2. Les jeunes années
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2. Les jeunes années
La vie était douce en ce temps-là à Moscou. Les étudiants de la MMM jouissaient d’une très bonne réputation qui leur donnait accès à tous les lieux de culture et de détente, aux salles de concerts et aux restaurants les plus branchés. Tatiana et Eugène, âgés d’une vingtaine d’années, rassemblés à la fois par leur amour pour les Mathématiques et de leurs corps réciproques, vécurent-là leurs plus belles années. En dehors des études, ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, à s’aimer. Ils faisaient l’amour partout, sous les porches des rues Arbat ou Tverskaya, se cachant du regard des passants sous leurs gabardines. Eugène aimait la doigter sous la table au restaurant, et souriait de la voir s’agripper à la nappe pour masquer ses émois qui rougissaient ses joues et accéléraient sa respiration ; il la faisait jouir au cinéma où elle gémissait dans un demi-silence pendant les scènes d’action ; Eugène adorait la sauter dans les toilettes très chics pour dames du Grand café Dr. Jhivago où leurs ébats torrides laissaient une trace de condensation sur la porcelaine immaculée du mur. Leurs rires et leurs doigts se mêlaient, dans un instant d’éternité.
Tatiana et lui s'étaient mariés en petit comité, surveillés de près par les élites du KGB. Leur bonheur faisait comme un rempart avec le monde extérieur. Depuis que la Vodka avait fui à Saint-Pétersbourg, des malwares plein ses valises, Eugène avait définitivement retrouvé sa joie de vivre et son charisme naturel qui le caractérisaient tant. Bien sûr, l’ombre de Boris planait parfois dans les rêveries d’Eugène. Des ombres aux coins des rues, des hommes aux cafés cachés derrière leurs journaux, des voitures qui semblent le suivre encore et encore, Eugène en avait fait son pain quotidien. Cela ne l’empêchait pas de signer de plus en plus de contrats de développement de logiciels antivirus et il avait fini par céder à la pression de sa femme de baptiser son entreprise par leur propre nom : KASPERSKY. Un nom qui lui faisait honneur et facile à prononcer pour le marché anglophone, qui plus est. Tatiana Kasperskaya en profita pour s’installer au conseil d’administration.
Pendant près de dix ans, on n’entendit plus parler de la face de rat. Les enfants grandissaient, l’argent affluait, la vie s’écoulait tranquillement jusqu’à cette nuit terrible qui allait marquer un tournant irrémédiable dans leur vie.
Tatiana, espionne en sommeil
Tatiana avait suivi le cursus d’Espion au MMM en même temps qu’Eugène et Boris. Elle était l’archétype de la bonne espionne russe : elle possédait une intelligence vive et un très bon sang froid. Physiquement, c’était une jolie femme, d’une morphologie fine mais pas squelettique, idéale pour se balader incognito et observer sans être vue. Elle avait pour elle tout le charme du tempérament slave avec ce petit air hautain et détaché, très déterminé. Son visage au teint clair pouvait paraitre impassible à ceux qui ne la connaissaient pas. Et cette qualité avait très vite été remarquée par ses professeurs, agents du KGB. Mais elle ne manquait pas non plus d’atouts pour charmer et séduire. Son menton fin, son nez aquilin, ses yeux en amande lui donnaient l’air d’une poupée russe. Elle avait des cheveux châtains aux reflet dorés, un corps bien proportionné à l’allure sportive mais féminine, avec la peau fine et laiteuse. Une taille et des hanches souples, un petit cul ferme et musclé qui surplombait deux belles jambes effilées.
Eugène ne s’y était pas trompé, quand, jeune étudiant malhabile, il s’était acoquiné avec elle dans les bureaux poussiéreux des bâtiments délabrés du MMM. Il se souvient que dans ses jeunes années, Tatiana aimait mettre ses fines chevilles en valeur par des talons hauts, sauf pour des missions nécessitant fuite ou discrétion. Son buste tendu abritait deux magnifiques seins en forme de poire, qui tenaient chacun dans une main. Leurs tétons érectiles dressés en permanence faisaient se former de petits plis sur ses chemisiers, qu’elle aimait porter sans soutien-gorge. Sous le fin tissu, Eugène et même Boris devinaient par transparence la couleur de leurs aréoles, ce qui la rendait instantanément excitante. Tatiana faisait tourner toutes les têtes. Cela l’arrangeait bien : plus ces messieurs regardaient son décolleté, moins ils se méfiaient d’elle. Ses lèvres rose pâle dessinaient un sourire figé sur son visage. En cas d’urgence de séduction, elle les mordillait presque jusqu’au sang. Ses cheveux soyeux tombaient sur ses épaules en boucles lâches. Ils sentaient le savon, l’ambre et la vanille. Ses yeux bleus, tels un miroir sans tain, renvoyaient le regard des hommes qui la désiraient. Quant à son accent, elle jouait de ses modulations pour envouter les plus récalcitrants.
Le charme slave, donc, mais aussi ses dangers. Car le désir qu’elle inspirait pouvait se transformer en froideur sanguinaire, en une fraction de seconde. En bonne professionnelle, elle avait été formée aux techniques d’excellence en ce qui concerne le combat rapproché, les armes de poing ou à feu, les techniques d’interrogatoire, de filature, d’explosif, de travestissement et du passage au détecteur de mensonge. Elle savait analyser les situations, anticiper les bonnes décisions, lire les expressions faciales, repérer les gouttes de sueurs qui perlaient aux temps des espions mal à l’aise. Il était certain que Tatiana l’espionne était dévouée à sa patrie, et elle aurait pu coucher avec n’importe quel type pour soutirer une information intéressante pour son pays, ou buter n’importe quel connard, surtout si c’était un américain, pour le protéger. Mais c’est avec Eugène qu’elle avait décidé de vivre son grand amour, et elle avait mis sa carrière d’espionne en sommeil pour bâtir avec lui une famille et un projet d’avenir. Elle avait déposé les armes après leur mariage, porté leurs deux enfants, puis remis des tailleurs aux jupes fendues, participé à l’expansion de KASPERSKY Corp., mitonné des petits plats, repris activement le yoga et planté des tulipes jaunes dans leur jardin.