Cookies ou pas, Google, Facebook et compagnie parviennent toujours à influencer les consommateurs
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Cookies ou pas, Google, Facebook et compagnie parviennent toujours à influencer les consommateurs
Malgré les mesures sur la transparence du traitement des données personnelles des internautes, les principaux acteurs de l’industrie numérique parviennent, par leurs méthodes intrusives, à influencer le comportement des utilisateurs. La réglementation européenne sur la protection des données pourrait atténuer le problème, si seulement elle était appliquée correctement.
Par Andreas Vou.
La grande majorité des utilisateurs savent que les cookies existent grâce aux messages qui apparaissent lors de l’ouverture de presque tous les sites web. Cependant, l’étendue de leur influence liée à la collecte de données ciblées demeure largement sous-estimée. Elle est la source non seulement de divers problèmes de confidentialité, mais également de problèmes sociaux, politiques et même de menaces psychologiques.
Malgré certaines réglementations qui visent à réprimer ces pratiques intrusives (nous les aborderons plus bas), des entreprises comme Google et Facebook trouvent de nouvelles façons de contourner les garanties existantes pour continuer d’influencer les clients. Ainsi, ils maximisent leurs profits grâce à la publicité et servent leurs intérêts socio-politiques.
Les cookies techniques (first-party cookies) représentent le code de base nécessaire au bon fonctionnement de la plupart des sites web. Ils gardent par exemple en mémoire les articles sélectionnés dans un panier ou les informations de connexion de l’utilisateur. En revanche, les cookies des applications tierces (third-party cookies) suivent et sauvegardent nos données de navigation, comme les articles lus, les produits regardés, le temps passé sur chaque site et les publicités sur lesquelles nous avons cliqué. Ces données créent un profil digital qui est envoyé aux agences publicitaires pour atteindre les internautes concernés par les annonces. Cela se produit grâce aux enchères automatiques, qui représentent plus de 60 % des publicités digitales.
En 2019, la publicité digitale a connu une croissance annuelle de 12,3 % en Europe, portant sa valeur marchande totale à 64,8 milliards d’euros. Depuis 2013, l’industrie a doublé et dès 2006, sa valeur marchande a augmenté d’environ 4 milliards d’euros par an. Le Royaume-Uni est le plus grand marché d’Europe (21,4 milliards d’euros), suivi par l’Allemagne (9,4 milliards d’euros) puis la France (6,1 milliards d’euros).
Aux États-Unis, en 2019, l’industrie de la publicité digitale avait une valeur de 124,6 milliards de dollars, soit 15,9 % de plus que l’année précédente. Les estimations indiquent que les publicités digitales représentent 51 % des 490 milliards d’euros dépensés pour la publicité dans le monde.
La domination des GAFA
Google et Facebook dominent l’industrie. Ces deux derniers représentent ensemble plus de la moitié du marché : Google trône en première place avec 37,2 % des parts du marché américain, Facebook occupe la seconde place avec 22,1 % des parts, alors qu’Amazon et Microsoft en détiennent respectivement 8,8 % et 3,8 %.
En 2018, Google a engendré plus de 90 % des revenus publicitaires de recherche au Royaume-Uni (publicités placées dans les moteurs de recherche). La même année, Facebook (Instagram compris) a généré près de la moitié des revenus de l’affichage publicitaire (toutes les formes de publicité affichées sur les écrans, y compris les bannières et les vidéos).
Grâce à leurs réseaux sociaux, leurs moteurs de recherche, leurs plateformes vidéo, leurs services de cartographie, ainsi qu’à des sites web et des applications tierces qui utilisent leurs services publicitaires et leurs outils d’analyse, Google et Facebook détiennent une quantité inédite de données sociodémographiques et comportementales.
De la chambre d’écho médiatique à la chambre d’émotion
Le principe des chambres d’écho médiatiques révélé il y a quelques années explique pourquoi les utilisateurs des plateformes bien connues se voient suggérer des contenus similaires, basés sur leurs habitudes de consommation d’informations, comme c’est le cas sur YouTube. De tels algorithmes enferment les utilisateurs dans un spectre étroit de croyances qui se confirment elles-mêmes. Ils empêchent l’accès aux points de vue divergents et finissent par créer une société plus divisée.
En plus de cet accès à une masse de données considérable, les GAFA peuvent influencer notre accès à l’information, mais aussi aux émotions.
C’est exactement ce que Facebook prouve en 2012, lors d’une expérience menée sur 700 000 utilisateurs sans leur consentement. Le réseau social essayait de contrôler les émotions présentes dans le fil d’actualité des internautes. Pendant la semaine qu’a duré l’expérimentation, ceux dont le feed comportait plus d’informations négatives ont posté plus de contenus dans le même esprit, ce qui a influencé leurs amis.
En 2016, Twitter vendait des données d’emoji aux annonceurs publicitaires, qui ont été utilisés pour cibler les publicités en conséquence, et donc permis d’influencer les habitudes d’achat en amplifiant les sentiments les plus souvent exprimés par les utilisateurs pour que la conversion (ndt. l’action de l’internaute attendue par l’annonceur) soit plus efficace. Depuis sa porte tambour avec la Maison-Blanche et ses dépenses de lobbying en hausse en Europe, le lien toujours plus fort entre les géants du numérique et la politique ouvre la voie à l’utilisation de ces outils sur le public à l’échelle gouvernementale.
Julia Maria Mönig, chercheuse au Comité de recherche éthique du réseau européen (EUREC Office) et à l’Université des Médias de Stuttgart, voit la collecte de telles quantités de données sur les individus par les grandes entreprises de technologies comme une menace sociopolitique, car elles s’octroient ainsi un “pouvoir asymétrique” sur les utilisateurs. “Nous ne contrôlons pas nos données, même si c’est une possibilité. Autrefois, nous avions peur que les gouvernements ne possèdent trop de données sur leurs citoyens (à juste titre, compte tenu de l’histoire de l’Europe), mais dernièrement, les choses ont changé. Nous ne savons pas du tout ce que peuvent faire les entreprises de nos données. Les publicités digitales ont été utilisées pour mettre en avant des produits, mais aussi dans le cadre de campagnes politiques”, explique la chercheuse.
Plus de transparence
Parmi les principaux navigateurs web, certains prennent des mesures pour lutter contre les cookies des applications tierces grâce à une transparence accrue. Apple a dévoilé une nouvelle version de Safari qui informe les utilisateurs sur les traqueurs en cours d’exécution, tandis que Microsoft Edge et Mozilla Firefox permettent de choisir entre trois paramètres pour limiter les cookies à différents degrés. Google a également déclaré qu’il supprimerait progressivement ces traceurs d’ici 2022. Pourtant, nous ne savons pas encore si cette solution changera réellement la donne.
L’absence de cookies tiers pousserait probablement les entreprises vers la publicité sur les moteurs de recherche, c'est-à-dire les annonces sponsorisées ou l’achat de mots clefs. Comme Google est largement le leader de la recherche web (88,14 % du marché) et que 85 % des revenus de sa société mère Alphabet (133 milliards de dollars) proviennent des liens sponsorisés sur les recherches Google et des publicités sur les vidéos YouTube, Google pourrait en profiter.
Les cookies techniques sont indispensables pour le fonctionnement de la plupart des sites Web, les GAFA savent que personne ne cherchera à les bloquer. C’est pourquoi ils ont créé des codes qui ressemblent à des cookies techniques tout en continuant à envoyer ces données à des tiers.
Facebook Pixel est un code que les sites web peuvent installer sur leurs pages, ce qui permet à Facebook de faire correspondre les visiteurs du site à leurs comptes d’utilisateurs respectifs. Les utilisateurs voient ainsi ces produits apparaître sur leur réseau social par la suite. Le pixel Facebook, qui s’appuie sur les cookies de ce réseau, fonctionne comme un traqueur tiers, capable de voir les sites consultés par un utilisateur et les appareils qu’il a utilisés, entre autres.
Julia Maria Mönig estime que la question de la vie privée est cruciale en ce qui concerne la publicité ciblée, sauf que le manque de transparence complique la tâche de l’utilisateur quotidien pour comprendre leur fonctionnement. “L’une de nos principales préoccupations est la confidentialité. Cela implique les fondements mêmes de la protection des données : l’autonomie humaine et la dignité humaine”, déclare-t-elle. “Le lien immédiat n’est pas évident, ce qui semble aggraver les choses. Le problème avec les cookies et la publicité ciblée, c’est que nous ne savons peut-être même pas que nous sommes tracés.”
Le RGPD et le choix des consommateurs
Alors que le règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’UE est critiqué pour sa sévérité en matière de violations de la vie privée, peu de sanctions ont été appliquées et ses enquêtes n’ont pas toutes abouti. Pourtant, le RGPD a le potentiel d’agir comme un véritable chien de garde et les consommateurs n’ont pas besoin d’attendre que cela soit correctement appliqué pour changer les choses.
Le dernier incident de WhatsApp a prouvé que le choix des consommateurs compte réellement. Lorsque le service de messagerie a annoncé des modifications de sa politique de confidentialité qui impliqueraient le partage de données avec Facebook, les utilisateurs s’y sont tout de suite violemment opposés.
Les plateformes de messagerie cryptées, Signal et Telegram, ont eu beaucoup de succès et ont enregistré respectivement 7,5 millions et 9 millions de téléchargements entre le 5 et le 12 janvier dernier. Signal a dépassé Google et Apple Store et son nombre d’utilisateurs a augmenté de 4200 %, alors qu’à la même période WhatsApp enregistrait une chute de plus de deux millions de téléchargements. WhatsApp a donc repoussé au mois de mai la mise à jour qui devait avoir lieu en février 2021, afin de réfléchir à sa prochaine stratégie.
Cette réaction a été possible du fait de la prépondérance de WhatsApp dans la vie quotidienne de nombreuses personnes à travers le monde. En ce qui concerne les cookies et autres pratiques intrusives de collecte de données, une sensibilisation accrue du public et des alternatives adéquates pourraient susciter des réponses similaires.