

04- Perturbations
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04- Perturbations
La montre a l'air de fonctionner. Nous marchons à présent en direction du second point. Mais c'est long.
En plus, lorsque l'autre pédale a failli se prendre les pieds dans une racine, la montre m'a envoyé un message vocal, directement dans ma tête, pour me dire que l'usage de termes homophobes était déconseillé. Je ne savais pas qu'ils nous espionnaient.
Ça veut dire qu'il faut que je fasse attention. Avec les problèmes financiers de mon père, ma seule chance d'intégrer l'université, c'est d'obtenir une bourse de basket. Et ça ne marchera jamais si on écrit sur mon dossier que je suis homophobe !
En même temps, comment ne pas l'être ? Quand je pense aux gestes déplacés du client du Rainbow ! Franchement, s'il ne fallait pas garder cette situation secrète et si je n'avais pas besoin de fric, je n'aurais jamais accepté de travailler là-bas ! Tu crois que je ne les vois pas les petits pervers qui me matent, ou qui font semblant de laisser traîner leurs mains ? Ils me répugnent ! Et je ne parlent pas de ceux qui s'envoient en l'air dans les toilettes ! Prenez une chambre les gars ! Vous croyez que ça m'amuse de nettoyer votre bordel ?
Le patron m'avait prévenu pourtant en m'embauchant. "Avec un physique comme le tien, tu devrais te faire des pourboires, si tu sais t'y prendre." Ouais, ben c'est pas cher payé, si tu veux mon avis.
Mais apparemment, je suis trop agressif. En même temps, ils ne veulent pas comprendre que je ne suis pas intéressé. "Pourquoi travailler dans un bar gay sinon ?" Parce que j'ai besoin de gagner du fric dans un endroit où personne du lycée ne se pointera ! Quoiqu'avec toutes les tarlouzes du lycée, il y a un risque... T'imagine si un mec comme Enzo me grillait ? Je serais obligé de le buter. Pas le choix !
— Je fais une pause, annonce Jade en s'asseyant sur une souche.
— Déjà ?
— Ça va, marmonne Emma. On est largement dans les temps prévus.
— Raison de plus pour prendre de l'avance !
— Qui veut une bière ? demande Jade sans s'intéresser le moins du monde à ce que je dis.
Elle a emporté de la bière dans son sac ?
— On n'a pas le droit de boire de l'alcool, bredouille Emma interdite.
— Bonne idée, répond Enzo. Il fait déjà chaud.
Cet avorton boit de la bière ? Fais pas le malin, mec.
— Damon ? me demande Jade.
— Pourquoi pas.
Je ne peux quand même pas faire moins qu'un chanteur. Jade sourit d'un air narquois. Inutile de prendre cet air supérieur avec moi !
La canette se vide en quelques secondes ! Alors, pédale, tu peux faire la même chose ?
Soudain, un nouveau message de la montre résonne dans ma tête :
"Une enquête de police est en cours : ce serait dommage qu’une caméra ait tout filmé…"
La canette s'écrase dans mon poing, attirant tous les regards vers moi ! Je regarde ma montre. Qui a envoyé ce message ?
Expéditeur anonyme.
De rage, je jette la canette compressée sur le sol.
Je dois me contrôler ! Rester calme ! Absolument!
— On repart ? propose Enzo avec inquiétude.
*
Je ne sais pas ce qui a pris Damon, tout à l'heure, mais il avait l'air fou de rage. Pourtant, il a pris sur lui. M'étonnerait que ce soit la bière. Même Jade ne l'a pas ramenée. Elle semble toujours calme, marchant nonchalamment dans son imper noir. Provocante et inaccessible. J'ai tout de même l'impression qu'elle a apprécié que j'accepte sa bière. Qui sait ? J'ai peut-être une chance si j'abats bien mes cartes. Après tout, elle a certainement beaucoup de choses à m'apprendre...
Soudain, je ressens une vibration. Un message.
"L’ennui avec les lettres anonymes, c’est qu’elles cachent toujours la culpabilité du rédacteur…"
Impossible ! Je tressaille, incapable de bouger ! Personne ne peut savoir !
L'instant suivant, je suis propulsé contre un arbre par Damon.
— T'arrête pas au milieu du chemin ! Tu gênes !
Je l'aurais bien fracassé sur place, mais une peur salutaire me retient. Il me tuerait sans même transpirer.
Mais qui peut savoir pour la lettre anonyme ?
*
La tension est montée d'un cran depuis la pause. Je ne sais pas où me mettre. Damon serre les dents. Enzo a pâli et semble renfrogné. Est-ce étonnant après l'agression du basketteur ? Mais ça s'est passé trop vite pour que je puisse filmer.
“Réaliser de bons films n’est pas donné à tout le monde, mais pourquoi les garder secrets ?”
Un message. Anonyme. Sur mes vidéos ? Impossible !
Bien qu'en queue de peloton, ils se sont tous retournés vers moi. Je crois que j'ai crié de stupéfaction.
— J'ai cru voir quelque chose bouger. Désolée.
Damon et Jade reprennent leur marche comme si de rien n'était. Ça a des avantages d'être ignorée.
— Ça va ?
C'est Enzo. Il s'est rapproché et me regarde avec attention. Sait-il quelque chose ?
— Oui, je te remercie. Ce n'était vraiment rien.
— Il n'y a pas de honte à avoir peur, tu sais ?
Quel sourire ! Je me sens devenir écarlate et je détourne la tête, tandis qu'il me passe une main dans le dos.
— Allez, viens. Sinon ils vont nous laisser derrière.
— ...
— Ce ne serait peut-être pas si mal, après tout ? Sauf pour la bière... ajoute-t-il avec un clin d'œil malicieux.
Je ne sais plus où me mettre. Mes mots s'étranglent dans ma gorge, débordés par mes émotions. Mais Enzo se contente de sourire et de m'encourager à avancer, tandis que la montre m'indique que ma vitesse cardiaque a augmenté de façon sensible...
*
Dire que je pensais détendre tout le monde avec la bière ! Il n'y a pas à dire : je suis une vraie boute-en-train !
Enfin, on se rapproche de la deuxième étape. J'espère qu'ils n'en ont pas prévu trop, parce que mes chaussures ne sont pas du tout adaptées à la randonnée.
“Quand on pense que ce crétin n’a même pas compris à qui il devait cette miraculeuse erreur de notes…”
Un message anonyme ? Sérieusement ? Sur cette montre ? Je serre les dents, mais apparemment, personne n'a rien remarqué.
Je ne comprends pas. J'ai pourtant fait très attention à effacer mes traces. Personne ne peut savoir ce que j'ai fait.
Enfin, c'est ce que je croyais, parce qu'apparemment, quelqu'un l'a découvert.
Et il me nargue avec un message anonyme. Moi. Il ne manque pas de toupet.
Première chose à faire : transférer ce message sur un e-mail sûr. L'expéditeur a forcément laissé des traces.
Je ne peux sans doute pas les analyser maintenant, mais dès que j'aurais récupérer le matériel idoine, je vais te retrouver.
Et crois-moi ! Tu vas regretter ta petite provocation !
Voilà la deuxième étape ! Et l'affichage du troisième point à joindre ! Je en sais pas pourquoi, mais j'ai hâte d'en finir avec cette stupide rando pour m'occuper des choses sérieuses !

