Août - 8
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Août - 8
Rosa regarda son père et sa tante pour attendre leur approbation.
« C’est vraiment pour moi ?
- Oui, Rosa. Mais sa valeur symbolique a disparu. Son détenteur n’est plus maître de rien. Il ne s’agit plus que d’un bijou. Un trésor moyenâgeux. Un trésor de la famille. Il est précieux parce qu’il a une histoire dont tu es l’héritière à partir de maintenant. Mais, le temps où il avait du pouvoir n’existe plus. Et c’est tant mieux, crois-moi».
Hicham serra la main de sa fille puis il se tourna vers Isidore.
« Pendant tout ce temps, c’est vous qui aviez ce bijou ? Il était à Paris ? A la mort de Djalil, la maison a été retournée pour savoir où il l’avait caché. Personne ne croyait vraiment qu’il l’avait brisé, à cette époque. Mais on n’a rien trouvé. Rien du tout, pas une turquoise, pas une émeraude, rien ! Alors le mythe s’est installé. Et Amal qui jurait qu’elle ne savait pas du tout de quoi on parlait, qui jurait qu’elle ne l’avait jamais vu ! Ha ha ha, l’art de la taqqiya à son apogée ! Et toi, Zeina, tu ne savais rien ?
- Non, non, elle ne m’avait rien dit… Je ne comprends pas... »
Elle avait l’air visiblement troublée.
La grand-mère se réveilla et eut un petit grognement.
« Cache ça tout de suite, Rosa. Il ne faut pas qu’elle le voie ! »
Rosa referma le coffret en haussant les épaules.
« Pourquoi ? Elle le connaît bien si c’était à son mari !
- Justement. On t’expliquera. »
Hicham prit Rosa dans ses bras. Zeina et Isidore allèrent sur le balcon.
« Je ne pensais pas faire un esclandre en restituant ce bijou.
- C’est que… En réalité, ce bijou a marqué le destin de la famille…
- Je sais, je connais l’histoire. Amal me l’a racontée.
- Non, Isidore. Tu ne sais pas tout. Ce bijou a une valeur inestimable. Il devrait être dans un musée d’ailleurs à mon avis. Tu l’as dit, il est chargé d’histoires. Mais de drames aussi. Et ce qu’il s’est passé en 1998, cette tragédie, est due à ce bijou.
- Comment ça ?
- Notre père a été kidnappé par une groupe qui voulait absolument ce bijou. Il a été frappé régulièrement pendant des jours, jusqu’à ce qu’on parvienne à le localiser et à le libérer. C’était des jeunes du village d’à-côté, des shi’ites miséreux, qui ont cru qu’ils pourraient s’en sortir en enlevant un vieil homme et en lui soutirant son bien. Mais mon père n’a rien dit si ce n’est qu’il avait jeté les cinq cèdres dans cinq puits et qu’ils n’avaient qu’à chercher. Les trois jeunes ont été arrêtés. Papa, très affaibli, a voulu parler à Amal absolument. Je comprends maintenant ce qu’ils se sont dit. Et pourquoi Amal n’a pas voulu récupérer ce bijou. Papa est mort au bout d’un mois. Toute la communauté et même au-delà de la communauté l’a pleuré. Il était bon. C’était un cheikh responsable. Il devait aller à Hasbaya. Avec les autres Sages. Je ne sais pas si ce collier doit vraiment réapparaître au Liban, Isidore. »
Ce dernier était gêné.
« Dans cette famille, comme personne ne dit rien, alors on fait des conneries, pas vrai ? »
Zenia rit. Puis ils rentrèrent dans l’appartement.
« Et surtout, Amal aurait pu me répondre. Je lui ai écrit des dizaines de lettres, et elle ne m’a jamais répondu. Ce culte du silence a quelque chose d’obscène aujourd’hui : je comprends les choses avec un train de retard.
- Il fallait qu’elle se protège. »
La grand-mère était maintenant debout.
« On va y aller peut-être, maintenant.
- Tu dois te préparer pour ta fête, ce soir, n’est-ce pas ?
- Oui, mais j’ai un peu de temps…
- Je vais vous laisser. Demain, je prends l’avion et j’aimerais profiter un peu de Beyrouth avant de rentrer !
- Vous aurez bien raison, il y a tant à voir ! Je dois avoir quelque part un petit guide très bien fait… Attendez, je vais le trouver. »
Hicham Hakim sortit du salon. Zeina embrassa sa nièce, Rosa embrassa sa grand-mère. Puis Isidore s’approcha d’elle.
« Tu sais, ça me fait drôle cette situation. Ne crois pas que je suis indifférent à toi, ne crois pas que j’ai envie de t’arracher à ton père non plus. Sache que tu seras la bienvenue à Paris. Et que je penserai à toi. Et… en fait, tu sais pourquoi tu t’appelles Rosa ?
- Non, pas vraiment. Maman disait que c’était en hommage à Rosa Parks. Je trouve que c’était un bon signe.
- En effet. C’est sans doute aussi le cas. Mais c’était le nom de ma mère. Amal l’a bien connue au début, parce que nous allions régulièrement chez mes parents. Un matin, elle ne s’est pas réveillée. Cela nous avait profondément marqués, Amal et moi. Je crois bien qu’elle voulait que tu portes un prénom qui vienne aussi de moi. Et que tu n’oublies pas non plus que tu es une Tannoukhi. »