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Jack Lang et l'exception culturelle française.

Jack Lang et l'exception culturelle française.

Pubblicato 4 set 2019 Aggiornato 25 set 2020 Cultura
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Jack Lang et l'exception culturelle française.

L'année 2019 est une année symbolique !

Nous célébrons un double anniversaire culture-tech. 

Les 60 ans du ministère de la culture, et les 50 ans du premier pas de l'Homme sur la Lune.

Scientifiques, artistes, hommes de lettres et de culture, astrophysiciens, professeurs, réalisateurs, cinéastes, observateurs, musiciens, auteurs, astronautes... Toutes et tous ont marqué l'histoire. 

Aujourd'hui, les créateurs de Panodyssey leur rendent hommage !

 

Pour cette première interview, nous retrouvons Jack Lang, ancien ministre de la culture, fondateur de la fête de la musique, et président de l'Institut du Monde arabe depuis 2013.

 

 

Bonjour Monsieur Lang et merci de nous recevoir. En France en 2018, 19 des 20 meilleures ventes musicales ont étés françaises. On voit que la culture française se porte très bien aujourd'hui, même avec la popularité de la culture anglophone. À quoi est-ce dû selon vous ? Peut-on dire que la France résiste à l'américanisation de la culture ?

 

C'est un attachement  à la culture nationale qui ne concerne pas seulement la musique, mais aussi le cinéma, la littérature, et d'autres formes d'arts et de disciplines artistiques. Pourquoi ? Parce que je pense que les créateurs français, ou les écrivains français, sont évidemment plus en prise avec l'histoire, les interrogations, les pulsions, et les rêves des citoyens de cette terre où nous sommes. Mais ça n'interdit pas que les français soient très ouvert sur le plan international. Voyez par exemple le cinéma : il est impressionnant de constater à quel point le cinéma des autres pays, et pas seulement anglo-saxon, le cinéma asiatique, le cinéma européen, le cinéma africain, accèdent aux salles de cinéma et parfois aux programmations de la télévision. Voilà ! Je pense qu'il y a une ambivalence plutôt bonne. S'enraciner dans l'histoire nationale et en même temps s'ouvrir au monde. 



Vous avez pu mener de grands projets tel que la construction de Zéniths ou les grands travaux parisiens. À quel point le soutien de François Mitterrand dans le budget de la culture a-t-il pesé dans vos projets ? 

 

Nous avions décidé, longtemps avant les élections de 1981, de consacrer un effort sans précédent à l'art, la culture, l'éducation, et à la recherche scientifique. On avait réfléchi, travaillé, imaginé. Ce n'était pas d'abord l'argent, c'était comment nous pouvions changer profondément les choses dans la vie culturelle française. Et évidement, un bon budget facilite les choses. J'ai donc convaincu François Mitterrand, dès son entrée en fonction, de multiplier par deux le budget de la culture. Cela a permis d'engager toute une série d'actions, dans tous les domaines, et pas seulement à Paris mais partout à travers le pays ! 

 

On a vu alors une grande décentralisation de la culture en France, notamment avec l'exemple des Zéniths. Qu'en est-il aujourd'hui? A-t-on conservé cette décentralisation ou est-on revenu sur nos pas ?

 

Non. Je crois qu'il y a là quelque chose de très profond, de durable. Les citoyens ont pris le pouvoir en quelque sorte. Ils se sont habitués à la présence de la culture dans leur commune, ville, ou village, dans leur département, les régions. Les élus, sous notre impulsion, ont pris le relais. Et très franchement, je pense qu'il y a là quelque chose d'irréversible. C'était une anomalie, qu'en dehors de Paris la culture ait peu de chance de vivre. Et nous avons radicalement changé les choses. Les pratiques, les habitudes, et les impulsions sont profondément ancrées dans la vie locale. C'est très variable d'un endroit à un autre : c'est l'autonomie des maires ou des départements.

 

Vous êtes connu pour avoir lancé la Fête de la Musique, mais pas seulement. Journées du patrimoine, Fête du Cinéma... comment expliquez-vous que tous ces événements connaissent encore autant de succès aujourd'hui ? Est-ce une exception culturelle française ? 

 

La fête de la musique était une exception culturelle française. Mais je me suis battu pour qu'elle fasse le tour du monde ! Et aujourd'hui il y a plus de 100 pays qui y participent, des milliers de villes et de villages. Alors bien sûr, il reste des endroits plus ou moins inaccessibles, mais globalement, on la fête partout.

C'est une invention simple ! C'est l'idée de proposer aux amoureux de la musique d'être eux-mêmes les co-auteurs ou co-inventeurs d'un événement qui leur appartiendrait. Et en réalité c'est ce qu'elle est devenu. La Fête de la Musique n'appartient à personne, à aucun gouvernement, à aucune majorité, à aucun ministre. C'est devenu le bien commun des Français. 

 

Il y a plus de 45 000 monuments historiques répertoriés sur le territoire français, parfois en piteux état à cause du manque d'argent. Comment faire ? Faut-il investir plus d'argent ou accepter de perdre une partie de notre patrimoine ?

 

La France est un pays assez riche pour faire face à cette chance, cet héritage légué par les siècles, ce privilège. Nous avons le devoir collectif de préserver ce patrimoine. De grands efforts ont étés entrepris vous savez. Il y a eu une époque très lointaine ou l'État, les maires, les élus, les citoyens, la presse avaient très peu de considération, sauf pour les grands monuments, pour la sauvegarde du patrimoine. Il y avait même une émission à la télévision qui s'appelait Chefs-d'oeuvre en péril.

On a aussi rasé beaucoup de choses : des lieux historiques, des théâtres classés, des églises, des constructions du 19e siècle  dont beaucoup à Paris. Les Halles de Baltard étaient une splendide architecture de métal, complètement détruite à l’époque du président Pompidou. On revient de loin si j’ose dire. Heureusement, aujourd’hui, il y a une plus grande attention à l’égard du patrimoine, nationalement et localement. Il est vrai que notre héritage n’est pas mince et il faut veiller à ce que l’effort soit accompli partout à travers le pays.

Un des points importants n’est pas seulement la restauration mais bien l’entretien du patrimoine. On a souvent eu tendance à négliger les crédits d’entretiens qui permettent de prolonger la durée de vie d’un monument, d’un lieu, sans avoir à le restaurer. Je crois qu’au cours des dernières années, les crédits d’entretiens ont beaucoup diminué, en particulier ici, à Notre-Dame, juste en face de ce bureau ndlr: Cette interview a été réalisée à l'institut du monde arabe. Pour moi, il n’y a aucune discussion. Tous les monuments doivent être sauvegardés ! Nous partageons ce privilège, qui est en même temps une charge, avec l’Italie. D’autres pays d’Europe comme l’Espagne ou les pays du Nord, l’Allemagne par exemple qui a été soumise à de nombreuses destructions, n’ont pas la chance de posséder un tel patrimoine. On dépense tellement d’argent dans des bêtises, des choses absurdes. Cela ne représente d’ailleurs pas des sommes si considérables. Donc il faut le faire, et hardiment, vaillamment, et sans tarder.  

 

La distinction arts majeurs/arts mineurs était courante il y a quelques dizaines d’années. Quelle était la différence réelle à ce moment là ? 

 

Je ne suis pas sûr que les expressions soient heureuses. Mais pour parler concrètement, jusqu’en 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir, le Ministère de la Culture tournait son action principalement vers les arts établis. C’était bien évidemment le patrimoine, mais pas assez, la musique classique, mais pas assez, le théâtre, mais pas assez … Bref, c’est tout ce qui s’apparente aux arts traditionnels mêmes quand ils prennent une couleur moderne, ou contemporaine. En revanche, le Ministère de la Culture ne s’intéressait quasiment pas aux musiques autres que la musique classique, ou certaines formes de musiques contemporaines comme la musique de recherche, ou la musique baroque. Les musiques “actuelles” : le Rock, un peu plus tard, la Techno, un peu plus tard, le Rap, et d’autres musiques de ce type ne faisaient l’objet d’aucune considération, pas même d’une attention, sans parler d’appui matériel. J’ai voulu changer cette attitude. Symboliquement d’abord, je me suis rendu dans des concerts autres que de musique classique, où je me rendais aussi. Je me souviens que l’une de mes premières sorties était d’aller voir le groupe Téléphone. C’est en allant à ce concert que l’idée de la construction d’un zénith m’est venu. Les conditions de représentation étaient lamentables : un chapiteau, la gadoue, des poteaux qui rendaient souvent la scène invisible, et une acoustique déplorable. La même semaine je me rendais à un concert de Stevie Wonder

Et la bande dessinée ! Nous sommes l’un des grands pays de la bande dessinée. Comment comprendre qu’il y ait une telle indifférence des pouvoirs publics ? Et même des arts qui n’étaient pas mineurs, mais un peu plus latéraux, n’étaient pas soutenus. Il y avait très peu de soutien pour la photographie alors que nous sommes vraiment le ou l’un des pays de la photographie ! Je me rappelle avoir trouvé dans le sous-sol du Ministère de la Culture des négatifs des plus grands photographes français, qui croupissaient sous la poussière. Sans parler de la mode qui était sans doute considérée comme trop factice, ou pas assez sérieuse pour mériter la considération des pouvoirs publics. Est-ce que j’ai moi-même employé cette distinction art majeur, art mineur ? Je ne sais pas. Après tout le talent ne s’exprime pas en fonction de la discipline. Il y a de bons et de mauvais artistes dans toutes les disciplines. 

 

Vous avez été émissaire spécial du Président, d'abord à Cuba puis en Corée du Nord. Comment perçoit-on la France dans ces pays isolés culturellement à l’époque ? 

 

Les deux situations ne sont pas du tout comparables. Cuba est un pays d’Amérique Latine avec lequel nous avons des rapports privilégiés, des rapports de linguistique, des rapports historiques. Cuba faisait l’objet d’un embargo américain. Les gouvernements français étaient relativement pusillanimes (ndlr : manque d’audace), sauf les gouvernements de François Mitterrand. Et j’ai convaincu le président Sarkozy de nouer des liens plus étroits avec ce pays. Non pas que nous en approuvions le régime, mais c’est un peuple magnifique, un peuple frère, très créatif dans beaucoup de domaines : musique, cinéma, peinture... D’ailleurs de nombreux artistes cubains sont présents en France depuis longtemps. 

Et la culture française est très présente. Je ne suis pas un apologue du régime, même si j’ai eu des conversations assez vives, assez étroites avec Fidel Castro de son vivant, ou avec son frère. Le Che parlait très bien français. Il l'a appris à l’Alliance Française de La Havane. Cela nous vaut la préservation du lieu historique de l'Alliance Française en lieu du superbe Palacio Gomez sur le Paseo del Prado. Il y a des liens extraordinairement riches et denses entre les peuples français et cubains.

La Corée (du Nord), c’est différent ! C’est un pays vraiment fermé avec un régime très spécial. J’y suis allé à la demande de Nicolas Sarkozy, car nous étions le seul pays d’Europe à n’avoir aucun relation avec la Corée du Nord. Alors qu’avec la Corée du Sud, nous avons des liens et des influences très fortes. La langue coréenne est d’ailleurs en plein développement. On voit d’ailleurs l’influence du soft power coréen monter en France entre la K-Pop et les animés.

 

Vous êtes donc depuis 6 ans le directeur de l’Institut du monde arabe. À quoi ressemble le rayonnement culturel français dans le monde arabe ? Celui du monde arabe en France ? 

 

Vaste sujet ! *rires*

La France historiquement est un pays qui est lié non seulement au monde arabe mais aussi au monde orientale, au Proche-Orient. François 1er avait noué des liens tout à fait exceptionnels avec le monde Ottoman et son dirigeant, Soliman le Magnifique. Les fameuses capitulations donnaient à la France et aux commerçants français des privilèges exceptionnels, juridictionnelles et autres. Quand il crée le Collège de France, François 1er décide d’ailleurs que les trois premières langues de cours seraient le grec ancien, l’arabe et l’hébreu, en plus du français bien entendu.

Il y a aussi eu les colonisations. La présence française dans ce cadre là a duré de nombreuses années surtout au Maghreb. On peut aussi évoquer la présence française dans le cadre des Nations Unies ou de la SDN, comme au Liban ou en Syrie. 

À l’inverse, la France ne peut pas être étrangère aux cultures arabes. La présence en France d’un bon nombre de citoyens d’origine maghrébine par exemple, en est un constat. Nous parlons même arabe parfois sans le savoir ! Le café : c’est un mot arabe. Quand on met du sucre, c’est un mot arabe. Lorsqu’on boit un jus d’orange : c’est un mot arabe. Il y a, il me semble entre 800 et 900 mots arabes assez courants dans le dictionnaire français. Lorsque vous utilisez l'algèbre, c'est encore un mot arabe. Il y a une assimilation, ou une pénétration, comme on voudra, aujourd'hui la France est inséparable du monde arabe.

 

Vous avez dit pour l'AFP en 2017 que le Louvre Abu Dhabi "est un projet d'espoir dans un monde qui serait respectueux des opinions et des différences". Déjà un million de visiteurs au bout d'un an. Pensez-vous que c'est un projet viable dans la durée ?  

 

Oui c'est tout à fait exceptionnel et unique comme collaboration. Cela permet d'exporter les oeuvres d'art et la culture française à l'étranger aussi et de permettre à des personnes qui ne peuvent voyager jusqu'ici de découvrir une partie de ce patrimoine exceptionnel. Je n'ai pas de doute sur la longévité du projet et la volonté de tous les acteurs pour le mener à bien. Il est important de continuer à rendre la culture accessible au plus grand nombre, que ce soit en France ou à l'étranger.

 

 

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