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Publicado el 28, ago, 2024 Actualizado 30, ago, 2024 Crime stories
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28 juin 2018, Commissariat central d’Ajaccio, 14h35

 

-Madame, Monsieur, merci d’être venus au plus vite… Déclare l’inspecteur.

-Vous l’avez retrouvé c’est ça ? S’excite l’homme qui se lève subitement de sa chaise en posant les poings sur la table.

L’inspecteur Barot réfléchit quelques secondes à la formulation de la phrase qu’il s’apprête à dire.

-Eh bien, nous n’en sommes pas sûrs…

-Comment ça vous n’en êtes pas sûrs ?

La femme est affalée dans sa chaise, elle ne montre toujours aucun signe de vie, comme si depuis le 21 juin elle était dorénavant plongée dans un état second, une sorte de coma. Son visage ne reflète désormais plus aucune émotion.

-Je voulais vous annoncer que l’on a trouvé un corps, reprends l’inspecteur, semblable à celui d’un petit garçon de cinq ans, semblable à Ezéchiel…

L’homme a les mains tremblantes, il est soudain comme ensorcelé, pris de convulsions et s’effondre dans sa chaise.

-Je suis désolé… Ce n’est pas de cette manière que j’aurais voulu vous l’annoncer…

-Où… Où l’avez-vous trouvé ? Demande l’homme d’une voix rauque, abimée par l’émotion.

-Nous l’avons trouvé au large de Sagone… Nous avons vérifié, c’est fortement possible que les courants marins aient pu le déplacer jusque là-bas…

L’homme ne trouve plus les mots. Il a envie de parler, de poser mille questions, mais ne peut pas. Le temps est désormais comme figé. Il se retrouve presque dans le même état que la femme.

Or, contrairement à celle-ci, l’émotion peut se lire sur son visage. Ses lèvres trembles, ses yeux se remplissent de larmes. Lorsqu’il reprend légèrement ses esprits, il demande :

-Etes-vous sûrs qu’il s’agit réellement de notre fils ?

-Eh bien nous n’en sommes pas certains. Le corps a été très amoché. Cependant, la date de décès correspond à peu près, d’après le médecin légiste. La taille du corps retrouvé aussi. Mais nous avons encore un doute. Après tout, en ce moment nous avons au moins quatre ou cinq disparitions d’enfants qui ont été signalées entre la corse, la Sardaigne et la côte. C’est pourquoi je vais vous demander de bien vouloir l’identifier…

L’homme essuie ses larmes de sa main droite. Il regarde l’état de la femme et comprend qu’il va devoir s’en charger.

-Je… Je ne me sens pas pour le moment… Est-ce que je pourrais le faire plus tard ?

-Oui pas de soucis c’est…

-Je vais le faire ! Déclare subitement la femme qui vient de se réveiller soudainement. Elle agrippe les deux accoudoirs de la chaise de ses mains et se relève.

L’homme semble surpris.

-Mais enfin… Tu… Je vais le faire, tu n’es pas en état !

Sûre d’elle, elle déclare :

-C’est de ma faute s’il en est arrivé là. Je vais le faire. Et puis, je veux le voir une dernière fois…

-Mais enfin Jeanne… Je le ferai. C’est quelque chose de bien trop difficile pour ton état.

Elle s’énerve :

-Non ! C’est à moi de le faire ! Je suis sa mère. Je le connais mieux que quiconque…

L’homme abandonne. La femme semble soudain soulagée. Elle qui semblait sans vie auparavant est maintenant sûre d’elle. Son teint pâle a repris des couleurs.

 

6 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 19h30.

 

Le soleil va bientôt se coucher sur le pays d’Auge, nous mangeons dehors sur la terrasse comme les deux derniers jours. Sur la table d’à côté, il n’y a personne. Encore une fois, nos voisins n’ont pas voulu manger à l’extérieur.

Je repense au dessin de Louison. M’étais-je trompée sur toute la ligne depuis le début ? Est-ce que Louison avait un grand frère ou une grande sœur ? Etait-ce lui ou elle que j’avais entendu m’appeler à l’aide dans la nuit ? Est-ce que Louison essayait de me faire passer un message à travers ce dessin….Elle savait que je l’observais. Maintenant j’en suis sûre, je ne suis pas folle, il se passe définitivement des choses étranges dans cette maison voisine. Il faut que j’en parle à quelqu’un. Là, maintenant je pourrais… Mais Lucas ne voudrait pas chercher à comprendre, il ne me croirait pas. Mon père non plus d’ailleurs.

Il faut que j’en parle à ma mère. Elle me comprendra. Elle ne me fera pas passer pour folle.

Lorsque je débarrasse mon assiette, je me retrouve seule avec elle. C’est le bon moment. Mon père et mon frère jouent au football dehors.

-Maman j’ai quelque chose d’important à te dire…

-Qu’est-ce qu’il y a ma chérie. Tu me fais peur. Tu en fais une de ces têtes.

Elle semble inquiète.

-Bah en fait c’est par rapport aux voisins. Il y a quelque chose de louche.

Elle rit.

-Mais enfin ma chérie, qu’est-ce que tu veux dire ?

-J’ai l’impression qu’il y a un autre enfant dans leur maison…

-Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes. D’où tu sors ces idées farfelues ?

-Cette nuit je n’arrivais pas à dormir et j’ai entendu du bruit. Je suis allée dans la salle de bain, quelqu’un tapait contre la cloison et…

-Mais enfin ça doit être un truc qui est tombé. Un animal…

-Non, Maman ! Tu ne comprends pas… On m’a parlé, on m’a appelée à l’aide. Un enfant dans cette maison a besoin d’aide. Il m’a dit « s’il vous plaît, aidez-moi ! »

-Hein ? Peut-être que c’était dans un rêve ma chérie…

-Non ça m’est arrivé la nuit dernière aussi ! Maman je te dis la vérité. Louison ou un autre enfant m’a appelée à l’aide !

-Mais enfin peut-être que Louison parlait dans son sommeil ou qu’elle n’arrivait pas à dormir, elle voulait parler… Tu regardes trop de films ma chérie, dit-elle en essuyant une assiette.

Elle me dévisage, soudain inquiète.

-Tout à l’heure elle dessinait dans le jardin. Elle a dessiné sa famille et elle a dessiné quatre personnes. Ils sont trois, Maman !

-Mais il doit y avoir une explication, peut-être qu’ils ont un autre enfant qui n’est pas venu avec eux.

-Son visage était colorié en noir Maman. Il n’avait pas de visage ! Comme s’il n’existait pas !

Elle s’arrête quelques secondes, me dévisage à nouveau. Puis, en soufflant elle dit :

-Elle a trois ans elle fait des gribouillis enfin ! Tu vas vraiment chercher trop loin ma chérie. Ecoute repose toi et arrête de penser à ça. Tu m’embêtes ! Tu vois bien que je suis en train de laver la vaisselle. Tu pourrais m’aider d’ailleurs !

Décidément, il n’y a personne dans cette famille qui pourrait me croire. Ce n’est pas grave. J’ai dix-sept ans maintenant. Je peux me débrouiller toute seule. Il faut que j’arrive à avoir une conversation avec Louison. Et surtout avec cet enfant. Cette nuit, je vais lui parler.

 

28 juin 2018, Commissariat central d’Ajaccio, 15h23

 

La femme a insisté pour identifier le corps immédiatement. Ce qui a paru étonnant à l’inspecteur qui la voyait, dix minutes avant, sans vie, affalée sur une chaise. Désormais, elle avance avec détermination vers la salle d’identification.

Lorsqu’ils entrent dans la pièce, il y a trois chaises contre le mur ainsi que des caméras dans chaque coin de la pièce. A sa gauche, il y a une vitre, c’est à travers celle-ci qu’elle l’aperçoit. Là, tout petit, sous un linge. Il repose tranquillement. Il est allongé sur une grande table. Une table faite pour les cadavres adultes. Beaucoup trop grande pour lui, tout petit, tout frêle…

Le médecin légiste ainsi que deux trois policiers se trouvent de l’autre côté de la vitre.

-Vous me dites lorsque vous êtes prête, à ce moment-là, nous soulèverons le drap pour que vous puissiez apercevoir le visage de l’enfant.

Elle approuve d’un hochement de tête. Pour la première fois, on peut observer des larmes dans ses yeux. Elle inspire un grand coup. Expire.

-Je suis prête, déclare-t-elle.

Le médecin légiste allume la lampe qui se trouve au-dessus de lui, puis, il soulève le drap, lentement, jusqu’à le déposer au niveau des épaules de l’enfant.

La femme tressaille. Elle se fige quelques secondes, perturbée. Elle semble ne pas s’être assez préparée à l’horreur que cela est, d’identifier un corps. Surtout celui d’un enfant.

Le visage de l’enfant est tout bleu et très abimé, il est très difficile à identifier. Des cheveux châtains sont encore discernables sur le haut de son crâne. Sa peau est presque entièrement décomposée. Après l’avoir observé longuement, la larme à l’œil, la femme se tourne vers l’inspecteur et dit d’un ton serein, presque anesthésié de toute douleur :

-C’est lui, c’est mon fils.

 

7 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 03h20.

 

Avec la fatigue je me suis endormie et maintenant, je regrette. Il est déjà 3h20 maintenant et l’enfant dort peut-être. Sûrement que si j’essaie de lui parler, il ne me répondra pas. Il faut quand même que je tente. Lentement, sans réveiller Lucas, je me dirige vers la salle de bain. Je contourne le canapé rouge du salon. J’ai froid, le sol est gelé et je suis pieds nus. Arrivée dans la salle de bain : rien. Le silence total. Alors, je tente d’envoyer un appel de l’autre côté du mur. Je tape doucement contre la cloison : trois coups légers et successifs. Rien. Je recommence en reprenant le code que l’enfant utilisait les nuits précédentes c’est-à-dire trois coups successifs, trois coups lents, puis à nouveau trois coups successifs. Toujours rien. Pourquoi cet enchaînement en particulier ? S’agirait-il d’un code ? Je réfléchis… Quel langage pourrait-on utiliser pour transmettre un message en toquant ?

Je n’ai pas besoin de beaucoup de temps car je finis par trouver la réponse facilement par moi-même : du morse bien sûr !

J’allume mon téléphone et je cherche sur internet l’alphabet en morse. Je regarde la première photo renvoyée par wikipédia. On y voit toutes les lettres de l’alphabet avec à côté une série de points et/ou de traits. Si mon résonnement est juste, les points devraient correspondre aux coups rapides et successifs tandis que les traits aux coups lents. Hier et avant-hier j’entendais d’abord trois coups rapides successifs, ce qui doit correspondre à trois points. Or, trois points correspondent à la lettre S.

Ensuite trois coups lents qui s’enchaînent, ce qui devrait être… trois barres ! Ce qui correspond au… O !

S-O…

Enfin à nouveau trois coups vifs successifs soit à nouveau un S.

S-O-S !

Alors depuis le début ces coups n’étaient pas que pour attirer mon attention, ils appelaient déjà à l’aide !

Je comprends alors que pour communiquer avec mon interlocuteur derrière le mur le, en toute discrétion, je dois moi aussi apprendre à parler sa langue.

Il faut que j’essaie de lui demander quelque chose. Mais quoi ? Je vais d’abord essayer pour voir s’il m’écoute, s’il est toujours là.

_...   _ _ _  _.  ._ _ _  _ _ _  .._  ._.

B      O     N      J      O     U    R

Rien. Je m’apprête à abandonner lorsque soudainement, j’entends à nouveau toquer de l’autre côté de la cloison. Il m’a entendu ! Il sait que je l’écoute !

-BONJOUR, me répond-il par la même combinaison que moi.

-QUI ES TU ? Je tape contre la cloison

Il se passe environ trente secondes jusqu’à ce qu’il réponde par :

_  .   _ _ _   ._   . . . .

Ce que je traduis en : N.O.A.H.

-E.T T.O.I ? Je traduis ensuite.

-E.M.I.L.I.E, je lui réponds.

-Q.U.E.L A.G.E A.S T.U ? je demande.

Je n’ai pas de réponse à cette question, alors je tente autre chose.

-P.O.U.R.Q.U.O.I E.S T.U E.N.F.E.R.M.E ?

Rien, le silence total, jusqu’à ce que cinq minutes plus tard j’entende chuchoter :

« Parce que je ne suis pas Noah »

Je ne comprends pas. J’ai cent mille questions à lui poser. Je m’apprête à le faire lorsque soudain j’entends de l’agitation de l’autre côté. Un meuble bouge.

« ça va ? » je demande.

Je n’ai pas de réponse.

Après cela, je n’ai plus rien entendu.

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