Episode 8 - Dans la forêt
En Panodyssey, puedes leer hasta 10 publicaciones al mes sin iniciar sesión. Disfruta de 9 articles más para descubrir este mes.
Para obtener acceso ilimitado, inicia sesión o crea una cuenta haciendo clic a continuación, ¡es gratis!
Inicar sesión
Episode 8 - Dans la forêt
Son panier au creux du coude, Emma quitte la petite maison de berger, cachée au creux de la forêt de Sambuccalia. Eliane et Marianne sont en sécurité. Les visites sont rares et la Forêt protège la guérisseuse et celles qu’elle décide d’héberger le temps d’une convalescence.
Emma a choisi de vivre dans cette maison isolée. Elle avait erré quelques jours, dans la forêt et la montagne toutes proches, ivre de chagrin et de vengeance après la mort, dans des circonstances plus que douteuses, de son mari. Les pics rocheux avaient mis à rude épreuve sa constitution fragile, mais dans la fatigue elle avait trouvé un réconfort. Elle avait crié son désespoir au pied des falaises, dormi au creux des buissons, dont les effluves odorants avaient apaisé, pour des instants fugaces mais réparateurs, sa douleur. Quand elle avait découvert au cœur d’une clairière cette petite maison de pierres aux murs recouverts de lierre, elle avait ressenti comme un appel, une attirance. Une douce sensation de paix et de réconfort émanait de cette petite construction sommaire. Emma avait besoin de sérénité et de solitude. L’emplacement était idéal, éloigné de cinq kilomètres du village, au centre d’une clairière, le terrain recevant assez de lumière pour la croissance des simples, et la nuit, l’éclairage lunaire permettant la réalisation des rituels en toute quiétude.
Sa disparition du village et dans les palabres avait été brève. Sur la place des marchés et jusque dans les tavernes les plus sombres, la rumeur d’une retraite en ermite, au cœur de Sambuccalia, avait rapidement circulé. Des femmes blessées, humiliées, souillées, voyaient apparaitre son refuge lorsqu’elles évoquaient son nom dans leurs prières. Elles échappaient alors à la garde de leur mari ou de leur maitresse et bravaient leur peur de cette forêt maudite, guidées par un instinct de survie et la complicité de la végétation protectrice. Elles avaient besoin d’un soin, d’une potion, d’une convalescence ou de participer à un rituel. La motivation principale était devenue avec une fréquence de plus en plus grande, leur retour à la liberté.
Dans un message subtil, les arbres guident et mènent encore des « promeneuses » jusqu’au repaire d’Emma. Le chemin irrégulier, souvent inondé, la traversée d’une partie de la forêt imprégnée des chants d’oiseaux sauvages, des croassements des corbeaux et corneilles, le cri d’un rapace en vol circulaire au-dessus d’une proie, le grondement du ruisseau après une période de pluie, les ronces et branches souples enchevêtrées sont autant d’obstacles naturels placés sur la route des visiteuses. Comme les visites rendues à Emma sont rarement dues au hasard, cette progression semée de petites embûches est une invitation à la réflexion. Prendre une décision est une chose, atteindre son objectif en est une autre.
Emma a compris qu’Eliane ne lui demandera pas seulement de la soustraire à une autre maternité non désirée. Elle a perçu dans ses yeux la tristesse de l’errance vers une autre destination. L’exil dicté par la nécessité de vivre pleinement après être allée au bout de sa souffrance, dans l’accomplissement de ce que la société attendait d’elle.
Elle a repéré la complicité et le dévouement sincère de Marianne.
Les deux femmes ont besoin de repos. Une retraite au creux de la forêt leur fera le plus grand bien.
Cette fin de matinée, Emma ressent un besoin de capter l’énergie sylvestre afin de satisfaire cette nouvelle mission. Elle se laisse envelopper par la puissance végétale autour d’elle., bercée par le bruissement des toutes jeunes feuilles qu’elle effleure et cueille, après une demande respectueuse auprès du généreux donateur.
Dans la chaleur, aussi douce qu'une main maternelle, de ce début de printemps, elle s’abandonne un instant. Le parfum suave des ombelles des sureaux protecteurs apaise, un instant, l’agitation de ses pensées. Elle entoure de ses bras, avec amour et respect, le tronc d’un jeune noisetier. Sous l’écorce fine elle ressent le flux de la sève. La vie vibre à l’intérieur de l’arbre et l’énergie traverse ses paumes. Avec tendresse et respect, elle lui adresse une prière muette. Les lignes de la main d’Eliane la hantent. Elle a vu au-delà du dessin. Elle a reconnu les visages de ceux qu’elle devra combattre et l’un d’entre eux lui inspire un sentiment qu’elle croyait avoir oublié, enseveli sous sa bienveillance naturelle et le nouvel équilibre de sa vie. Sa mission à venir nécessitera beaucoup de maîtrise et la mènera sur des chemins inconnus. Le destin de ces femmes repose sur elle. La puissance végétale sera-t' son alliée dans cette nouvelle entreprise de soin et de sauvetage?
Soudain, elle ressent le sol vibrer, le bruissement des toutes jeunes feuilles, le chant perturbé des oiseaux. Elle connaît trop bien cette situation : des cavaliers approchent. D’après les ondes sur le sol, elle devine qu’ils sont deux. La brise lui apporte alors les effluves des chevaux et la forte odeur de sueur humaine. Furtivement, elle se dissimule à l’intérieur d’un amas de buissons, à proximité.
Les voix fortes couvrent les bruits de la forêt. La gravité de l’une d’elle a des sonorités si profondes qu’elles insinuent des vibrations au creux de son ventre, capte involontairement son attention. L’homme saute lourdement de sa monture dans un cliquetis de chaînes et d’acier avant de soulager un besoin pressant, au pied du noisetier, en sifflant un air paillard.
« Encore un de ces soudards bas du cerveau ! pense Emma en évaluant la haute stature. S’il ne parle pas, il peut faire illusion, mais je doute fort qu’il en soit capable ! Sa principale occupation… Mince, cet idiot se rapproche ! »
L’autre homme, plus discret, a rejoint son compagnon près d’un buisson. Il sort de sa besace une gourde de peau et un morceau de fromage dont l’odeur se répand sur toute la place. Emma manque de suffoquer. Elle se protège le nez avec un pan de son châle et réprime un haut le cœur.
Une puissante cacophonie de mastication, d’éructations et divers sons corporels accompagnent leur pause et leur conversation tandis que les chevaux se reposent et s’ébrouent à quelques pas.
« Bel endroit pour se délasser, hein Titus !
– Ouais ! le Marquis ne pensait pas nous offrir une si belle échappée en nous demandant de retrouver sa saleté de bonne femme ! Comme si elle pouvait être aussi loin du château ! Elle a dû se noyer avec sa complice. Tu parles ! deux bonnes femmes seules sur la route, et des châtelaines en plus !
– Bah, cette pondeuse a dû trouver une ventrière dans les environs et elle est morte des suites ! C’est toujours comme çà avec ces gueuses qui ne veulent plus de notre virilité ! Bien fait pour sa gueule ! Notre maître est délivré et pourra à sa guise trousser toutes les petites femelles !
– Ouais, bah je l’envie, le cochon ! Je doute qu’elle soit allée voir cette Emma dont tout le monde parle. Je doute fort qu’elle existe d’ailleurs, celle-là ! On raconte qu’elle a des pouvoirs surnaturels, qu’elle peut être dangereuse. Tu parles ! Une gueuse qui s’y croit, rien de plus ! Qu’elle me donne un de ses filtres ! »
Soudain, un rapace plane au-dessus des deux cavaliers, plonge, s’empare du fromage puant et d’un coup d’aile puissant s’envole sous le regard effaré des hommes.
« Sacrebleu ! Partons d’ici ! On racontera que leurs cadavres ont été découvert déchiquetés par les loups près d’un ruisseau !
– Ouais, fuyons cet endroit, j’aime pas les rapaces ! »
Emma réprime un fou rire pendant que les deux soudards retrouvent leurs montures et s’en retournent bredouilles au château.
Par : Ysa Lapiert
Image par AGNIESZKA WEN de Pixabay