, voire interminables. Les ruisseaux se succédaient à d’autres ruisseaux, y compris les ravins, les clairières et cette lumière qui éclairait la troupe au départ, restait auprès de tous, collée au sol. Le vent se leva, les arbres semblaient fuir quelque chose. La route n’en finissait pas. Les chiens continuaient d’aboyer et Bernat entendait toujours les échos du cor que le vieil homme maintenait, installé sans selle sur son cheval noir.
Soudain, des montagnes apparurent. Ensemble, ils les franchirent pour s’élancer par-dessus des lacs. Bernat avait chaud. Son visage suait. Cela ne dura pas, car un vent glacial se pointa. Arrivèrent-ils dans les montagnes d’Artica ?
— Arrêtez ! Arrêtez ! s’écria-t-il.
Personne n’entendait sa voix. Son cheval continuait de galoper sans paraître fatigué. Des montagnes blanches se décimèrent sous leurs pieds et soudain, le groupe s’élança encore plus vite, mais cette fois sur la mer pour retrouver un rivage assez lointain.
Terrifié, Bernat voulut quitter son cheval et tomber au sol, mais ses étriers se refermèrent sur ses pieds, le serrant comme un étau brûlant. Son cheval le possédait. Il n’arrivait même plus à bouger. Vaincu et résigné, il se décida à attendre et se laissa emporter. Il ferma les yeux, pensa à Flora. Non, il ne sera pas à ses côtés, le jour de leur mariage. Il pleura. Pourquoi s’était-il laissé prendre par sa curiosité ?
Son calvaire dura longtemps, longtemps. Cette nuit ne trouvait pas sa fin. Et cette lueur, qui semblait jaillir sous les pas des chevaux demeurait de plus en plus forte.
À plusieurs reprises, il eut chaud et puis froid. Ses membres s’engourdissaient et quelques instants plus tard, se réveillaient. Les chasseurs continuèrent de galoper sans interrompre cet épouvantable bruit fracassant.
De temps à autre, Bernat ouvrait les yeux pour savoir s’il se situait toujours à Britannia. Il voyait des montagnes, des plaines, des lacs. Et puis, il refermait les yeux, car son cœur se trouvait de plus en plus déchiré. On l’éloignait de sa future femme.
Brusquement, alors qu’il se laissait aller au fond du désespoir, sa monture s’arrêta. Il tomba sur un sol recouvert de bruyère et de mousse. Au loin, il entendit le chant d’un coq. Les premières lueurs de l’aube se levaient. Encore choqué par tout ce qu’il venait de vivre, il reprit péniblement sa respiration. Il regarda autour de lui. Il était dans une vallée où il percevait la forme indécise d’un château. Était-ce celui de sa bien-aimée ?
D’un pas hésitant, il s’y rendit à pied. Il ne remonta pas sur son cheval. Au-dessus de la porte, une silhouette apparaissait à la fenêtre. Récupérant sa joie, Bernat se précipita pour retrouver Flora. Dans ses bras, il dévora le regard de sa promise, mais il s’arrêta net. Ses yeux se figèrent. Flora possédait des cheveux blancs comme une neige installée dans une prairie, un beau matin d’hiver.
— Enfin ! Te voilà ! lâcha Flora. J’ai dû attendre trente ans dans les pires angoisses !
— Comment ?
Avait-il bien entendu ? Tout à coup, Bernat se sentit faible et si pitoyable. Il avait l’impression d’être un vieillard qui ne pouvait plus marcher.
— Flora ! Dis-moi, comment est-ce possible ?
Ils pleurèrent longuement dans les bras, l’un et l’autre. Le temps avait chassé leur histoire, mais leur amour demeurait toujours intact. Ils finirent par se marier plus âgés qu’ils ne l’auraient cru. Ils n’eurent pas d’enfants, mais le soir, souvent, aux côtés de leurs amis et d’un bon feu de cheminée, Bernat racontait à leurs petits, comment il avait perdu trente années de sa vie en se joignant à une chasse infernale menée par un chasseur du Temps.