Les démasqués
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Les démasqués
Aujourd’hui les masques tombent, rien ne se dissimulera plus derrière cette étoffe synthétique. La vérité sera criante, je ne pourrai plus mentir.
À l’arrêt du bus déjà, j’ai retrouvé toutes les têtes familières, celles que je côtoie depuis des années, mais à qui je n’ai jamais adressé la parole. On se connaît de vue, le temps d’un trajet, oui, on dira ça.
À vrai dire, rien n’a changé, le monde d’avant est immuable, les figures sont toujours aussi moroses, surtout le lundi matin, les débuts de semaine sont nauséeux à souhait, électriques même, la mauvaise humeur façonne les expressions. Pour ma part, je ne les ai jamais oubliés.
Durant ces mois de dissimulation, je me suis autorisé à croiser les regards, parfois même, je les ai cherchés, je l’avoue, je les ai fouillés effrontément, sans crainte, sans appréhension. Dans ces yeux, c’est le monde que j’ai deviné, l’humanité y siège sans fard. Je ne savais pas, je les ai toujours fuis de crainte d’être découvert.
Au bureau, on me connait depuis longtemps, quelques années maintenant, je me suis habitué, mais je me fais encore discret, transparent. Je ne veux pas être un sujet de discussion, certains, plus féroces que d’autres, épiloguent dans mon dos, je le sais, alors je rase les murs à m’en écorcher la peau.
Ces dernières semaines, j’ai rencontré Azadee, elle travaille au premier étage, sa mission se terminera dans quelques jours, je ne sais pas si je dois être triste ou m’incliner devant la fatalité. J’aime passer du temps avec elle, les fins de journée s’écoulent en sa compagnie et me réjouissent ; on se retrouve toujours sur le même banc, là, sur le boulevard. Je sais qu’elle est belle, je le devine dans ses yeux, le masque n’est qu’une coquetterie superflue, un alibi pour se découvrir plus tard, elle semble en être consciente et ne cherche jamais à savoir ce qu’il se cache derrière.
Pour le dernier soir, on s’est retrouvé dans cette chambre d’hôtel, j’ai longuement hésité, mais je n’ai plus rien à perdre, demain, elle sera un souvenir. Mon corps tremble, j’ai peur, je suis prêt à déguerpir, à fuir comme un lâche. La lumière est éteinte, je sens sa présence, elle m’attend dans la pénombre, traversée par un rayon blanchâtre venant des lumières de la rue. Azadee me fait face, son souffle flotte dans l’air, elle m’attire dans ce trait lumineux qui fend l’obscurité et s’étale sur la table basse en une sorte de no man’s land, une zone de neutralité. Elle découvre ma cicatrice, ce sourire perpétuel, laid à vomir qui tranche mon visage de part et d’autre. Mon regard est au sol, j’ai honte, je suis nu, à sa merci.
Ses doigts tremblent sous mon menton, elle ne s’est pas sauvée, terrifiée, hurlant à la mort devant mon visage tranché. Non, elle demande mon attention et à son tour, entre dans la lumière, une jolie tache de vin mange sa joue rebondie.