Compostelle malgré nous« Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi » de Jean-Christophe Ruffin
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Compostelle malgré nous« Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi » de Jean-Christophe Ruffin
Lorsque je découvre une plume qui me transporte, je note toutes les références de l’auteur en question dans une liste -trop longue- de « Livres à lire… ». C’est ce qui arriva avec Jean-Christophe Ruffin, découvert avec le roman « Les 7 mariages d’Edgar et Ludmilla », présenté dans l’article du mois dernier 😉.
Habitué des récompenses littéraires les plus prestigieuses, on ne présente plus l’auteur. Tout comme l’écriture de Ferrante, celle de Ruffin m’enchante par sa musique et m’invite à écrire. La notion de « L’Amour de la lecture », que je défends, prend alors tout son sens. Parmi les nombreuses références d’un auteur, j’apprécie particulièrement me focaliser sur ses romans parfois méconnus, oubliés, passés à la trappe. Nous passons parfois à côté de petits bijoux littéraires qui n’auraient pas bénéficié du devant de la scène : j’aime creuser là où on ne nous a pas conviés. C’est au premier abord une « perte de temps » et certains parleront de démagogie, mais je me trouve finalement rarement déçue.
Pourquoi donc avoir choisi « Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi » ?
Bien que sa thématique soit en apparence à connotation « religieuse » et « spirituelle », ce livre me paraissait différent des autres recueils qui « vendent » le Saint Chemin de Saint Jacques de Compostelle.
La démarche de Ruffin se rapproche un peu de la mienne avec ma rubrique « L’Amour de la lecture » : le but n’est pas de convaincre ou de défendre des causes, mais simplement de susciter une curiosité que l’on n’aurait pas eu.
Ruffin est une personne peu pratiquante qui a abordé cette folle aventure de manière détachée. Guidé par sa curiosité de l’expérience, il a emprunté « le Chemin » et nous raconte avec sa belle plume ses ressentis, ses galères, ses révélations. Ce récit paraissait d’autant plus intriguant que Ruffin a emprunté le Chemin du nord, itinéraire moins connu que le Chemin du Sud. (voir détails sur la carte ci-dessous)
Dévoré durant un troisième confinement pluvieux, ce livre m’a accompagnée et fait voyager en Espagne.
La religion est-elle le sujet central de ce livre ?
C’est bien l’envie de voyage qui m’a spontanément guidée vers ce livre. Cette approche détachée vis-à-vis du rôle de la religion a accentué ma curiosité. Tout randonneur, amoureux de voyage ou de nature, a tout à fait conscience du lien entre spiritualité, nature et voyage. C’est bien ce lien qui m’a parue très intéressant, et j’étais sûre de découvrir dans ce livre une description de belles découvertes, voire de révélations. Rassurez-vous, vous ne lirez donc pas un livre religieux qui tentera de vous convaincre d’emprunter cette randonnée, et vous ne culpabiliserez pas de rester sur votre chaise de bureau, votre canapé ou votre chaise-longue.
Effectivement, Ruffin nous confirme que la religion n’occupe désormais plus une place centrale durant ce Chemin et nous confie les nuances qui se sont imposées aujourd’hui :
« Conçue par des chrétiens, la mythologie moderne du Chemin, avec ses innombrables routes, ses références aux « foules » de pèlerins du Moyen-âge, son idéal de pauvreté a trouvé un écho bien au-delà du monde catholique. Le pèlerinage est en accord avec une spiritualité contemporaine plus syncrétique, plus flottante et beaucoup moins encadrée par l’Eglise. Nombre de ceux qui s’élancent sur les chemins de Compostelle sont attirés par des valeurs de dépouillement, d’union avec la nature et d’épanouissement de soi qui faisaient sans doute complètement défaut aux premiers temps du pèlerinage »
Suite à ce constat, l’aspect spirituel du Chemin semble néanmoins subsister. Nous sommes amenés à lire à plusieurs reprises des paroles presque dignes de textes religieux :
(…) « Il délivre des tourments de la pensée et du désir, il ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps, il efface la rigide enveloppe qui entoure les choses et les sépare de notre conscience ; il met le moi en résonance avec la nature. Comme toute initiation, elle pénètre dans l’esprit par le corps et il est difficile de la faire partager à ceux qui n’ont pas fait cette expérience. »
« Dans l’état d’aboulie où l’ont plongé ces semaines d’errance, dans cette âme délivrée du désir et de l’attente, dans ce corps qui a dompté ses souffrances et limé ses impatiences, dans cet espace ouvert, saturé de beautés, à la fois interminable et fini, le pèlerin est prêt à voir surgir quelque chose de plus grand que lui, de plus grand que tout, en vérité. Cette longue étape d’altitude fut, en tout cas pour moi, le moment, sinon d’apercevoir Dieu du moins de sentir son souffle. »
Tel un témoignage d’apparition divine, ce type de discours est néanmoins nuancé : « Certains, revenant du même voyage, n’en auront pas rapporté la même conclusion. Mon propos n’a pas pour but de convaincre, mais seulement de décrire ce que fut pour moi ce voyage. »
Ruffin semble ainsi naviguer entre son pragmatisme d’individu athée et ses révélations mystiques toujours plus nombreuses.
Quelles sont les autres notions phares de ce livre ?
Dame Nature, toute puissante et triomphante
C’est bien la nature qui occupe le rôle principal de ce roman. À travers des descriptions magnifiquement bien menées, nous sommes invités à déambuler aux côtés du héros durant cette « folle » randonnée.
« Ce furent des heures vertes comme les pâturages d’altitude et des nuits bleues comme le ciel d’acier qui recouvrait ces paysages. La pureté des sources qui désaltèrent au moment où l’on a soif, le moelleux blond des pains de village, la douceur troublante du vent qui glisse ses doigts dans la chevelure raidie de poussière du marcheur, tout est entré en moi avec force, sans la médiation d’une pensée, sans l’ombre d’un sentiment, d’une impatience ou d’un regret »
Que faire de ses pensées durant cette interminable randonnée ?
« Le pas, c’est bien connu, agit sur la pensée comme un vilebrequin : il l’ébranle, la met en route, reçoit en retour son énergie. On avance à l’allure de ses songes et, quand ils sont lancés à plein régime, on court presque. »
« Au départ du Chemin, on pense énormément. La disparition de tous les repères connus, l’avancée vers une destination si lointaine qu’elle paraît inaccessible, l’impression de nudité que produit sur le marcheur l’immensité qui l’environne, tout est propice à une forme particulière d’introspection que seul le grand air peut produire. On est seul avec soi-même. La pensée est l’unique présence familière ; elle permet de recréer des dialogues, de convoquer des souvenirs avec lesquels on se sent une proximité bienvenue. »
Ces états d’esprit de dépouillement et de clairvoyance sont familiers pour bien des randonneurs, qu’ils soient novices ou experts en la matière.
Le Chemin est-il donc une thérapie ? Le Chemin procure-t-il l’état de paix intérieure ? Pourquoi donc faire le choix d’emprunter cet itinéraire ?
Ces questions que je me posais en début de lecture trouvent leurs réponses. Mais ce livre n’amène pas nécessairement à la réflexion et n’a pas vocation à apporter quelconque réponse. Ce livre est avant tout un voyage qui nous est décrit par une écriture fluide et quasi musicale.
Bonne lecture !