Guenièvre et Lancelot
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Guenièvre et Lancelot
Dès le premier regard, elle avait compris que son destin était maudit : Guenièvre tomberait amoureuse de Lancelot. La faute à Arthur qui la délaissait. La faute à Lancelot qui la convoitait. Sa faute à elle qui voulait se sentir vivante.
Pour le roi, seule la quête comptait. Le Graal, une coupe irréelle, parfaite, inventée. Une facétie de Merlin. Peu importait. Le plus important, c'était tout le reste. La table ronde, la fraternité des chevaliers, le récit des exploits, la chasse aux dragons dans la brume, la traversée de rivières, les sombres forêts. À cheval, en armures étincelantes. Arthur était un grand roi, condamné à briller pour la postérité. Arthur vivait pour l'éclat, pour l'après. Arthur était un véritable aventurier. De là, il ne pouvait pas vraiment aimer.
Arthur. Certains disaient qu'il était mort mais Guenièvre savait qu'il était là, quelque part, planqué. Redevenu petit, bâtard, mal aimé, sans richesse, sans pouvoir, ignoré. Comme avant l'épée dans le rocher. Arthur avait compris le choix de Guenièvre. Alors il avait préféré s'éclipser.
Lancelot. Lancelot était un enfant de la Loire. Mystérieux, dangereux, insaisissable comme son fleuve. D'ascendance féerique, élevé par une femme puissante. Un côté féminin. Peut-être était-ce pour cela qu'il fuyait les réunions de la table ronde, l'ambiance virile et belliqueuse – un manque certain de subtilité. Sa part féminine faisait toute sa puissance au combat. Sa persévérance, ne rien lâcher dans les batailles, les tournois. À terre, dans l'eau, dans la boue, à genoux, en armure, à cheval.
Pensait-on que la vie des deux amants ressemblait tous les jours à une folle épopée ? Une succession de rendez-vous secrets avec fusion des corps et déclarations enflammées ? Certes, la passion pouvait les consumer parfois, mais les deux amoureux passaient aussi des instants paisibles. C'étaient leurs préférés. Dans un grand pré, au bord d'un étang, assis sous un arbre, la tête sur les genoux de sa reine en train de tricoter. Un art que lui avait transmis sa fidèle suivante. Pour qu'elle ne se sente pas inutile, pour qu'elle ne s'ennuie jamais.
Lancelot aimait regarder Guenièvre travailler de ses mains, tendre le fil sur son doigt. Étrange comme le cliquetis des aiguilles pouvait l'apaiser. Guenièvre savait que le chevalier errant aurait voulu qu'elle lui apprenne. Les fines aiguilles et la douce laine dans ses grandes mains. Des mains faites pour protéger, combattre, aimer... Lui aussi aurait voulu créer.
Guenièvre aurait adoré lui expliquer. Elle s'imaginait très bien observer Lancelot d'un air tendre et amusé, un peu moqueur. Elle lui dirait : « Ah non, pas comme ça, attendez : je vais vous montrer. » Il se serait senti maladroit, mal à l'aise, débutant. Pour une fois, il n'aurait plus été chevalier, son sauveur, son protecteur. Ils auraient partagé un instant complice, à égalité.
Un instant précieux , qu'Arthur avec tout son or n'aurait jamais pu lui donner.