Passer à l'orange
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Passer à l'orange
⁃ Est-ce que vous pourriez "me faire" de la psychodynamique statique ?
Elle commence sa séance par cette demande. Elle sait que ce que nous faisons ensemble n'est pas une psychanalyse classique, qu'elle est codynamique. Elle connaît mon enseignement universitaire en psychodynamique écosystémique, au plus large, de la relation intime, imaginaire, au réseau de relations réelles. Chacun de nous, seul, et à deux, trois, sept toujours au centre d'un écheveau car rien n'est jamais égal par ailleurs. Elle regarde mes vidéos tips sur la chaîne You Tube vousetvoies, le nom de mon activité à ses prémisses. il y a dix ans.
Elle voit bien que dans la série "En thérapie" les gens vont un peu trop vite. Qu'ils sont tous précipités, y compris Dayan et Bouquet, par l'urgence du terrorisme. Seulement, aujourd'hui, le covid nous ralentit. Elle aimerait peut-être rester à l'arrêt. Mais c'est souvent le traumatisé qui se reste ainsi, sidéré. Alors j'enquête autour de cette piste, de cette possible piste noire, en zig zagant pour la descendre sans me perdre dans le vide.
⁃ Vous êtes patiente et en cela vous êtes capable de patienter dans une psychodynamique qui pour certains peut sembler lente, qui est bouleversante pour ceux qui la vivent, même peu à peu. Voudriez-vous vous reposer et exister ? C'est possible.
Lorsque la mère fait confiance à son enfant pour têter. C'est lui et lui seul qui lui apprend à allaiter. Rester assise est alors son seul choix. Ce qui ne l'empêche pas de sentir, penser, parler.
Lorsque le père sait son enfant sufisamment en confiance pour lâcher l'arrière du vélo. Et qu'il roule seul. Et le père l'attend de retour, confiant, rassuré.
Elle me connaît. Elle perçoit la psychodynamique toujours à l'œuvre dans ces images, entre les deux personnages : les deux tout autant aux prises dans la relation intense et dans le lâcher prise d'une volonté de contrôle. Alors, je lui demande : êtes vous la mère ou le père ? Et cela la surprend. Elle se voyait enfant, comme tant d'autres, en raison de leur accompagnement. Je reconnais cette position :
⁃ Être l'enfant, cela se produit par moments. Oui. C'est le propre d'un accompagnement. Ce sont des moments régressifs. Sans être régressif ni progressif, comment vous posez-vous à présent ?
En éclosion
Elle est aux prémisses d'une création d'activité. A cet instant où l'on ne peut plus reculer. Elle a besoin d'argent. Elle sort du dispositif aidé. Elle a besoin aussi d'étrenner sa nouvelle identité. Elle ne sera plus salarié dépendant mais profession libérale, comerciale, financière et productrice en même temps.
⁃ Je choisis la femme. Vous m'avez toujours dit que c'est plus simple d'accepter son genre en affaires de sexe. Mais je me vois davantage lâcher le vélo et cesser de courir, comme le père, que rester assise auprès de l'enfant...
⁃ Vous aimeriez pouvoir quitter cet accompagnement. C'est cela le sens de la stase...
⁃ J'y ai songé.
⁃ Vous semblez être à la fois la petite fille à vélo et l'homme debout. La petite fille est grisée par la vitesse et n'a plus besoin de pédaler. Encore moins d'un soutien. L'homme en charge accomplit sa mission pleinement une fois qu'il ne fait plus rien.
⁃ Et vous ? Vous êtes qui ?
Je réponds sans réflechir. Je prends place dans la scène sans en rien la perturber. Seulement, la réguler :
⁃ Le feu rouge ou le feu vert.
⁃ Ah oui ! Vous offrez un parcours. Un espace et un temps. Et vous êtes la gardienne de ces deux réalités, ici comme ailleurs.
⁃ Il est temps justement de finaliser cette séance et de se retrouver dans une semaine. La vie continue. Mais ce n'est plus à corps perdu que vous l'embrasserez... Ni au bord de la route. Marginalisée.
En transition
C'est le propre de l'inconscient de figurer une anamorphose pour l'être en transition. Et cette image à l'arrêt représente un personnage mythique, peu réaliste en somme. Cette femme est venue en reconversion après un épuisement personnel et professionnel auquel seule la vie extérieure à su mettre le coup d'arrêt : un divorce et un licenciement emmêlés. Il est temps de contacter la vie intérieure et de lui donner des formes extérieures libres, réelles et vivantes. Au repos paisible et en activité plaisante.
⁃ À la semaine prochaine alors. Mais je me hasarde peut-être à passer à l'orange en prolongeant cette séance d'une question : pensez-vous vraiment qu'il y ait un choix pour moi entre l'effondrement et l'hyperactivité ?
⁃ La femme assise qui regarde, qui se rêve et qui se parle me semble être un choix opérant.
Elle sourit, me remercie, je la remercie, échange de reconnaissance, et elle part et je reste, à l'orange : je sens, je pense et je rêve sa présence. Ou plutôt, je me parle à moi de moi-même avec elle et sans elle. De l'avoir rencontrée, et de m'en séparer.
Ensemble
La codynamique en stase m'enchante. Je ne suis pas moi-même une figure réelle et vivante avec cette patiente. Avec le feu de circulation je tiens le cadre. Seule face à elle je suis tour à tour ce que mon métier exige de moi et ce que ma subjectivité fait de moi. L'issue de l'accompagnement, comme je le dis à mes suiveurs et étudiants, dépend de ce que cette relation révélera aussi en moi.
La codynamique est extase au final. Un amour, une naissance, la traversée de la petite mort ou de l'abandon, une activté qui se crée et une autre qui s'éteint. Et nous autres vivants, d'horizon en horizon embrasé, reliés par ce fil orange et vrai.