Il se passe quoi putain !
En Panodyssey, puedes leer hasta 10 publicaciones al mes sin iniciar sesión. Disfruta de 9 articles más para descubrir este mes.
Para obtener acceso ilimitado, inicia sesión o crea una cuenta haciendo clic a continuación, ¡es gratis!
Inicar sesión
Il se passe quoi putain !
Point de vue de Georges
“Quand j’reviens sur ma vie il y a un an maintenant, j’me dis qu’il peut s’en passer, des choses, en trois cent-soixante-cinq jours.” Se retrouver dans la rue, être alcoolique, s’enfoncer dans les drogues dures, putain qu’est-ce que je fous ?
J’frequente des potes alcooliques, dans la même situation que moi ; et puis il y a ma mère, ça doit faire trois ans que je lui ai pas adressé la parole, putain ! C’est trop douloureux !
Quelques années plus tôt
- Putain mais casse-toi, sale pute ! Tu vois pas qu’je suis pas bien ? Tu vois pas qu’jai merdé ? je crie à ma mère.
- Je peux pas vivre comme ça, Georges ! Je peux pas !
- Tu me préviens toujours, mais en fait t’sais rien, putain ! Juste, ferme ta gueule ! dis-je.
- Ne me parle pas comme ça ! Qu’est-ce que tu as ? Je n’arrive pas à croire que c’est toi, Georges ! J’te reconnais pas !
- Oui je sais, j'étais un si bon petit garçon n’est-ce pas, avec un tel potentiel. C'est ça c’que tu vas dire ?
Je me met à vomir toutes les substances que j’ai ingérées.
- Georges, qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
Ma mère m’a dégagé de chez nous, elle m’a dit qu’elle n’était plus capable de s’occuper de moi, qu'elle ne savait pas quoi faire. J’suis parti directement, sans même prendre des affaires.
En partant j’me suis pas retourné, j'ai regardé devant moi, des larmes dévalaient mes joues, ma mère jetait mes affaires par la fenêtre en me gueulant de ne plus jamais revenir.
J’me suis réfugié dans une planque avec d'autres mecs comme moi, perdus, sans domicile fixe, souvent sans parents… sans vie.
On fume du crack, on s’injecte de l’héroïne, bref, on fout que de la merde. On essaye d’effacer tous les traumatismes qu’on a vécus, d’effacer ces choses qui sont ineffaçables ; qui disparaîtront jamais, qui sont gravées à jamais en nous.
J'vis maintenant dans la rue, avec une pote que j'ai rencontrée dans la planque. On se bourre la gueule tous les jours, on se questionne jamais sur notre avenir, on s’questionne sur rien. On vie le putain de moment-même et c’est ça l’important.
J’repense souvent à ma mère... Mais qu’elle aille s’faire enculer !
J’en peux plus, putain ! Je n’en peux plus ! Tous ces souvenirs, ces flashs, qui reviennent sans cesse, qui me tuent, m’inondent, qui m’accablent !
Maman, maman j’suis en souffrance !
Alors j’laisse une fois de plus la dépression et la colère m’envahir, me détruire, je lâche tout, j'enfouis ma tête entre mes bras, et je laisse les sanglots me submerger ; j’enchaîne les paquets, les bouteilles, les comprimés, les injections. J’laisse tout ce qu’il y a de plus douloureux en moi me détruire, j’repense à rien, juste à la putain de douleur que je ressens sans cesse.
Quelques semaines plus tard
La pote avec qui je restais m’a lâché en me disant que j’étais qu’un salaud, que je la dégoûtais, que jamais je ne devrais voir la lumière de ce monde, je ne la méritais pas ; cette meuf a profité de moi, elle m’a forcé à faire des choses avec elle, j’avais peur, putain ! J’avais tellement peur !
- T’sais quoi, j’vais me casser ! J'en peux plus de toi ! crie-t-elle.
- Vas-y casse toi, laisse-moi dans mon foutu trou noir ! je réponds.
Je me retrouve seul, sans repère, sans vie. Je laisse les sanglots me submerger, le regard des gens m'oppresse.
Au loin, je vois une ombre qui me scrute, un jeune garçon, d’environ seize ans ; il s’approche doucement de moi, l'air craintif, effrayé, méfiant.
- Salut, tiens, dit-il en me tendant cinq euros.
- Merci.
- Ça va ? me demande-t-il.
- C'est dur…
- J’comprends, juste promets-moi de ne pas les dépenser en alcool ; s'il te plaît.
J'acquiesce. Il s'assoit à côté de moi, me regarde, les yeux brillants, puis il reprend :
- T’sais, j’écris des chansons… Tiens, si tu veux.
Il me tend un bout de papier avec des choses écrites à l’arrache.
- Tu peux me la chanter ? je demande.
- Ouais, si tu veux. ‘J’sais pas trop comment commencer’
‘Hey’
’J'me sens un peu perdu’
‘J’suis pas sûr de capter ce qui s’passe’
’J’sais même plus ce qui me rend heureux’
’Y’a toi, Louise et tant d’autres personnes’
’Mais putain j’ai seulement l’impression de devenir dangereux’
‘Raconter mon mal-être dans mes raps devient monotone’
‘Maintenant j’suis en train d’créer un son euphorique’
‘J’suis pas trop sûr de me comprendre mais qu’est-ce qu’on s'en fout’
‘Hey’
‘J’sais pas si tu te rends compte que tu m’a sorti du gouffre’
’Tu m’as pointé du doigt la lumière en moi, tu m’as guidé dans la noirceur’
‘Tu m’as aidé à m’évader, à m’évader de mon mal-être, même si ça faisait peur’
’Putain maintenant j’essaye d’trouver des repères, des ressources’
’T’arrives à m’apporter le sourire quand la noirceur m’envahit, me détruit’
‘J'suis pas sûr d’arriver à me battre sans toi’
’J’sais pas trop comment commencer’
’Hey’
‘J’me sens un peu perdu
’J’suis pas sûr de capter ce qui s’passe’
‘Quand la noirceur du monde me submerge’
’J’pense au putain de fait que ma famille serait détruite sans moi’
[cris]
‘Ne te laisse jamais inonder par les drogues’
’Continue de te battre’
Et je l’écoute, assis au bord de la route, ces bons soirs de septembre ; je comprends tout, ce qu’il exprime, ce qu’il veut dire ; je peux m’y identifier. Mais putain, jamais un garcon de seize ans ne devrait être en dépression et avoir recours aux drogues pour s’apaiser.
Comme ça, on parle pendant une heure, des drogues ; de la dépression… de la vie, de notre vie.
Tous les jours ce jeune garçon, Liam, vient me voir, on parle énormément, je commence à vraiment m’attacher à lui, je l'aime beaucoup…
- Tu sais, moi aussi j'ai un problème avec l'alcool… dit-il.
- Nan mais arrête, tu peux pas avoir un problème avec ça à seize ans.
Il me regarde, on se regarde, le silence prend place entre nous deux. Je lui dis que sa chanson est très belle, il me remercie. Je reprend :
- J’vais aller m’acheter du shit, dans la boutique de CBD au 129 rue de Sèvre, si tu veux, tu peux y aller pour acheter de l'herbe, dis que t’es le frère de Georges et ils te laisseront.
- Merci, répond-il.
- Juste, ne te lance pas dans l’alcool, autant la cocaïne ça passe mais l’alcool c’est vraiment de la merde.
Il acquiesce, une femme passe devant lui et lui demande si il a besoin d’aide, s’il est en danger ; il répond que tout va bien, je souris.
On se lève, et je lui dis,
- T'es mon pote, s’il t’arrive quelque chose je serai toujours là, fais attention à toi.
- Merci.
Le lendemain, il est là, assis à côté de moi, on discute ; l’envie de lui proposer de venir à la planque devient incontrôlable.
- Tu veux aller dans un endroit avec moi ?
- Y’a mes darons, ils vont jamais me laisser.
- Tu t’en fous d’eux, c'est que des emmerdeurs, est-ce que c'est eux qui dirigent ta vie ?
- T’as raison, vas-y, j’viens avec toi.
On va dans le métro, direction Stalingrad, la planque se trouve dans un coin paumé, là où les keufs ne peuvent pas nous trouver. Y’a toujours quelqu’un, que ce soit quelqu’un que je connais ou pas, là-bas c'est le paradis, y’a tout pour se détruire, pour ne plus être en soi.
Je sens que Liam est stressé à l’idée d’être aussi loin de chez lui, mais je suis sûr que ce qu’il s’apprête à faire va lui changer la vie.
Quelques minutes après
- Putain ! Putain ! J’en peux plus ! Putain ! Ça nique cette merde.
- Vas-y continue, Liam, c'est bien.
Il enchaîne les flashs de cognac, je suis plus seul à présent, quelqu’un m’a rejoint, m’a rejoint dans ma merde.
“Avec lui, j'ai appris à respirer de nouveau, à vivre, à éloigner ces envies d'en finir”.
Point de vue de Liam
Il doit être aux environs de quatre heures du matin, mes démons me rattrapent, le sommeil m’échappe.
J’écris quelques pages dans un carnet, des larmes dévalent mes joues. Putain !
J’sors de la maison, j’allume une cigarette ; le regret me vient directement, la culpabilité se mêle à la colère et ensemble ils créent le chaos éternel.
Je marche dans la rue, l'air est froid, il me donne de légers frissons. J’passe devant un SDF, il me regarde, je le regarde.
- Salut, je prononce.
- Salut, dit-il.
- Ça va ?
- T’sais c'est dur de vivre dans la rue, dit-il.
- J’imagine, qu’est-ce qui te ferait du bien ?
- Que tu restes.
Alors je m'assois à côté de lui et on parle, on parle de lui, de moi... Je lui fais écouter une de mes chansons et on la chante à tue-tête. Il rigole, on rigole ; et ça me fait du bien.
Il s’appelle Georges, quarante-trois ans, portugais ; il a merdé quand il était plus jeune, c'est pour ça qu’il se retrouve dans la rue ; je n’en sais pas plus.
On parle comme ça, pendant une heure, assis par terre, sur la rue de Sèvre, à quatre heures du matin.
Tous les jours je reviens le voir, en quelque sorte ça m’apaise, c’est ma manière de ne pas tomber dans ma dépression… du moins, c'est ce que je crois.
Un jour, vers cinq heures du matin, elle s’abat sur moi, un coup dur, je tape une crise, un mélange d’angoisse et de manque. Je sors discrètement de chez moi pour aller voir ce putain d’sdf.
- Salut, dis-je.
- Salut, ça va ? T’as pas l'air bien.
- Nan, ça va pas putain ! J’ai besoin d’aide, Georges ! J’explose ! J’arrive plus à me supporter, à me comprendre.
Il me regarde d'un air mélancolique, et me prend dans ses bras. Je l’accepte, parce que rien n’a plus d’importance pour moi.
Je reçois un appel de mon père, je raccroche ne sachant quoi faire, la panique s’empare de moi, Georges le voit et essaie de me calmer. Des appels de mon père se succèdent, je raccroche à chaque fois. Georges me tend un flash de cognac.
- Tiens, ça va te calmer.
- Putain, j’vais m’faire défoncer si mes parents l’apprennent, dis-je.
- Mais nan t’inquiète, t’en as rien à foutre de tes parents, c'est pas eux qui gèrent ta vie, c'est toi qui as le contrôle sur tout, c'est toi qui tiens le volant et qui choisis la direction.
- T’as raison, merci.
Je prend le flash de cognac, mes mains tremblent, putain j’fous quoi ? C’est pas comme il l’a dit, c’est pas comme ça du tout, j’n’ai aucun contrôle sur ma vie, j’fous tout le temps que de la merde, j’arrive jamais à me contrôler, j’écoute jamais les autres, j’parle pas, j’suis méchant, méchant avec mes proches, avec mon putain d’père ; et ça me tue, putain ! Ça me tue !
J’laisse toute la haine et la douleur qui me lacèrent depuis des jours m’envahir, j’ouvre le flash et je le bois d’un seul coup, Georges me regarde, je le regarde en retour, il me sourit, je me contente de laisser les larmes que je contenais depuis des jours, des semaines tomber ; c’était trop douloureux, putain ! Je n’en pouvais plus !
L’alcool commence à avoir un effet sévère sur moi, ma tête tourne, j’ai des délires ; j’sens plus aucune douleur, ça m’apaise en quelque sorte.
À six heures du matin on décide de partir, mon téléphone n'a plus de batterie, qu’est-ce que j’en ai à foutre ! On est totalement défoncés mais qu’est-ce qu’on s'en branle ! On chantonne dans la rue, on crie, on rigole.
Puis soudain, je vois des ombres dans la rue, la sirène de police jaillit, elle m'effraie. Georges me prend par la main et on se met à courir, on court et la police nous poursuit en criant :
- Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous, les mains en l'air !
En quelque sorte, ça nous amuse. On se dirige vers une station de métro, sans s’arrêter, on fraude, le vigile nous crie dessus. La police nous suit toujours, on attrape le métro de justesse, quand on rentre les portes se ferment directement derrière nous, la police nous rate.
À cette heure-ci il n’y a pas grand monde, on s'assoit sur les strapontins, essoufflés.
Des questions envahissent ma tête ; qu’est-ce qu’il va se passer, maintenant ? Putain !
On descend au terminus du métro, je lis : avenue Gambetta Paris 20ème ; putain c’est la première fois que je vais aussi loin de chez moi, la peur m’envahit, j’essaye de respirer, de penser à Louise, à ce quelle me dirait de faire... j’fous que de la merde, putain !
On entre dans une sorte de salon, obscur, avec des lumières rouges provenant des murs. Georges me dit d'aller dans la pièce d’à côté, j’y trouverai ce qu’il me faudra…
En entrant dans la salle, je sens la solitude m’envahir, me détruire ; je m’assois par terre, en larmes.
Quelqu’un me rejoint.
- Salut, dit-il.
Je ne réponds pas.
- Tiens.
Il me tend un sachet de poudre blanche.
- Merci, j’articule.
Il quitte la salle, je me retrouve de nouveau seul, abandonné. J’ouvre le sachet. Putain à seize ans se lancer dans les drogues dures, j’suis vraiment perdu ! J’prends la poudre dans ma main et je laisse une fois de plus la dépression m’envahir… me finir.