[ Le Chariot ] feuilleton d'Heroic Fantasy #5
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[ Le Chariot ] feuilleton d'Heroic Fantasy #5
- Prends ta place. Ta fille a besoin d’un père. Prends ta place ou j’irai lui chercher un autre père.
Barbara tend à Konrad une pile de vêtements et lui indique la chambre où l’attend l’enfant qui joue. En l’aidant à mettre sa robe Konrad regarde les cheveux fins de sa fille se soulever. Une petite brise arrivée tout droit du désert s’invite par la fenêtre de la chambre. Les pièces de la maison, comme chaque jour, ont besoin d’être aérées. L’air qui soulève ces quelques mèches lui fait respirer de loin le désert. Et à l’expire le voilà tout entier dans les grandes étendues de sable. Ses cheveux à lui aussi volent au vent. Il tient d’une main sa plus belle hache, de l’autre la bride de sa monture. A ses côtés chevauchent les guerriers de la tribu. La chasse est ouverte et le gibier du jour, pris en course, commence à s’épuiser. Il va bientôt stopper pour se retourner et faire face avec courage et détermination, menaçant. Les chasseurs penseront que le combat est loyal et que c’est un beau jour pour mourir. Le sang et la sueur auront bon goût. Chacun prendra des risques inconsidérés pour faire face à la bête de la plus hardie des façons. Quand celle-ci aura rendu son dernier souffle, ils prieront le grand esprit de sa race pour qu’il leur pardonne ce prélèvement. Pour qu’il leur transmette, en plus de sa peau, sa chair, ses os, ses tendons, un peu de ce qui fait qu’on la considère comme féroce et qui fait trembler ses proies. Les enfants auront suivi le groupe et viendront aider les chasseurs à charger les pièces de viande sur les montures.
Charles Keegan : Held by honor
- Qu’est-ce que tu fais encore ? Dépêches-toi, nous devons aller en courses.
Konrad écarquille les yeux, se lève. La petite fille trottine déjà devant lui et dévale l’escalier de bois. Barbara n’est pas du genre conciliante. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu un surnom parmi la communauté. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un surnom. Certains s’en plaignent, d’autres s’en accommodent, la plupart en jouent. Elle n’a pas eu le choix. Elle ne faisait pas partie des jeunes femmes enlevées à la tribu. Son village, perdu dans les sommets des Monts brumeux, a été rasé par le Grand ver. Elle a dû refaire sa vie à Port-Kro. C’est une barbare comme Konrad, mais une montagnarde. Avec un caractère abrupt, offrant peu de prises, telle une paroi rocheuse défiant cordées et piolets. Un caractère changeant, comme la météorologie en haute altitude. Pourtant avec une générosité profonde et sélective comme le refuge que l’on aurait mérité après une longue escalade. Son allure fait écho à ce caractère : elle est grande, parle avec les mains, dès qu’il s’agit de sincérité. Elle est vive, ses gestes sont imprévisibles. Parfois elle bouge lentement, le regard concentré, puis elle s’active soudain et produit mille grands gestes. Jamais désordonnés, toujours précis. Ses sourcils épais, quand elle les fronce, lui donnent de la stature. Une certaine autorité tempérée par le fait qu’ils soient clairs, comme la couleur de son teint et de ses cheveux. Il arrive que le châtain tire sur le blond qui scintille. Ses yeux clairs et l’éclat incertain de sa chevelure toujours apprêtée d’une longue natte ou d’un ruban, lui donnent parfois l’apparence d’une certaine douceur, posée et rassurante. Mais à son insu. Peu sont ceux qui l’ont vu rougir. Son surnom elle le doit surtout à ses premiers contacts avec les autochtones, qui se voulurent accueillants, compte-tenu du drame qui l’avait touchée : Barbara Brisetajoie. Est-ce par maladresse ou par négligence ? Elle avait tendance à décevoir les élans et témoignages de sympathie, par des répliques cinglantes ou un mutisme de glace. Il lui arrive d’avoir un je ne sais quoi dans le timbre de voix qui s’impose et hérisse les vertèbres. Quant à sa personnalité, seuls ceux qui vécurent dans le secret de son foyer, ont pu en apprécier l’étonnante richesse. On ne lui connaît en effet pas d’amis. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’en ait pas, mais qu’elle est probablement discrète à ce sujet. Elle ne rechigne jamais au labeur de l’intérêt général. Elle s’assoit au conseil des mères, qui veille au destin de l’école et du jardin d’enfants. Elle partage des moments de complicités avec les autres femmes de la communauté dans la préparation des fêtes, l’entretien des uniformes de la garde ou des maisons de conseil. Dès les premiers jours du retour à Port-Kro, elle et lui ont commencé à minauder, puis à flirter. Dès la seconde semaine, ils étaient ensemble. Pourtant Barbara était souvent malade ou sujette à des nausées. Elle avait du mal à se faire à cette vie de plat, de sable et de sel. Dès qu’elle tomba enceinte, elle retrouva définitivement la santé.
- Tu as pris les sacs ?
Red Sonja
Elle réajuste ses vêtements et ceux de la fillette sur le perron, saluant une voisine. Il sort, prudent, de la maison avec les sacs. Il verrouille la porte, en hésitant encore un peu sur le sens qu’il faudrait donner au tour de poignet. Depuis que la cité a un forgeron et un fabricant de serrures, toutes les habitations sont maintenant équipées du nécessaire pour que chacun reste chez soi. Elles font en moyenne un ou deux étages et sont collées entre elles. En dehors des avenues, les rues sont suffisamment étroites, les toitures bordées et inclinées, pour conserver de l’ombre une bonne partie de la journée. Ils n’ont pas très loin à aller : plusieurs comptoirs de bouche ont ouvert aux quatre coins de la cité. Ce sont des magasins en dur, tenus par des commis de marchands caravaniers. Le marché aux denrées n’a plus lieu que deux fois par semaine. L’éclosion de ces grandes surfaces où on trouve de tout a cassé le marché des échoppes et des vendeurs ambulants. Il faut désormais être un gros producteur pour s’implanter dans le commerce local : les petits vendeurs sont repartis aux travaux des champs ou de la mer. Au service de ceux qui possèdent la terre ou l’outil de production. Le droit de la propriété a été importé par les impériaux et commence à être assimilé par les barbares.
- Bienvenue Barbares ! Voulez-vous essayer la nouvelle invention de Mr Kopetfinker ? C’est gratuit !
Le gros homme qui vient de les interpeller à l’entrée extérieure de la boutique désigne un gnome à ses côtés qui s’occupe de visser une poignée sur un étrange petit chariot de bois. Le volet arrière se soulève de l’intérieur et permet au chariot de s'emboîter dans une rangée d’une dizaine d’autres. Les quatre roues sont enduites d’une épaisse couche de noir-qui-brûle mélangé à de la résine végétale. Le noir-qui-brûle se trouve partout en larges galettes qui viennent s’abandonner sur la plage et dans le cas présent, permettent aux roues une extrême souplesse de mobilité. Le couple et l’enfant, curieux et amusés, s'empare du chariot que vient de terminer le gnome et s’engouffre dans le magasin. Les deux acolytes les regardent partir avec une certaine jubilation dans le regard. L’homme ventripotent remue ses petits doigts boudinés en désignant le chariot.
- Vous verrez ! Cela va vous faciliter la vie !
En aparté au gnome :
- Tu as vu ? Tu vas devenir riche Kop ! Quand maître Tolodei a une idée, tu peux être assuré qu’elle sera lucrative ! Toi et moi nous allons mettre au point de grandes choses ! Notre séjour de repos à Port-Kro s’avère être un havre d’inspiration.
- J’ai quelques réglages encore à faire et après je commence le prototype que vous m’avez commandé.
- Oui, d’ailleurs il faudra leur proposer de l’essayer, quand ils ressortiront. Je suis sûre qu’ils vont être conquis. Le barbare a l’air endormi. C’est elle qui décidera, tu verras. Elle va s’acheter plein de trucs inutiles. Et ils compléteront le panier des caprices de la fillette. Ils se gaveront de toutes ces choses qui ne se vendent pas d’habitude, parce qu'ils n’ont pas le temps ou pas assez de place dans les sacs. Ils pourront désormais tout emporter grâce à ton chariot magique !
Il détourne la tête, les deux mains croisées ou pendantes devant la poitrine, affichant son plus beau sourire de bienvenue.
- Mais bonjour Madame ! Permettez que je vous présente...
Konrad et Barbara eurent les mains libres pour flâner à leur guise dans le magasin. La fillette ne décrochait pas du chariot, sa nouvelle attraction ludique : pas besoin de lui courir après. Barbara refusa néanmoins la proposition de louer le chariot pour ramener ses achats chez elle. Une de ses compagnes de confection de costumes l’accosta dans la rue et lui teint conversation jusqu’à la porte de leur maison. Elle participait à la construction de l’église déenne. Elle tenait absolument à vanter les mérites et les talents d’architecte du jeune prêtre dépêché par le Duché des Marches océanes. Elle avait participé à la construction de la maison de Konrad et Barbara avec un tel enthousiasme et une telle ardeur que Barbara se sentit obligée de lui prêter une oreille bienveillante. D’autant que Sarah avait développé de véritables compétences de charpentier. Quand un couple avait son premier enfant il était de tradition que toute la communauté participe à l’édification de leur nouvelle demeure. Sarah, bien qu’elle n’était pas connue pour être croyante, avait longtemps tourné autour du pot afin de solliciter leur aide pour l’édification de ce nouveau temple. Barbara accepta de donner un coup de main mais en restant évasive sur le temps qu’elle et Konrad y consacreraient. Elle parvint enfin à congédier Sarah et toisa Konrad d’un œil chargé de reproche. Il se tenait au mur en reprenant son souffle. Il avait dû porter la totalité des sacs, qui, lui avait-il semblé, étaient plus remplis qu’à l’habitude. Et sa fille sur le dos, parce qu'elle avait mal aux pieds. Soit l’équivalent de ce qu’auraient pu transporter deux mulets.
- Tu aurais pu dire quelque chose et ouvrir la porte ! Nous sommes tous les deux autant redevables à Sarah, l’un que l’autre. Tu crois peut être que les courses vont se ranger toutes seules ?
Lire la suite : L'Ambassade.
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