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Octobre 1954, 6 h 37 du matin.
Il avait des mots sales plein la bouche. Il me balança des insultes plus violentes qu’un uppercut en pleine gueule. J’encaissai sans ciller, la main dans ma poche arrière, les doigts crispés sur mon compagnon de survie, un « 38 » qui vous fait des trous plus gros que celui d’une boutonnière. Fatigué de sa gouaille de faux gone, je lui ai craché un « Ta gueule !» si virulent qu’il a cessé de jacter. Son regard s’est durci, un petit rictus sur le côté droit de sa bouche, le clic du surin qui fait éjecter sa lame. Je n’ai pu que le regarder en lâchant un soupir de désolation. Il n’a pas eu le temps de voir le bout du canon, ni d’entendre le claquement du percuteur, que la balle l’atteignait juste au-dessous du cœur. Il resta coi, bouche ouverte, la main lâchant son couteau, l’autre essayant de retenir le flot de sang qui inondait sa chemise. Avalant son rictus, il bégaya : « Pou… pourquoi ? » avec les yeux qui s’écarquillaient au fur et à mesure que la mort l’entraînait dans le côté obscur de son royaume.
J’ai failli lui répondre qu’il parlait trop, que cela me faisait suer les esgourdes, que de toute façon, qu’importait son pourquoi.
Il n’était qu’une épave qui se traînait au bord de la vie, le rejeton d’une mère qui aurait dû préférer l’avortement à sa mise au monde. Mais j’ai préféré me taire et tourner les talons. La faucheuse ne viendrait pas tout de suite, et je n’aime pas attendre. Il a marmonné quelques mots qui se sont noyés dans un gargouillis de sang. J’étais déjà trop loin pour entendre.
Un peu de brume encombrait maintenant la rue que je remontais pour retourner à mon bureau. Les petits matins d’octobre gardent la nuit le plus longtemps possible, vous crachant de fines gouttes de pluie qui s’insinuent pernicieusement entre le col de votre chemise et votre cou. Que m’importait ! Je quittais ce lieu d’un crime où, à part le bruit du flingue qui troue le silence, aucun témoin n’aurait pu me distinguer, si témoin il y avait eu. Et qu’aurait-il vu ? J’avais le chapeau sur les yeux, le duffel-coat crème qui descendait bas sur le pantalon, gris sombre aux revers, des chaussures noires façon pompes funèbres. Un tueur de l’ombre qui faisait son travail. Manquaient la cigarette et ses volutes pour ressembler à ces acteurs de cinéma qui jouent les détectives privés sur grand écran. Mais je ne suis ni l’un, ni l’autre, juste un homme à tout faire, qui sait bien le faire si vous savez mettre le prix. La rue était déserte de ces passants « matineux » que je croisais enfin sur la grande rue : les ouvriers partant au boulot, les noctambules pissant leur bière, vomissant leur mauvais alcool, ou ragrafant leur corsage après un assaut de ces mains qui s’agrippent lors d’une jouissance entre des cuisses accueillantes.
La nuit est salvatrice de tous les excès, désinhibant les plus puritains et les fausses prudes qui soulèvent plus facilement leur robe après trois verres de champagne. Les putes ne sont pas toujours celles qui errent le long des trottoirs à la recherche de clients.
Mon « bureau » est une petite table cachée derrière un paravent, au fond de la salle, avec dessus, un porte-menu sans menu mais avec un bristol sur lequel sont écrits en noir sur fond crème, mon nom et mon prénom, ainsi que les heures d’ouverture et celles sur rendez-vous. Il est situé assez loin de la porte qui permet d’aller aux toilettes, une cabane en bois usé par le temps, avec à l’intérieur un trou servant de toilettes d’où émanait certains relents putrides apportés par le vent, venant chatouiller le nez délicat des clients, lorsque l’été, ladite porte restait ouverte.
L’endroit est caractéristique de ces anciens bistrots du vieux Lyon, quartier Saint-Jean. Un café banal avec sa clientèle du jour et celle du soir. Des tables mises en désordre, formica en carreaux deux couleurs, bleu et blanc, des chaises sans caractère, des bleues, des blanches dans le même matériaux que les tables, avec ces pieds en fer qui raclent sur le sol. Un peu écartés les pieds, pour une meilleure assise. Un comptoir avec ses bouteilles derrière et l’éternelle glace avec les photos et les cartes postales qui font l’ornement, et la fierté du patron. Un billard, un jukebox qui crachote les chansons, de celles qui entretiennent la nostalgie des vieux, entrecoupées de quelques autres plus en phase avec la jeune génération qui vient, désœuvrée, pour picoler de la bière, celle pas chère qui va les faire pisser toute la journée, entre deux parties de roucoulades et baises dans l’arrière-cour. Et l’éternel baby-foot qui explose les mains, déclenchant les cris hystériques des garçons pubères, se vantant d’être les dignes représentants des vrais footballeurs devant des filles en fleurs, hilares en vertu de l’exploit. Le tout dans un cadre aux murs peints en blanc avec, accrochés, des tableaux en émail offerts par les représentants des marques de spiritueux, de vins, de sirops et de limonades.
Le café est tenu par un ancien de la Légion, Louis, un gars d’une cinquantaine d’année, le visage écrasé par les coups des gants de boxe, le nez éclaté en trois zigzags ce qui le faisait parler d’une voix nasillarde, les cordes vocales éraillées par la fumée des cigarettes, telle celle qu’il garde sur l’oreille, le bonhomme ayant arrêté la nicotine, cette substance qui vous grille les poumons, les siens étant déjà brûlés par le sable du désert algérien où il avait servi trop longtemps. Lieu où je l’avais croisé, lors d’une mission. Il se battait pour la France, tandis que je me battais pour ma survie, au Service du renseignement. On avait sympathisé autour d’un verre où nageait une rondelle de citron sur une espèce de tequila fabriquée maison. On se prit la biture des soldats, de celle qui vous cogne si fort la tête le lendemain, que vous avez l’impression que l’on vient de tirer une rafale de kalachnikov dans vos oreilles.
Rentré en France, il quitta la Légion avec son pécule et se reconvertit comme taulier de ce bar. Il épousa une gentille femme, adopta son enfant. Elle décida de faire restaurant à midi, dont le menu regorgeait de spécialités des mâchons, servi accompagné d’un beaujolais acheté direct chez le vigneron, un type nommé Félicien Canard, dont le vin avait le goût prononcé du terroir de Morgon. Tandis que moi je pris un autre chemin, dégoûté par tout ce qui faisait mon quotidien. J’arrivais sur mes trente-six ans, le célibat m’accompagnant dans cette solitude qui rythmait mes jours et mes nuits, surtout mes nuits où je dormais dans un lit, envahi quelquefois de cauchemars, traumatismes de ce qui fut mon passé avait précisé la psy que l’on m’avait obligé à voir. Une femme sachant écouter, parlant peu, mais qui n’avait pas la faculté de me retirer ces images installées salement dans ma tête. Un soir de désœuvrement, le moral qui descendait trop bas et le besoin d’égarer ma tristesse dans un verre, je poussai la porte de son établissement. Il me reconnut, m’offrit le premier verre de gin. Je vidai la bouteille, et on termina au petit matin, ivres, en nous racontant ces anecdotes qui font la nostalgie d'un passé que l’on voulait croire heureux. Je revins trois jours plus tard, pris mes habitudes, m'installai à cette table qui me servait de point de rencontre pour mon business. Il me présenta sa femme Rosine, une personne discrète, de dix ans sa cadette, son gosse issu d’un premier lit, Arnaud, un merdeux qui se croyait devenu adulte, alors qu’il pissait encore le lait de son nez. Quinze ans, trois poils au cul et déjà au fait de tout savoir. J’appréciais sa femme, je supportais le gosse. Elle faisait la cuisine et le service du midi, le gosse continuait ses études à mi-temps, préférant faire les quatre cents coups avec ses potes de la rue. J’arrête là, car il n’est pas le sujet de mon histoire.
Celle-ci commence vraiment lorsque le téléphone, coincé entre la caisse enregistreuse et une bouteille de vieux marc où nageait une vipère, se mit à s’égosiller d’un son virulent. Le combiné fut attrapé d’une main de maître par Louis, tandis que de l’autre, il continuait de verser un verre de vin à un client.
— C’est pour toi, qu’il lança à mon encontre alors que je posais mon chapeau sur la table.
Je pris le combiné, regardais instinctivement la pendule qui marquait déjà sept heures trente. Je savais qui était à l’autre bout du fil.
— Ouais ?
— …
— C’est fait.
— …
— T’inquiète, pas de bavure, le lascar ne vous emmerdera plus.
— …
— Je préfère les biftons, c’est plus discret.
— …
Il raccrocha.
— Tu m’sers un café ?
— Croissants ?
— Deux.
J’entamais mon petit déjeuner quand une toux claire me fit lever la tête.
— Je peux ?
Le doigt désigna la chaise qui me faisait face. Elle n’attendit pas ma réponse, s’assit, me tendit la main, attaqua sans préambule.
— Je m’appelle Jeanne Pasquet et je voudrais que vous retrouviez ma sœur.
— Y’a la police pour ce genre de choses. Et puis faut prendre rendez-vous.
Je désignai le bristol.
Elle dédaigna ma remarque, se contenta de sortir une photo de son sac à main, qu’elle posa à côté de ma tasse. Je suis comme tout le monde, je ne pus m’empêcher de la regarder. Pas elle, la photo.
— C’est votre sœur ?
— Jumelle.
Je la regardai, je regardai une nouvelle fois la photo. La différence était si évidente que je posai la question :
— Vous êtes sûre que c’est votre sœur jumelle ?
— Oui.
Le ton de sa voix était sans ambiguïté. Je ne pus m’empêcher de demander, narquois.
— Du même père ?
Cela ne la fit pas broncher. Le visage impassible de celle qui ne doit jamais rire à une blague. Je faillis la croire fonctionnaire dans un établissement pénitentiaire.
— Vous prenez ?
C’était pas le genre de femme à perdre du temps dans de longues explications.
— Je … Un thé.
Je commandai tout en enfournant la dernière bouchée de mon croissant, déglutissant avec discrétion. Je faillis roter, mais je sentis que cela risquait de faire trop.
Elle sortit une enveloppe de son sac.
— Y’a mille francs. Un acompte. Vous aurez le double si vous me la retrouvez.
— Attendez, attendez, avant d’aller plus loin, je suis pas ce que vous croyez.
— Détective privé ?
— Oui.
— Je sais, vous êtes, comment dire …
Elle marqua un temps d’arrêt.
— Un homme à tout faire ?
— Et qui sait bien le faire.
— Alors vous pourrez le faire.
— Qui vous envoie ?
— C’est important ?
Le jeu du « je te pose une question, je te réponds par une question » commençait. J’avais devant moi, une jeune femme dont les yeux vous perforaient l’âme, fouillant en vous votre identité. Petite, un peu grasse sur les joues, le nez retroussé, et le cheveu filasse. Regard sévère, droit, bouche mince à peine relevée d’un rouge à lèvres rose.
— Non.
— Alors c’est oui ?
— Dites-m’en plus.
Pour elle, j’acceptais. Elle se leva, retira son manteau et là je me dis qu’elle en aurait pour longtemps. Je l’écoutai sans l’interrompre. Calme, en prenant des notes. Quand elle eut fini, je posai la question à laquelle elle devait certainement s’attendre car elle me répondit sans réfléchir :
— Pourquoi moi ?
— Je me suis renseignée et ce qui me fut dit sur vous m’a convaincue que vous seul pouvez retrouver ma sœur.
— Vous m’avez l’air débrouillarde et déterminée. Vous pourriez vous charger de la retrouver sans avoir à dépenser votre fric, bien que je nierais ne pas en avoir besoin.
— Je pourrais, mais …
— Mais vous ne pourriez pas aller là où je peux aller.
— Peut-être.
— Ah !
— Mais surtout utiliser des méthodes que jamais je ne pourrais utiliser.
— Je vois, vous vous êtes vraiment bien renseignée.
— Alors ?
— Alors ? Ai-je le temps de pouvoir réflé-chir ? Parce que si j’ai bien entendu votre récit, je risque d’échouer.
Et j’ajoutai en mon fors intérieur « et bernique, le pognon ! »
— Vous ? échouer ? vous ?
Elle faillit rire.
— Si vous échouez alors personne ne pourrait réussir et j’aurais perdu et mon temps et mon argent. Mais voyez-vous, je ne crois pas à cette issue, vous êtes un chasseur. Le genre de type qui poursuit sa proie jusqu’à la mort et …
Elle laissa s’incruster le silence durant deux minutes, me fixant dans les yeux que je gardai droits. Elle m’avait eu aux sentiments. La garce.
— Et ?
Je bafouillai :
— Que… Que sera la suite ?
Elle se leva, remis son manteau, sortit une carte de visite de sa poche.
— Vous m’appelez demain.
— Pour vous dire si j’accepte ?
— Pour que je vous instruise sur des éléments dont vous auriez besoin.
Elle avait compris. Je prenais le job, sans savoir que j’allais me foutre dans un guêpier où j’allais prendre des coups et frôler la mort. De toute façon, cette dernière m’attendait depuis si longtemps, qu’il fallait bien qu’un jour elle m’attrape par le colback en me soufflant « Qui est pris qui voulait trop en prendre » faisant allusion à tous ces cadavres que j’avais semés depuis que j’étais entré au Service du renseignement. Service que j’avais quitté pour raisons personnelles, disons pour celles que je n’aimais pas avouer, ravivant un passé peu glorieux. Et puis, j’aspirais à devenir un mari, un père et à mener une vie paisible. Sans devoir continuer à ajouter des cicatrices sur un corps déjà bien torturé. Isabelle, le prénom s’installa un instant dans mes pensées. Fugace. Je me grattai le menton, fallait que je rentre après ces trois jours et deux nuits sans vraiment dormir ; j’avais chassé un gibier coriace, un tordu qui avait marché sur les pieds d’un type qui n’avait pas apprécié. Le contrat avait eu l’air facile, mais c’était sans compter sur l’instinct de survie que ce gugusse avait, accroché à sa peau. Quand il l’apprit, il se terra, fallut que je le débusque. J’avais des relations, de celles qui n’aiment pas rendre service à une salope, mais qui, pragmatiques, aimaient l’argent. Je fis donc circuler l’information que je payais trois cents francs à toute personne m’indiquant le refuge du drôle. Le gagnant fut un gardien de nuit qui, lors d’une ronde, aperçut une lumière dans un local vétuste et inhabité. Curieux, il s’approcha et par une vitre cassée, il distingua le fugitif. Le reconnaissant, il sourit, le fric serait dans sa poche. Il avait comme beaucoup le numéro de téléphone de mon bureau dans son portefeuille. Vous connaissez la suite. Une bastos en plein cœur et une autre en plein front, histoire de m’assurer qu’il était bien clamsé. Le travail doit être fait dans les règles de l’art et j’avais l’art d’être dans les règles pour lesquelles j’étais payé. Ne croyez pas que je sois un tueur à gages, je ne fais que ce que je sais faire, « un homme à tout faire, mais sachant bien le faire ». Ma devise écrite dans le sens moral du boulot. Vous payez, je fais le job, mais je le fais pour des commanditaires qui sont, en principe, des gens en légitime défense face à des crapules dont les fonds de commerce sont le racket, la drogue, les détournements de fonds, le blanchiment d’argent. L’État est parfois l’un de mes clients. Sans nettoyeurs, le pays serait un tas d’immondices, avec des déchets qui empesteraient notre démocratie. Et puis, je dois bien l’avouer, faire monter l’adrénaline était devenu mon excuse de vie. Fureter, traquer, se mettre dans des situations périlleuses, entrer dans la vie des autres, débusquer l’animal, vider les poubelles, s’infiltrer dans l’intime. J’aurais pu être flic, un poulet au service de la loi, celle qui se bafoue avec des pots de vin. Je bois pas de vin, juste des pots de café avec pain beurré.
Elle avait payé, j’avais plus qu’à retrouver sa sœur. Elle avait laissé la photo à côté de la corbeille à croissants. Vrai qu’elle ne lui ressemblait pas, d’où la boutade de tout à l’heure. Je voyais une belle blonde, yeux bleus dans un écrin d’une parfaite beauté, le visage lisse et les lèvres qui vous tentent, à vouloir l’embrasser sans jamais la lâcher. On ne voyait que son visage, mais il était évident que le reste devait être le feu qui vous embrase au lit. Allez, il était temps d’aller prendre une bonne douche, et de dormir jusqu’au lendemain. J’avais un nouveau boulot et ne voulais pas trahir ma réputation. C’est elle qui me faisait vivre, même si je savais qu’un jour, c’est elle qui me ferait mourir.
Je me jetai nu, propre, sur le lit. La fenêtre entrouverte. Octobre n’était pas encore trop humide, ni trop froid. J’entendis un peu la rue, quelques bribes de voix, un chat qui mendiait sa pitance et deux gosses qui s’affrontaient en chevaliers du roi qui devaient sauver une certaine Gladys qui… Je ne sus jamais la suite, la fatigue m’emporta dans un sommeil si profond que le monde autour de moi s’éclipsa dans les tourments de mes rêves.