Marie et Marie
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Marie et Marie
À l’heure où se pose l’éventualité d’une révision de procès dans l’affaire Omar Raddad, il me revient à l’esprit deux autres affaires, qui, en leur temps (un siècle d’intervalle), ont défrayé la chronique et fait l’objet d’une multitude d’articles, jusqu’à un téléfilm pour l’affaire Marie Besnard.
Les affaires Marie Besnard et Marie Lafarge restent moins connues (surtout la dernière) du grand public que l’affaire Omar Raddad.
Ce qui est extraordinaire dans ces deux affaires, sans refaire le jugement qui sort de mes compétences, est leur similitude. Comme pour l’affaire Raddad avec la phrase tracée du sang de la victime qui « l’accuse », la justice s’est appuyée sur un détecteur de vérité « irréfutable » pour désigner le coupable.
Il a un nom : l’appareil de Marsh.
Mis au point au XIXe siècle par l’Anglais Marsh, chimiste à l’arsenal de Woolwich, il était destiné à déceler la plus petite présence d’arsenic dans le corps des victimes, poison largement utilisé à partir du XVIe siècle, et qui échappait jusqu’alors à l’enquête. En effet, cet arsenic, si facile à se procurer, utilisé notamment comme pesticide jusqu’en 1973, avait la particularité d’être inodore, insipide, d’action rapide si utilisé en concentration suffisante, et il était impossible d’en retrouver la trace dans l’organisme.
L’appareil de Marsh devenait dorénavant une arme redoutable entre les mains de la médecine légale.
L’arsenic minéral, naturellement présent dans la croûte terrestre, existe sous plusieurs formes et peut être transporté d’un milieu à un autre : sol, air et eau. On le retrouve sous forme de minerais en s’associant au soufre.
Le trioxyde d’arsenic (As2O3) ou arsenic blanc, encore employé en France jusqu’en 2014 dans des pâtes à usage dentaire pour dévitaliser de façon indolore la pulpe dentaire, se présente sous la forme de poudre inodore et insipide, comparable à du sucre ou de la farine et peur être mélangé aux aliments en toute impunité.
Ce trioxyde d’arsenic, qui aura droit au qualificatif de « poudre de succession » ou « roi des poisons et poison des rois » sera, jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’arme préférée des empoisonneurs.
Marie Capelle-Lafarge :
Orpheline de 23 ans, élevée dans le château de Villers-Hélon par sa grand-mère, qui est une fille illégitime du duc d’Orléans, Philippe Égalité (père de Louis-Philippe, il avait voté la mort de son cousin Louis XVI, ce qui ne l’empêchera pas d’être guillotiné en 1793). Présentée à Charles Lafarge à la mort du grand-père, annoncé comme un riche industriel par la famille, c’est en fait un homme d’affaires désargenté. Le mariage a lieu le 11 août 1839 et, très vite, la désillusion est grande pour la jeune femme pour qui la vie en province est austère et difficile.
En décembre 39, Charles monte à Paris pour ses affaires et part avec un gâteau fait par sa femme. Le soir même, il est pris de troubles intestinaux et de vomissements qui disparaissent rapidement. Il rentre chez lui le 3 janvier. Le lendemain, Charles est pris de nouvelles douleurs et décède le 14 janvier1840.
La belle-famille accuse Marie de l’avoir empoisonné.
L’enquête est ouverte et fera beaucoup de bruits d’autant que Marie Capelle est une lointaine parente du roi Louis-Philippe, orléaniste.
L’affaire est très vite étonnante.
4 expertises successives sont réclamées par la Cour à la suite de résultats contradictoires lors de la première expertise (présence d’arsenic décelé dans les organes, les aliments et le gilet de Charles Lafarge).
Les deux expertises suivantes reviennent négatives (prélèvements analysés et effectués par 10 experts indépendants).
Contre toute logique, la cour demande une quatrième expertise au Professeur Orfila, chef de service de médecine légale à la Faculté de Paris et célèbre toxicologue.
Orfila réemploiera l’appareil de Marsh qu’il avait déjà utilisé pour une autre affaire en 1838, l’affaire Nicolas Mercier, où malgré l’absence d’arsenic constatée par les premiers experts chimiques, le doyen Orfila en retrouvera des traces dans le foie du mort. Deux experts chimistes, Francesco Roguetta, médecin italien républicain et le charismatique François Vincent Raspail avaient fortement critiqué la méthode utilisée.
Pour Marie Lafarge, contre toute attente, Orfila conclut une fois de plus à la présence d’arsenic dans un prélèvement de foie du sieur Lafarge.
François Vincent Raspail, dépêché sur les lieux, arrivera trop tard pour contester les mesures d’Orfila, mais une phrase lancée à l’assistance fera grand bruit « On a trouvé de l’arsenic dans le corps de Lafarge ? Mais on en trouverait partout, même dans le fauteuil du Président » !
Le 19 septembre, Marie Lafarge est déclarée coupable à l’unanimité par le jury et condamnée aux travaux forcés à perpétuité, puis transférée en 41 à la prison de Montpellier et graciée en 1852 par le décret Napoléon III. Elle décédera quelques mois plus tard.
En 1979, le Professeur Lépine évoquera, d’après les symptômes cliniques décrits, une fièvre typhoïde suite à une intoxication alimentaire et non un empoisonnement à l’arsenic.
On sait aussi depuis qu’Orfila utilisait pour ses réactions du nitrate de potassium impur contenant des traces d’arsenic, ce qu’il savait puisqu’il refusait que les experts examinent ce produit afin d’en vérifier la pureté.
Après ces deux affaires, le doyen Orfila refusera de siéger comme expert auprès des tribunaux.
Marie Besnard :
Marie Davaillaud, veuve, se marie le 12 août 1929 à Léon Besnard qui tient un commerce de cordes à Loudun. Marie a alors 33 ans.18 ans plus tard, Léon Besnard, après avoir déjeuné en famille, se met à vomir plusieurs jours de suite. Le médecin consulté détecte sur une prise de sang un taux d’urémie très élevé. Léon décède 9 jours plus tard.
Dans cette affaire, qui se passe à Loudun, les rumeurs joueront un rôle essentiel.
C’est dans cette même ville, quelques siècles plus tôt, que le trop bel Urbain Grandier, sera accusé de sorcellerie dans l’affaire des démons de Loudun et mourra sur le bûcher en 1634 (cf. Crimes célèbres - Alexandre Dumas-Tome2-Phébus). Ici aussi, les rumeurs avaient patiemment joué leur rôle.
Trois procès successifs auront lieu après que deux habitants aient accusé Marie Besnard d’être une sorcière ayant empoisonné son mari pour devenir riche et que les rumeurs aient fait leur chemin.
Une commission rogatoire lancée en mai 49 ne recueille pas assez de charges pour l’inculper, mais le juge réclame l’exhumation du corps de Léon Besnard pour recherche d’empoisonnement. Le médecin légiste, le docteur Béroud, découvre dans les viscères du mari de grandes quantités d’arsenic. La machine utilisée est l’appareil de Marsh… et la machine judiciaire se met en marche, aidée des témoignages de certains Loudunais, relevant les nombreux décès survenus dans l’entourage de Marie Besnard. L’exhumation des morts incriminés, et la recherche d’arsenic retrouvera des quantités anormalement élevées de ce poison dans 11 corps, établi par le même Dr Béroud, directeur du laboratoire de la police scientifique de Marseille. Il utilisera le test de Marsh et conclut à des intoxications lentes liées à des imprégnations exogènes d’arsenic.
Le premier procès se déroule à Poitiers en février 52. L’avocat de la défense décrédibilise d’emblée le Dr Béroud qui retrouve de l’arsenic dans des tubes de Marsh alors que le laboratoire qui les a préparés atteste qu’il n’y en a pas la moindre trace.
Trois nouveaux experts, nommés par le président du tribunal, donnent des résultats contradictoires. Le procès est renvoyé.
Le deuxième procès s’ouvre à Bordeaux en mars 54.
Avis de l’expert psychiatre, le Dr Ceillier « Marie Besnard est tellement normale qu’elle est anormalement normale ».
Nouvelle bataille d’experts et le rapport de la contre-expertise des Pr Fabre, Kohn-Abrest et Griffon indique qu’il n’y a plus que 6 corps pour lesquels la mort est déclarée suspecte. La défense fait appel à des scientifiques pour démontrer que l’arsenic est soluble et qu’il a pu s’imprégner dans le corps après la mort. Faits confirmés par le scientifique Louis Truffert qui admet la solubilité de l’arsenic.
Procès renvoyé à une date ultérieure.
Le troisième et dernier procès à lieu 6 ans plus tard, le 20 novembre 61 à Bordeaux. Marie Besnard comparaît libre.
Un rapport du Pr René Piedlièvre établi en 54, confirme les conclusions faires en 52 par le Dr Béroud en les nuançant.
Un expert des sols cité, Mr Bastisse, maître de recherche au centre national de la recherche agronomique, déclare « Vous avez enterré vos morts dans une réserve d’arsenic ».
Le 12 décembre après délibéré, le jury de la cour d’assise de Gironde acquitte Marie Besnard par sept voix contre cinq.
Voilà, sans aucun doute, deux procès extraordinaires (parmi tant d’autres) où l’on s’est appuyé exclusivement sur la fiabilité d’une machine, mal utilisée dans un cas et sortie de son contexte dans le second cas (sulfatage des fleurs du cimetière de Loudun, décomposition du zinc des ornements funéraires qui contiennent de l’arsenic sans oublier les traitements par l’arséniate - forme pentavalente :As2O4 - par le gardien du cimetière pour traiter le doryphore de la pomme de terre).
Le doute, dit-on, doit bénéficier à l’accusé(e).
Marie Lafarge n’en aura guère bénéficié (3 ans de travaux forcés et 11 ans de prison) avant d’être libérée quelques mois avant sa mort.
Références bibliographiques
- L’arsenic, un poison d’actualité- Thèse pour le diplôme d’état de docteur en Pharmacie-Norodom Benjamin- Année 2016.
- Wikipédia : Avec les réserves d’usage.
- Photos :bridgemanimages.com et images.lanouellerepublique.fr