En quoi les entreprises sont-elles des sources d'émissions CO2 ?
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En quoi les entreprises sont-elles des sources d'émissions CO2 ?
Une fois par mois, l’équipe éditoriale de Mobius se penche sur un sujet relatif à l’écologie. À travers ces zooms, nous cherchons à présenter de façon objective quels sont nos rapports à la nature que ce soit d’un point de vue personnel, ou professionnel. Aujourd’hui, nous nous penchons sur l’implication que peuvent avoir les entreprises dans les émissions de CO2.
Depuis quand sait-on qu’émissions de CO2 et activités industrielles sont liées ?
Les premières publications étudiant l’impact du dioxyde de carbone (CO2) sur les températures du globe remontent au XIXème siècle. L'une d'entre elles fut menée par Svante Arrhénius (voir photo) vers 1896, un chimiste suédois qui reçut entre autres le prix Nobel de Chimie en 1903.
Ce dernier s’est alors interrogé sur les possibles conséquences du relâchement massif de CO2 dans l’atmosphère. En effet, depuis le début de la Révolution Industrielle (fin du 18ème/début du 19ème siècle), une grande quantité de CO2 était relâchée dans l’atmosphère par les industriels du fait de leur utilisation de combustibles fossiles (c'est expliqué dans cette étude, page 1). Le chimiste suédois fut notamment le premier à émettre l’hypothèse qu’un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère (0,028% à la fin du 19ème siècle, soit 280 ppm) pourrait causer une augmentation de la température de la planète de 4°C à 6°C.
Un article du National Geographic datant d’avril 2019 met en lumière une statistique qui nous ramène directement aux travaux de Svante Arrhénius : il y est expliqué que nous avons battu un record vieux de 3 millions d’années, à savoir que la concentration de CO2 relevée dans l’atmosphère a été de 412 ppm, soit 0,041%. À ce propos, les scientifiques ont annoncé qu’il fallait remonter à l’ère du Pliocène pour trouver de pareilles quantités de CO2 dans l’air terrestre.
En partant de ces statistiques récentes et en les comparant à celles livrées par Svante Arrhénius, on peut en déduire que le niveau de CO2 dans l’air a augmenté de plus de 40% en à peine 150 ans. Ce phénomène est complètement inédit dans l’Histoire de notre planète de par sa rapidité. Depuis, de nombreux scientifiques déclarent que l’être humain ne fait plus que subir le climat, il le modifie de par ses activités industrielles : on parle alors d’anthropocène.
Mais l’évolution des températures confirme t-elle les hypothèses de Svante Arrhénius sur une prétendue convergence entre l’augmentation du niveau de CO2 dans l’air terrestre et un réchauffement des températures à l’échelle du globe ? La réponse est positive. Dans un rapport gouvernemental français portant sur les chiffres clés du climat, la hausse des températures est confirmée :
Si « l’écart par rapport à la moyenne de la période de référence 1961-1990 est fortement négatif jusqu’en 1940 », cet écart est « presque systématiquement positif depuis le début des années 1980 ». Concernant la décennie 2001-2010, elle a été analysée comme étant supérieure de 0,48% à la moyenne 1961-1990. Pour donner un dernier exemple, l’analyse de l’année 2016 a démontré que les températures étaient supérieures en moyenne de « 1,1 degré par rapport à la période préindustrielle ».
Mais alors, à qui la faute ?
Les premiers émetteurs de CO2 sont les pays riches du Nord (dont on disait anciennement qu’ils étaient « industrialisés »), car c’est au sein de ces derniers que l’on trouve les populations les plus aisées, et donc celles qui consomment le plus. Un rapport du 21 septembre 2020 de l’OXFAM confirme cette hypothèse (voir l'illustration ci-dessous).
On peut y lire que les « 10% les plus riches de la population mondiale […] sont responsables de 52% des émissions de CO2 cumulées (au cours des 25 dernières années) », ou encore que les « 50% les plus pauvres sont responsables de seulement 7% des émissions de CO2 cumulées ». Ce rapport de l’OXFAM nous invite donc à considérer le fait que plus les populations ont un pouvoir d’achat élevé, plus elles adoptent un mode de vie qui induit une forte consommation de produits ou de services carbonés.
Un petit groupe d’entreprises à l'origine des deux tiers d'émissions mondiales de gaz à effet de serre
Plusieurs études ou enquêtes ont cherché à cerner les entreprises ayant une attitude répréhensible en matière d’émissions de CO2.
La première étude que nous avons analysée date de 2013 et est signée Richard Heede, un chercheur indépendant (publiée dans la revue Climatic Change). Dans cette étude, celui-ci démontre que 63% des émissions industrielles de CO2 (ainsi que de méthane) sont liées à l’activité de seulement 90 entreprises. Plus précisément, il affirme que ces 90 sociétés sont directement responsables des 2/3 des émissions mondiales de CO2 depuis 1750. Sans grande surprise, sur ce total, 83 sociétés ont un business basé sur la combustion d’énergies fossiles, et les 7 autres sont des producteurs de ciment.
La deuxième source sur laquelle nous nous appuyons est une enquête publiée par le journal TheGuardian datant d’octobre 2019. Cette dernière s’appuie en partie sur une étude du Climate Accountability Institute. Il y est mentionné que 35% des émissions mondiales de CO2 depuis 1965 sont engendrées par seulement 20 entreprises, dont une française bien connue : Total (17ème dans ce classement). On y découvre des faits extrêmement intéressants :
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une majorité des sociétés impliquées sont détenues par des États (12 de ces 20 sociétés, à l’instar de Saudi Aramco (Arabie saoudite) ou de Gazprom (Russie)) ;
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les émissions de dioxyde de carbone imputées à ces sociétés sont à 90 % provoquées lors de la consommation de leurs produits. Exemple : pour 1 litre d’essence, le CO2 rejeté dans l’atmosphère est à 10 % causé par le processus d’extraction (réalisé directement par les entreprises pétrolières), et à 90 % causé par la combustion du carburant dans le véhicule d’un consommateur.
Interview de Cyrus FARHANGI
Consultant indépendant en écologie et résilience, Cyrus travaille depuis plusieurs années aux côtés d’acteurs privés et publics sur l’évaluation de leurs impacts socio-économiques et environnementaux. Il anime en outre une communauté d’intérêt sur LinkedIn et gère le blog https://www.collaborativepeople.fr. Dans le cadre de cet article, il s’est livré à un entretien passionnant et très instructif. En voici un extrait.
As-tu déjà été engagé par des entreprises pour les aider à émettre moins de CO2 de par leurs activités commerciales ?
Non je n’ai pas travaillé dans ce domaine auprès des entreprises. C’est le genre d’activité que fait le cabinet Carbone4. Ces derniers procèdent à la mise en place d’une comptabilité carbone et proposent ensuite des recommandations pour diminuer l’empreinte carbone de l’entreprise. Ces recommandations dépendent de leurs constatations.
Sur quoi se basent-ils pour établir ces recommandations ?
Je ne connais pas les outils de Carbone4 dans le détail, mais dans les grandes lignes, l’empreinte carbone d’une entreprise se base sur ses données d’activité, auxquelles on associe des facteurs d’émissions. Par exemple, ils estiment x tonne de CO2 pour x unité d’acier achetée, ou encore x tonne de CO2 pour x unité de viande consommée à la cantine de l’entreprise. La première étape du travail consiste d’abord à comprendre le problème et cartographier les sources d’émissions. L’empreinte carbone des entreprises est classée par 3 « Scopes » :
- le Scope 1, c’est l’empreinte propre de l’entreprise, donc les combustibles brûlés sur le site ;
- le Scope 2, c’est l’empreinte liée à l’électricité consommée sur le site de production. Par conséquent, si les émissions n’ont pas lieu sur le site, elles ont lieu à la centrale du producteur d’électricité ;
- et le Scope 3, c’est tout le reste. Par exemple, le Scope 3 d’un aéroport comprendrait le vol des avions. Pour Renault, le Scope 3 concerne l’utilisation de leurs voitures par les consommateurs. On constate que de gros efforts sont faits par les entreprises pour améliorer leur Scope 1, elles ont énormément travaillé sur leurs procédés industriels pour émettre le moins de CO2 possible. Je pense qu’elles y ont été incitées par le marché des quotas de CO2 en Europe.
Ensuite en ce qui concerne l’électricité, c’est plutôt entre les mains des gouvernements de prendre les bonnes directions et de travailler sur le mix électrique afin d’être moins émissif en CO2. Et en même temps, quand les pouvoirs publics prennent des décisions à ce niveau-là, ils mettent en place un système de contrainte énergétique, ce qui pousse les entreprises à changer leur façon de s’alimenter et de recevoir de l’électricité si on reste sur cet exemple. Elles ont donc une part importante du travail entre les mains.
On a l’impression que les entreprises tardent à mettre en place un système de production et de consommation vertueux. Sans forcément rentrer dans un cadre dictatorial, que penses-tu de l’hypothèse de contraindre très fortement les entreprises qui produisent beaucoup de CO2, voire même d’élargir cette hypothèse à la sphère citoyenne ?
Au niveau citoyen, tant que « la demeure n’est pas en péril », il sera difficile de faire accepter socialement cela. Je pense qu’on peut mettre en place tout un tas de mesures qui seront très efficaces, tant au niveau de la sphère citoyenne que de la sphère professionnelle, et qui seront ressenties comme beaucoup plus douces. Par exemple, demain on met en place une taxe carbone aux frontières, on verra progressivement les modes de production et de transport évoluer. Cela nous amènerait aussi à consommer beaucoup moins de trucs ou de bidules fabriqués loin dans des pays n’ayant pas les mêmes normes environnementales que nous, c’est indéniable.
Quand on sait que la moitié de l’empreinte carbone d’un français est importée, entre autres via les centrales à charbon de Chine et d’Inde, via la déforestation en Amazonie avec la production de soja ou en Indonésie avec la production d’huile de palme, ça fait réfléchir.
On peut aussi s’interroger sur la taxation de différents types de biens de consommation comme les produits issus de l'exploitation des animaux, ou encore les seuils règlementaires qui régissent l’industrie automobile. Pour rester sur le sujet de la voiture, on peut avancer sans trop se tromper qu’en cas de contraction pétrolière ou « urgence climatique véritablement ressentie », il sera imposé aux constructeurs automobiles de ne commercialiser que des véhicules qui consomment moins de 3-4L/100km, ce qui est dorénavant largement à notre portée d’un point de vue technique.
Dans tous les domaines la réglementation peut évoluer une fois dos au mur. Et surtout, les différents exemples que j’ai mentionnés ne rendraient pas la vie impossible aux gens. On continuerait à vivre, travailler plus ou moins comme avant, seules quelques habitudes changeraient (ex. réparation / réutilisation des objets, prolongement de leur durée de vie autant que faire se peut) mais ce ne serait pas un retour à l’âge de pierre. Retour à l’âge de pierre vers lequel une dérive climatique à +4 degrés nous emmènerait à coup sûr, dans un temps très court.
D’autre part, le fait même de limiter les importations recréerait de l’emploi, cela redéfinirait un nouvel équilibre autour duquel on s’adapterait. Évidemment tout cela n’est que théorique, mais techniquement on sait comment nous devrions nous y prendre pour diviser nos émissions de CO2 par 3 ou 4. Et l’appareil législatif est indispensable pour faire évoluer cela.