Les chats
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Les chats
Nous voilà donc toutes les deux, Mathilde et moi, accroupie côte à côte par terre les cheveux mouillés et froids, humidifié par la bruine glacée et attendant notre tour, quel tour ?? Je ne sais pas trop. Je regarde autour de moi ... Les autres groupes sont composés de deux, trois ou quatre personnes. Chaque groupe est distant de quelques dizaines de mètres du prochain, ils sont comme nous sur le rebord de ce qui me semble être une plage immense d'un sable blanc immaculé et dont le grain est comparable à du sucre. Il est doux mais il est froid. Ah, tiens, je n'avais pas remarqué jusqu'à présent (en fait, je n'ai aucune idée du temps que je suis ici ??), mais le sable scintille et reflète des milliers d'étoiles minuscules étincelantes de lumière blanche, comme on en voit sur la neige chez nous dans les montagnes quand le soleil éclabousse le ciel bleu les jours d'hiver et s'éparpille dans cette infinitude d'étincelles éclatantes. Le sable est froid. Nous sommes sur la lune côté sombre !
Nous nous regardons l'une l'autre et nous nous rapprochons pour tenter de nous réchauffer. L'air est saturé de fines gouttelettes qui imprègnent nos cheveux. Nos peaux blanchâtres, sont mouillées. Le sable sur lequel nous sommes agenouillées au bord du vide colle aux bandes de coton blanc qui nous servent de haillons. Nos épidermes luisent d'une blancheur translucide.
A cet instant, terrorisées, nous regardons en face de nous. Un immense chat tel le sphinx gardant les pyramides d'Egypte nous fait face. Il est impressionnant, assis sur ses pattes arrière et son pelage d'un blanc froid est tacheté de taches noires. Il se tient sur ses immenses pattes de devant bien droites. Il doit faire au moins dix mètres de hauteur, je n'exagère pas ! Ses pattes sont si grandes que chacune d'entre elles pourrait nous tenir dans son creux. Mais pour l'instant, immobile et assis, sa gueule esquisse un sourire figé. Ces moustaches blanches sont des épées d'acier acérés et ces griffes sont comme des sabres.
Je grelotte, il me jette un regard : dans son regard, j'aperçois une étincelle fugace de lumière froide et éclatante. Je me recroqueville, je comprends que c'est la fin : qu'il va nous emmener et nous déchiqueter. Mon imagination galope et tout à coup, il bouge un instant et me regarde à nouveau.
"Mince, j'ai l'impression qu'il entend ce que je pense ..." me dis-je en mon for intérieur. Alors je n'arrive plus à penser. Je continue à l'observer, comme il semble faire de même avec nous. Il nous regarde, pensif.
Et derrière lui, mon Dieu ! , derrière lui, il y a le vide, oui, il est assis au bord du vide, après la plage de sable, nous avons face à nous le vide de l'univers, noir de velours, noir absorbant toute lumière, là où après il n'y a plus rien. Une nuit sans lumière et sans étoile. La plage s'arrête abruptement, telle une falaise donnant sur le néant. Cette sensation de vide est hypnotique.
Je tourne la tête, me détournant de lui, pour l'éviter, pour tenter de reprendre mes esprits et j'aperçois d'autres chats arrivant ou partant, volant dans ce vide sidéral. L'un d'entre eux arrive face à un groupe situé à une centaine de mètres de nous, s'assied comme le nôtre face à deux personnes toutes aussi effrayées et recroquevillées que nous. Et là, il en attrape une dans sa patte et ce qu'il me semble être une griffe apparaît le temps d'un éclair et frôle la femme assise là. Il la prend et s'envole aussitôt vers le vide. Il disparaît rapidement de notre vue, tandis qu'un nouveau point blanc grossit à une cinquantaine de mètres. Ce sont des va et vient de chats arrivant et emmenant leur proie.
Je comprends que nous aussi allons être emmenées dans le néant. L'heure de notre mort est imminente. De temps en temps, nous entendons quelqu'un pousser un cri de terreur. Il me vient une pensée. J'éclate de rire intérieurement : Cerbère ne serait donc pas un chien mais un chat !!! Le chat se met à nous parler.
Confrontation
Je leur gronde, comme nous avons coutume de faire à chaque fois :
- Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
- Savez-vous ce qui va vous arriver ?
La jeune fille n'arrive même pas à lever la tête et à me regarder. L'autre est une femme d'une quarantaine d'année en haillons blancs, n'ayant plus que la peau sur les os, une peau blanche laiteuse, parcheminée. Elle est très malade, c'est évident. Je sais pourquoi elle est là, il va falloir qu'elle parte avec moi.
- Je vais t'emmener.
Ma voix grave et caverneuse la fait sursauter et trembler comme une feuille. Elle ne sera pas bien lourde à soulever celle-ci, me dis-je.
Alors j'entends une voix au-dessus de moi, m'interpeller :
- Hé toi, le chat !
Je rugis, de ma voix profonde et caverneuse, fâché d'être distrait dans mon travail :
- Qui es-tu ? Comment oses-tu t'adresser à moi ?
- Je suis son fils, laisse-les, va-t’en !
- Comment oses-tu me parler ainsi !! Tu ne sais pas qui je suis ? Comment et pourquoi es-tu là, tu n'as pas le droit !
- Je sais qui tu es, je ne veux pas que tu les emmènes : écoute mon histoire et décide-toi après. Le gamin parle d’un ton sans équivoque et très persuasif..
Je sors une de mes griffes pour me gratter la joue d'un air pensif. Je regarde du côté de la voix.
- Raconte.
- Si tu es d'accord avec moi, tu les laisses et tu t'en vas. Il y avait une fois .... Et il me conte l'histoire d'un petit homme replet et gentillet Mulla Nasrudinne, je crois qu'il l'appelle ainsi, qui va s'opposer et combattre un ange noir de la mort jusqu'à son dernier souffle... Tu vois, tu ne peux pas faire ça, elle est comme lui, laisse-là.
Je médite de longs instants qui doivent sembler une éternité à mes deux victimes assises-là à nous écouter et à attendre, petites créatures grises frigorifiées et désespérées. Puis ma voix grave résonne à nouveau dans le vide sidéral :
- J'admire le courage de ton intervention. Tu es bien jeune pour oser me défier, je dois réfléchir.
Je laisse planer un long silence … de mort........ un certain temps. Je finis par lui dire :
- D'accord, j'accepte, tu aimes ta mère et je respecte ton geste.
Je déploie mes ailes m'envole vers là d'où je viens, de l'autre côté de la vie.
The end
Epilogue
Elle se réveille et sursaute. Elle regarde autour d'elle : elle est seule dans une salle de cinéma. Elle comprend qu’elle est la femme du film. Elle regarde la fin :
Elle voit deux points apparaître au loin, ils grossissent à vue d'oeil : deux chats, une chatte au pelage rose tendre tacheté de noir et un chat bleu ciel tacheté de noir atterrissent et viennent s'asseoir, tournant le dos à l’écran. Ils se tiennent côte à côte tendrement. les caractères blancs du générique défilent de haut en bas sur cette image des chats enlacés, leur regard tourné vers les confins de l'univers. Alors, elle sait qu'elle est sauvée.