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Benoît, le nouveau chef de chantier

Benoît, le nouveau chef de chantier

Publicado el 3, mar., 2021 Actualizado 31, mar., 2021 Emprendimiento
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Benoît, le nouveau chef de chantier

Voici une courte fiction dont l'analyse intégrale est présentée à la fin.

Une intégration pas si amusante.

Encore un virage et j’aurai le

chantier de visu. Je suis un peu stressé. Qui ne l’est pas lors d’un 1er jour, d’autant que celui-ci est spécial. Cela fait quelques années que je gère des projets de construction mais je n’ai jamais eu affaire à une si grosse équipe. Je vais diriger quinze personnes et cerise sur le gâteau, je suis responsable à 100% de la livraison du bâtiment en bonne et due forme. Une belle opportunité pour moi de démontrer mon leadership et de rendre fiers mes parents. Eux sont ouvriers, recevant des ordres à longueur de journée, ils apprécieront que leur fils gravisse les échelons tout en gardant à l’esprit d’où il vient.

J’aperçois une petite grue déjà montée, le chantier a commencé et continue suite au remplacement d’un chef qui ne faisait pas l’affaire. On m’a prévenu que les gars n’avaient pas été tendre avec lui. J’appréhende un peu la rencontre, mais je me dis que l’autre ne devait tout simplement pas être assez attentionné avec son équipe. J’aime bien tisser des liens avec mes collègues, cultiver le respect. Je suis confiant de pouvoir m’affirmer et de me montrer pédagogue. Je ne les noierai pas avec les méthodes apprises à l’école. Je me gare à quelques mètres de l’entrée du chantier. Casque tout neuf sur la tête, je m’élance d’un pas assuré le long de la palissade. La première impression est très importante lors d’une intégration et comme son nom l’indique, il n’y en a qu’une. Décharge d’adrénaline.

Ils sont là, en train de boire un café, rigolant bruyamment. J’entends parler français bien que je distingue certains accents de l’est. Je suis surpris de voir 3 femmes dans l’équipe, j’ai souvent vu des chantiers 100% masculins. Cela n’a pas l’air de tempérer les ardeurs des comiques quoi qu’il en soit, ils enchaînent les blagues grasses quant elles ont l’air de bien apprécier. Je m’approche d’eux et les interromps d’un ton sec.

  • Bonjour à tous, je suis votre nouveau patron.

Un grand silence... J’ai l’impression d’avoir cassé l'ambiance et je sens une petite montée de stress avant de reprendre.

  • Comment ça se passe les briefings le matin ? Je vous propose un moment pour qu’on fasse les présentations. En attendant j’ai bien envie de faire un tour du terrain, quelqu’un m’accompagne ?

L’enthousiasme n’est pas le mot qui qualifie le mieux la réaction de mes nouveaux collègues. Un visage plus doux que les autres s’adresse à moi.

  • Je peux te donner quelques infos pendant qu’on fait le tour.

  • Très bien je vous suis, lui dis-je un peu gêné de la vouvoyer.

Nous nous éloignons du groupe, elle enchaîne.

  • Tu peux me tutoyer tu sais, ici on ne se prend pas la tête.

  • Super, j’aime pas tellement le vouvoiement. Je me disais que ça faisait plus pro pour un chef tu comprends.

  • Ton entrée nous a bien fait rire. Ça ne prendra pas avec les gars le coup du mec trop sérieux. Si je peux me permettre un conseil, essaie de te détendre, apprécie l’humour. On fera le boulot ne t’en fait pas, on aime le métier. Évite juste de saper la bonne humeur si tu veux de la coopération.

  • Merci du conseil, je vais finir le tour seul et je vous rejoins dans 5 minutes dans la cabane pour le briefing.

  • Quel briefing ?

  • Vous ne faites pas de briefing le matin ? m’étonné-je.

  • Le café c’est le briefing quoi...

Les yeux en l’air je la commande gentiment.

  • Rassemble tout le monde tu veux bien ?

  • Oui chef !

Mince alors, pas de briefing. J’espère que ce ne sera pas trop l’anarchie dans cette équipe. Couler du béton c’est une grande responsabilité, des gens vont utiliser le bâtiment ensuite. Apprécier leur humour. Je ne suis pas tellement un rigolo... Je n’ai rien contre les blagues, mais je ne les retiens pas et je ne suis pas très créatif dans ce domaine. On verra si j’ai de l’inspiration, j’essaierai de détendre l’atmosphère à ma manière. Il est important d’être intégré dans leur délire pour qu’ils fassent ce que je leur demande. Je tourne la poignée de porte de l’algéco puis entre dans la salle de supervision. Ils sont tous là, les discussions s’arrêtent et leurs regards sont fuyants ou bien me regardent fixement. Je suis mal à l’aise, mon esprit ne sait pas quelle est la meilleure stratégie à adopter. L’atmosphère pesante me fait oublier ce que je voulais leur dire et soudain, je m’entends dire

  • Alors ça farte ?

Aucune réaction. Je suis rouge comme une tomate, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Je me souviens juste de cette réplique ridicule de Jean Dujardin dans son navet de film de surfeur à Nice. Le silence dure et je m’efforce de reprendre la parole, ni vu ni connu, sauf que si...

  • Détendez vous, invité-je, je ne vais pas vous manger.

  • C’est toi qui est tendu mon gars. Tu peux te lâcher avec nous.

Un grand costaud dénommé Anglade me toise avec fierté. J’entends des ricanements, ce qui me glace le sang. J’ai horreur d'apparaître faible.

  • Je suis votre supérieur, j’apprécierais un peu plus de respect.

  • Tout de suite les grands mots. Tu nous vouvoies après nous avoir demandé si ça farte ? Tu nous prends pour tes enfants ou quoi, s’esclaffe t il, déclenchant un rire généralisé.

Extrêmement gêné, j’essaie de reprendre d’une voix plus assurée.

  • On en reparlera, en attendant je voulais faire un tour avec les prénoms, histoire que je sache à qui j’ai affaire… Et j’aimerais un peu de sérieux ici.

Ce dernier mot sec a mis fin aux commentaires. À la fin du briefing, je comprends que tous sont passionnés par leur métier. Je suis inquiet par contre sur leur capacité à coopérer. Ils ont beau avoir l’air motivés et bien rigoler ensemble, j’ai l’impression qu’ils ne savent pas travailler en collectif. Des loups solitaires. Je vais avoir du boulot pour créer du lien. Les gars quittent la salle, j’alpague Anglade à qui je veux dire deux mots. J’éprouve de la colère que je souhaite évacuer. Pas de chance pour lui, je suis coriace en face à face. Fermeté et ouverture, c’est mon crédo. J’espère qu’on s’entendra pour laver ma mauvaise impression. S’il est contre moi, ce projet ne sera pas du gâteau, pour personne.

FIN.

Analyse intégrale.

L’analyse intégrale, tirée de la théorie de Ken Wilber, cherche à comprendre les causes de la situation faisant intervenir quatre dimensions :

  • L'Être individuel : attitudes, croyances, ego, émotions, sentiments, aspirations, valeurs personnelles.

  • L’Agir individuel : comportements observables (ce que je dis/fais), pratique du pouvoir, modes de communication.

  • L'Être collectif : raison d'être et culture de l'organisation, mission, croyances collectives, mythes, tabous, ADN, valeurs, ambitions.

  • L’Agir collectif : structure, gouvernance, processus, rituels, outils, modes de prise de décisions, réunions, communication, management.

Les quatres dimensions sont interdépendantes, à savoir que :

  • L’individu comme le collectif s’épanouit en alignant son Être et son Agir, des frictions apparaissent dans le cas inverse.

  • Le collectif est une émergence des individus et de leurs relations.

  • L’individu est contraint par le collectif dans son Agir et influencé dans son Être.

Voici les éléments utilisés pour construire cette scène qui montre un désalignement.

 Benoît (Agir individuel : comportements)

 - Se force à être drôle sans y arriver ce qui provoque un malaise

 - Management paternaliste

 - Refuse d'être pris en défaut et souhaite forcer le respect par influence statutaire (je suis le chef)

 Le groupe (Agir collectif : organisation, gouvernance)

 - Absence de mécanisme de coordination formel

 - Rituel de démarrage décontracté le matin

 - Pas de structure formalisée

 - Pas de processus d’onboarding

 Benoît (Être individuel : aspirations, besoins, valeurs)

 - Cherche de la reconnaissance sociale

 - Motivé par le leadership, le contrôle des opérations

 - Valorise le respect, la cohésion de groupe

 - Passion du métier

 Le groupe (Être collectif : culture d’entreprise, ADN, mission)

 - Le fun comme liant, familiarité (tutoiement)

 - Individualisme et aversion au changement

 - Peu d’autonomie et de prise d’initiative

 - Passion du métier

Voyez-vous les alignements et les déphasages qui se dessinent dans cette fiction ? Entre les besoins et les actes de Benoît, entre l’ADN du groupe et l’organisation en place ?  Quelle est votre analyse ? Comment feriez-vous pour faciliter un engagement maximal, puis un fonctionnement efficient et écologique pour tous dans cette configuration ?

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