Le bois des étourneaux: prologue
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Le bois des étourneaux: prologue
Si un observateur attentif avait pu constater la maladresse qui m’affectait, ce n’était pas l’absence de pratique qui laissait entrevoir la claudication de mes doigts sur le clavier de l’appareil acquis depuis quelque temps. Ma profession de chercheur, maintenant derrière moi, m’avait très tôt habitué à l’usage des ordinateurs modernes.
La fébrile appréhension de ces dernières heures plus horribles les unes que les autres entrave toujours le travail que je me suis imposé. Mon cœur battait la chamade, et mes mains tremblaient légèrement, trahissant l’angoisse qui me rongeait. Mais, peut-être n’était-ce qu’une tentative plus insidieuse de m’empêcher de dévoiler ce qui doit l’être. L’Humanité doit savoir, le salut des âmes en dépend, si toutefois c’est encore possible.
Bien que les ultimes événements me pressent en ces moments sombres, je dois commencer mon récit par le début. Le lecteur qui, par malheur, devrait un jour poser les yeux sur ces lignes lorsque je serai parti pour un monde dont je doute qu’il soit meilleur y trouvera certains détails indispensables. La pleine compréhension de l’avertissement qui, comme je le désire, ne souffrira pas des effets du temps en dépend. Chaque mot que j’écris me coûte un effort désespéré pour préserver la vérité et la sauver de l’oubli ou de quelque chose de plus subtil qui doit demeurer tapi dans l’ombre. Toute tentative restera vaine d’identifier ma personne, les lieux et les protagonistes de ce compte rendu qui se veut le plus fidèle possible aux tragiques événements qui se succédèrent. La nécessité de protéger quiconque d’une curiosité fatale dont il pourrait m’être tenu rigueur des tourments qui en résulteraient m’impose de telles dispositions tant pour la santé des vivants que pour le repos des trépassés.
Comme beaucoup d’histoires, celle-ci naît dans la rêverie. Étais-je plus qu’à moitié endormi ou quelque chose de plus pernicieux opérait-il à mon insu lorsque tout a commencé? Encore aujourd’hui, je ne saurais le dire avec certitude. Quoiqu’il en soit, le retrait récent du milieu professionnel était le meilleur terrain de vagabondage pour un esprit aussi actif que le mien. Les souvenirs de mon enfance, pourtant lointaine, revenaient avec une clarté troublante, comme si les années de ma vie s’étaient contractées. Je me surpris, dans ces voyages oniriques — si c’en étaient bien — à réveiller assez nettement les moments heureux de mes premières années. L’impression était si réelle que même les odeurs fortes des fleurs et des moissons faisaient toujours palpiter mes narines lorsque j’émergeai. Tant il en est que l’état de veille ayant repris ses droits, je constatai que ma décision de retrouver ces sensations exquises s’avérait irrévocable.
Veuf, sans descendance, ainsi que mes seules passions révolues, rien de particulier ne me retenait plus, du moins pour un temps, où j’avais vécu la plus grande partie de mon quotidien. Fait curieux, la promesse du retour à la nature renaissante après une existence citadine n’avait rien changé à un départ dans l’année qui était déjà fort avancée avec les premières fraîcheurs d’octobre. J’avais bien sûr l’intention de ne rien rater du printemps et de profiter pleinement des douces saveurs de l’été européen.
Ainsi le milieu du mois maussade avait vu l’avion m’emporter vers les joies qui m’avaient tant manqué.
Crédits
Illustration de couverture: Composition personnelle basée sur des éléments générés avec Copilot