Le roi Salomon est connu pour sa grande sagesse. Il règne en Israël. Un jour, la reine de Saba, souveraine d'Éthiopie, vient lui rendre visite en son palais. Lorsqu'elle repart, elle est enceinte de son enfant, Ebna-Hakim, le fils du sage. Salomon donne à la reine de Saba une bague qu'elle devra remettre à son fils avant de la renvoyer vers lui pour qu'il s'occupe de son éducation.

Arrive le jour où Ebna est assez grand pour se rendre chez son père, le roi Salomon. Sa mère lui donne donc la bague. Mais Ebna a peur de son pouvoir, et il ne la porte pas à son doigt lorsqu'il se présente devant son père. Aussi le roi Salomon ne le reconnaît-il pas et se met en colère. Le garçon lui explique qu'il a peur de la bague et de ses pouvoirs magiques. Il la sort de son sac pour la montrer à son père et prouver qu'il est bien celui qu'il prétend être.

Salomon s'attriste. Il lui dit : « Tu as peur de son pouvoir mais sache que ce pouvoir vient de toi. La bague n'est rien ».

Et l'apprentissage commence. Le garçon sera couronné plus tard sous le nom de Ménélik. Ce jour-là, il porte la bague du roi Salomon à son doigt. Il repart pour l'Éthiopie avec le bijou et l'Arche d'Alliance, qui contient les tables de la loi. Il est donc possible que l'Arche d'Alliance se trouve dans une petite église d'Éthiopie, mais ceci est une autre histoire.

La bague passe ensuite de main en main et traverse les âges jusqu'au couronnement de Hailé Sélassié I, qui en hérite à ce moment-là comme le veut l'usage. La bague du roi Salomon est transmise de règne en règne, c'est une bague magique sur laquelle est gravée le vrai nom de Dieu. Le nom que les croyants se refusent à prononcer de peur de se tromper, de l'écorcher, préférant utiliser Ha-Chem, le nom. Ce nom que les adeptes de la kabbale croient pouvoir débusquer en analysant le texte de l'Ancien Testament au plus près, lettre par lettre, au gré d'une sorte d'équation mystique.

Quelques années après le sacre de Hailé Sélassié I, les autorités jamaïcaines décident d'inviter cet empereur sur leur sol. Les rastas, alors considérés comme des plus que parias, prennent ce geste pour un signe de reconnaissance et de bonne foi du gouvernement envers eux, et ils sont des milliers à se presser dans les rues de Kingston et aux abords de l'aéroport ce jour-là. Des milliers venus acclamer le nouvel empereur d'Éthiopie, Negus Nagast, Ras Tafari, Roi des Rois, Conquérant du Lion De Judah et incarnation de la Sainte Trinité, celui par qui la prophétie du retour en Afrique doit s'accomplir. Des milliers à en parler avec beaucoup d'émotion dans la voix. Des milliers sauf un, Bob Marley, qui était alors aux États-Unis chez sa mère, travaillant à l'usine pour gagner sa croûte. La musique ne marchant pas très fort pour lui à ce moment-là. Le plus mystique parmi les mystiques rastafaris, celui qui a le plus fort et le plus largement diffusé le message de paix et de rapatriement a raté l'inratable, la venue de l'empereur en Jamaïque.

Devant cette foule de rastas hirsutes, Hailé Sélassié a pris peur. Il a même refusé de sortir de l'avion. Puis il a fini par accepter de se montrer et de saluer la foule. Tout cela semblait incroyable. Tant de ferveur condensée. Tant d'espoirs projetés sur un seul homme. Mais la joie ne fut que de courte durée. Sitôt l'empereur reparti, le gouvernement jamaïcain durcissait le ton et les rastas firent face à une répression sans précédent : acharnement policier, ghetto, destruction des villages, des plantations de ganja.

La fin du règne de Hailé Sélassié I ne fut guère plus reluisante. Les rebelles assiégèrent son palais et son corps disparut sans funérailles. Sa tombe n'est à ce jour pas localisée, tout comme l'Arche d'Alliance, et la bague du roi Salomon a disparu avec lui. À moins que...

Le fils de Hailé Sélassié, quelques années plus tard, a rencontré Bob Marley et lui a remis une bague ayant appartenu à son père en signe de reconnaissance tardive des croyances rastas par l'Éthiopie. Peut-être était-ce la bague du roi Salomon frappée de Sceau de Dieu, la bague magique transmise de siècle en siècle depuis Ménélik. La légende veut que Bob Marley soit enterré avec ce bijou à son doigt. Mais il faudrait ouvrir trop de tombes et remuer trop d'ossements pour en être certain.