

Une étoile dans la mer
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Une étoile dans la mer
Une étoile ordinaire se serait doucement préparée à mourir. Pas Algol-B, en tout cas pas dans cette histoire. Située dans la constellation de Persée, elle était censée représenter la tête de Méduse que le héros mythologique grec avait pour mission de tuer. Mais les astrologues de l'époque savaient déjà qu’Algol-B n'était pas une étoile comme les autres. Elle était animée d'un mouvement qu'on eût dit respiratoire, une pulsation régulière qui intervenait tous les trois jours environ. Les battements de ce cœur céleste n’ont pas manqué d’émouvoir tous ceux qui levaient la tête vers elle.
En réalité, on le sait aujourd'hui, Algol est un système stellaire multiple composé de trois étoiles qui présentent des éclipses régulières dues au passage de l’une d’entre elles devant les deux autres.
En principe, une étoile de sa taille se transforme en géante rouge après avoir consommé ou consumé tout son hydrogène. A ce stade, son noyau ne rayonne plus que faiblement, comme une braise cosmique en souvenir d’un passé lumineux. Seulement, nous l'avons dit, l'Algol-B de cette histoire n'est pas une étoile ordinaire, elle sait renaître de ses cendres et a déjà connu plusieurs cycles de vie.
Grâce à une mutation quantique improbable, elle est en effet capable d’inverser son comportement. Une fois sa lumière entièrement diffusée dans l’univers, elle la rappelle en elle en formant une sorte de trou noir qui dure le temps d’une nouvelle gestation, puis elle se rallume brusquement.
Au moment ou se déroule ce récit, une quantité astronomique de photons et de neutrinos s'échappait encore en permanence de la surface d’Algol-B, s’égaillant sans bruit dans les profondeurs de la nuit stellaire, égayant notre galaxie par leur énergie débordante. Une infime proportion de ces photons frappait la Terre à l’issue de leur voyage, et ceux-là se dispersaient dans les océans ou étaient happés par une myriade de feuilles avides de leur lumière.
C’est ainsi qu’un jour l’un de ces photons percuta une larve insignifiante qui nageait librement en mer Méditerranée, à quelques brasses d’un rivage tranquille. Bien sûr, ce type de rencontre était fréquent et restait anodin la plupart du temps, mais le fait que cette larve appartienne à l’embranchement des Cnidaires et au sous-embranchement des Méduses ne fut pas sans conséquence.
La larve encaissa le choc et se retrouva propulsée dans les profondeurs, sans rien comprendre. Elle reprit finalement ses esprits et se laissa dériver de nouveau, comme si rien ne s’était passé. Cependant, la petite étincelle de vie que le photon transportait avec lui depuis son éjection de la surface d’Algol-B trouva là un terrain familier et propice à sa restauration. Elle fut à l’origine d’une série de variations génétiques pour le moins curieuses chez son hôte sans que la larve en ait conscience.
Comme ses consœurs, elle s’installa tranquillement en fond de mer pour donner naissance à un polype qui se fixa au sol, bourgeonna et libéra une colonie de minuscules méduses qui se développèrent à leur tour jusqu’à leur stade adulte. Comme leurs consœurs, elles déployèrent leurs tentacules composés de centaines de filaments qui rayonnaient rappelant ceux d’une étoile. Elles diffusèrent dans l’eau les unes leurs spermatozoïdes, les autres leurs ovules et leur fécondation produisit à leur tour de nouvelles larves. Elles ne semblaient en rien affectées par la rencontre impromptue de leur génitrice avec une graine stellaire, mais pourtant ces méduses n’étaient déjà plus comme les autres.
Au moment de dépérir et de mourir de vieillesse comme tout un chacun, elles sentirent leurs cellules se dédifférencier et retourner à un état embryonnaire. Elles perdirent toute mémoire et recommencèrent naturellement une nouvelle vie de polype, entrant alors sans le savoir dans un cycle de renaissance qui les rendait biologiquement immortelles.
C’est ainsi que, dans l’immensité des océans et du vide interstellaire, deux entités distinctes déroulent encore leur cycle, chacune à son rythme, sans que l’une se doute de l’existence de l’autre.
Un étudiant allemand en biologie marine découvrit cette méduse à la fin du XXᵉ siècle. La communauté scientifique lui donna le nom de Turritopsis dohrnii et son espérance de vie illimitée intrigue les généticiens du monde entier qui l’étudient dans l’espoir de lutter contre la neurodégénérescence et d’approcher ce rêve ancien qu’est la quête de l’immortalité.

