La petite fille aux allumettes et le Vendeur de bougies (partie 4)
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La petite fille aux allumettes et le Vendeur de bougies (partie 4)
La petite fille aux allumettes et le Vendeur de bougies
Inspiré du conte « La petite fille aux allumettes » d’Hans Christian Andersen
Partie IV: La vraie fin
(Une lecture des trois parties précédentes est nécessaire à la compréhension du récit. Le premier chapitre commence ici )
Les jours passèrent et la petite fille vécut heureuse avec sa grand-mère comme seule compagnie. Mais l’apparition d’une si grande demeure ne pouvait passer inaperçue très longtemps. D’abord un peu effrayés, les villageois se faisaient de plus en plus nombreux à se risquer sur ses terres. La petite fille, les connaissant tous de vue, reconnut ceux qui, comme elle, souffraient le plus du froid et de la pauvreté. Elle voulut donner des vivres à ces pauvres âmes. Sa source n’était-elle pas inépuisable ? Puis elle offrit aussi le logis aux personnes les plus désespérées venues réclamer la charité. Il faisait froid, dehors, et n’avait-elle pas moult chambres à offrir ? Son père, néanmoins, n'essaya jamais de revenir.
Puis, un jour arriva où un hôte de la jeune fille décida de s'approprier son chateau. Pour ce faire, il attendit que l'enfant s’endorme et tenta de voler les bougies qui se trouvaient sur l’âtre de la cheminée. Mal lui en prit, car la grand-mère veillait au grain ! Si elle ne pouvait le toucher directement, elle était tout de même capable de passer par l’intermédiaire d’objets, une dague à tout hasard. L’homme fut retrouvé le lendemain, poignardé. Et son fantôme dut jurer fidélité à la petite fille. Car tel était le sort de l’enfant. Toute personne qui venait à mourir ici rejoindrait ses rangs pour le meilleur comme pour le pire.
L’histoire se répéta, se répéta, et se répéta encore des années durant. L’homme n’est-il pas naturellement jaloux de tout pouvoir qu’il ne peut avoir ? Au fil des années, c’est ainsi que la jeune fille se constitua une petite armée de spectres.
Mais cette petite fille n’en était maintenant plus une. C’était devenu une jeune femme, bien plus imposante, à force d’être nourrie par la Corne d’abondance. Cependant, ce n’était là que le plus infime changement.
Ayant appris qu’une personne avait osé construire sur ses terres une bâtisse plus belle que la sienne, le seigneur des lieux vint lui-même prendre connaissance de la situation. Il apprit de la bouche des habitants du village que cette femme diabolique osait percevoir une taxe supplémentaire à la sienne sur ses gens, ce dont le noble n’avait en réalité que faire. Cependant, il se rendit sur place et exigea d’entrer dans le palais.
On lui ouvrit les portes et il pénétra dans ce qui semblait, à première vue, n’être qu’un lieu désert. Dans la salle à manger, la jeune femme grasse lui proposa de manger un morceau à sa tablée. Il accepta, et entama ce pour quoi il était là. Il était prêt à lui vendre le terrain sur lequel elle s’était installée sans rien demander, mais à prix d’or, évidemment.
Aussitôt, une multitude d’Eydolons, les fantômes de ces jaloux qui étaient passés à la même table pendant des années, apparurent, et la femme éclata de rire. Il n’avait rien à lui réclamer. Sous la menace, elle l’obligea à sortir.
C’est la queue entre les jambes que le seigneur s’enfuit bien vite chez lui. On n’en entendit plus parler pendant quelques mois, au terme desquels il se présenta à nouveau. Il n’était cependant plus seul, puisqu’il avait amené avec lui des armes de siège et l’aide de quelques alliés. Ensemble, les seigneurs des environs tentèrent de prendre le château de la jeune femme par la force.
Sans succès. Ce fut une pitoyable défaite, la première d’une longue série. Ils avaient beau s’allier entre eux, aucun seigneur ne parvint jamais à prendre le château majestueux. Pire encore, en guise de représailles, les soldats morts au cours des combats revenaient hanter les demeures de leurs anciens maitres, qui finirent par fuir leurs propres terres.
L’influence de ce que les gens appelaient désormais la Reine des Eydolons se fit de plus en plus grande. Sans jamais quitter son antre de pierre, elle commençait à manipuler l’échiquier politique à sa manière. Elle était en train de devenir la personne la plus puissante du continent.
Un jour d’hiver particulièrement froid, on frappa à sa porte. C’était un petit garçon, vêtu de haillons, qui lui demandait pitié. Il réclamait de passer la nuit sous son toit, et un reste de nourriture. Mais la dame, grande et grasse, ricana avant de lui claquer la porte au nez.
Cela faisait bien longtemps qu’elle n’offrait plus la charité. Premièrement parce qu’il tenterait de lui voler ses pouvoirs, et deuxièmement parce que, même s’il essayait, elle avait déjà bien trop d’Eydolons à son service ! Et puis, elle n’avait pas de temps à perdre avec un faible miséreux comme lui. Les petites gens, ces paysans, n’étaient que de la main d’œuvre, des êtres trop faibles pour s’en préoccuper ! Elle les exploitait depuis des années maintenant, sous la menace et la peur qu’elle inspirait, afin de se procurer des choses que son trésor ne pouvait lui fournir directement. Et puis, s’il voulait vraiment manger, il n’avait qu’à avaler de la neige ! Il était tout minuscule, alors qu’elle, avec ses formes imposantes, devait manger comme quatre, au point que la Corne lui suffisait à peine. Il n’était dès lors plus question de partager.
Elle s’installa à sa table. Claquant des doigts, des spectres vinrent lui dresser une assiette et débouchonner une bouteille d’un bon vin importé de Safranie. Elle ne leur adressa pas un regard. Cela faisait longtemps qu’elle avait oublié qui ils étaient. Même sa grand-mère n’était plus qu’un fantôme parmi les autres, forcée de lui obéir.
Elle entama alors son repas, engloutissant des quantités monstrueuses de nourriture, prenant à peine le temps de mâcher. Plus, toujours plus, il lui en fallait plus, pour satisfaire son appétit ! Elle mangeait et mangeait encore ! Elle passait son temps à dévorer ou à envoyer ses Eydolons récolter les taxes et conquérir de nouvelles terres sous son emprise. Quand, subitement, un simple os de poulet vint à se bloquer dans son œsophage.
La grosse dame toussa d’abord puis se releva, paniquée, son teint devenant bleu, comme en pleine hypothermie, suffoquant de plus en plus. Ses fantômes, autour d’elle, la regardèrent sans bouger. Ils ne pouvaient pas la toucher. Elle tomba à genoux, tirant sur la nappe de la table. Celle-ci entraina la Corne d’abondance dans sa chute, qui se brisa, répandant un peu de nourriture sur le sol de pierre.
Puis, alors que la grosse dame expirait, les centaines de revenants baissèrent la tête avant de disparaitre, pour de bon cette fois, enfin libérés de leur malédiction. Dans un coup de vent venu de nulle part, les petites flammes des trois bougies s’éteignirent de concert. Au même moment, le toit du château commença à s’affaisser et le feu de cheminée, qui jamais n’avait faibli, disparut de lui-même.
Ainsi se termine cette pathétique histoire d’une pauvre petite fille qui avait reçu un coup de main du destin, la propulsant au plus haut. Mais ayant ainsi quitté sa condition, elle était devenue comme ces seigneurs qui n’ont cure des petits. Tout ce qui l’intéressait n’était que son propre pouvoir et son plaisir personnel, ainsi que l’expansion de ses terres. Sa grand-mère aimante l’aura appris à ses dépens.
Car la puissance est telle une maladie qui ronge votre humanité de l’intérieur. Plus vous aurez de pouvoir, moins la vie des autres vous intéressera, et plus votre propre existence sera importante. Vous aurez même envie de le clamer aux autres, aussi inférieurs soient-ils ! Être passé par la case du malheur ne change en rien cela. Pire, cela peut même l’exacerber. N’est-ce pas signe plus frappant encore du succès, une preuve supplémentaire de cette incroyable réussite ? Alors, si un jour, vous rencontriez un Vendeur de Bougies qui vous proposait son aide pour concrétiser vos rêves… réfléchissez-y peut-être à deux fois…