Chapitre 6 - voyage à Tchernobyl
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Chapitre 6 - voyage à Tchernobyl
Ukraine, 26 avril 1986. 1h23 du matin.
Le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. L’humanité est touchée par une catastrophe dont elle ne mesure alors ni le sens, ni la gravité.
"Je n’avais encore jamais pensé au cours de ma vie qu’il me faudrait un jour – à peine passé la cinquantaine – me lancer dans mes mémoires. Mais les évènements qui ont lieu sont si importants, les personnes qui y ont été mêlées ont des intérêts tellement contradictoires, et il existe tant d’interprétations différentes de la façon dont les choses se sont déroulées, qu’il me paraît être de mon devoir de faire savoir ce que je sais, et de quelle manière je comprends et perçois les faits".
Valeri Legassov commence ainsi son testament professionnel qu’il intitule Il est de mon devoir de parler, texte qu’il laissera pour la postérité après s’être donné la mort à Moscou, en la date symbolique du 27 avril 1988, deux ans jour pour jour après le drame.
Pur produit du système soviétique,
de son excellence scientifique, forgé sur la confiance de l’homme dans le progrès technique et scientifique et de sa supériorité induite sur la nature dont elle utilise les forces pour le bien de l’humanité communiste, cet homme va pourtant être confronté à des contradictions si violentes qu’il ne verra plus de sens à continuer d’exister.
Son excellence académique et son brillant parcours jusqu’à devenir membre de l’Académie des sciences de l’Union Soviétique ne le prédestinaient pas à devoir remettre en cause les principes pour lesquels il s’était battu jusqu’alors. Confronté aux réalités d’un accident qu’il n’envisageait pas, qu’il ne pouvait concevoir, il va pourtant tout remettre à plat, son idéologie, ses croyances, sa religion, et sa vie.
Seul face à ses découvertes et un constat d’impuissance,
comme un ultime appel au sursaut de ses congénères, Valeri Legassov va trouver dans sa mort le moyen ultime d’alerter l’humanité d’un danger qui peut la détruire elle aussi.
Cet acte volontaire et symbolique, d’autres le commettent. Par désespoir. Par sentiment profond de perte de sens de sa propre vie, de la capacité à être écouté, apprécié, aimé pour ce qu’ils sont, comment ils sont.
J’y ai parfois pensé moi aussi, dans une période de profonde angoisse, de perte totale de mes repères, de disparition sociale dont j’ai compris après coup qu’elle m’était salutaire. Mais cet être, comme d’autres héros qui m’accompagnent dans ma vie, est confronté à quelque chose qui dépasse de loin l’échec professionnel.
Il ressent la vacuité d’un système bureaucratique qui a fini par laisser les jeux politiques, la médiocrité, la paresse et l’incurie, prendre le pas sur le talent, l’excellence scientifique et la conscience face aux dangers du nucléaire.
Les conséquences de ce que Valeri Legassov découvre
l'après-midi du dimanche 27 avril 1986 à Tchernobyl, je vais avoir la possibilité de les sentir, de les découvrir à ma façon, et de les toucher presque physiquement.
Son sacrifice, comme celui des centaines de milliers de liquidateurs sur le théâtre de Tchernobyl, va susciter chez moi l’éveil du devoir de mémoire, me donner la volonté de partager ce que je vais moi-même y trouver.
Mon travail de recherche et de documentation sur cette catastrophe va m’aider à revivre, à retrouver le goût, des choses, des autres, de la vie, et surtout l’estime de moi-même.
En rencontrant l’horreur créée par l’Homme, j’ai redécouvert ma part d’humanité, et goûté celle de milliers d’hommes et de femmes qui sont venu.e.s nous sauver de l’enfer, en tout anonymat, en toute honnêteté, en toute dignité.
Je découvre à Tchernobyl que me confronter à la mort
est un moyen de me sentir vivant, inspiré par le sacrifice des hommes, leur bravoure, leur éthique et leur amour.
Que de raconter leur histoire et leur rendre hommage, c’est leur redonner vie au cœur de la mémoire des vivants, et que tant qu’elle perdurera, ils ne seront pas disparus.
22 ans quasi jour pour jour après sa propre disparition, la mémoire de cet homme jailli dans mon esprit. "Laisse tes morts là où ils sont, et donnent toute sa place à la vie que tu vis, ici et maintenant". C’est juste. Mais ce n’est pas facile.
Le 16 février 2009 je m’envole pour Kiev
en compagnie de mon ami Pierre, et de son collègue Jean. Je pars avec deux apôtres, évangélisateurs d’un projet scientifique et technique qui vient au secours de la débâcle. Pierre dirige les activités grands travaux du leader mondiam du BTP. Nous venons de nous rencontrer après l’avoir croisé à la sortie de l’école de nos enfants.
Je lui demande ce qu’il fait dans la vie, comme une manière de savoir qui il est. Il construit de grands ouvrages, un pont gigantesque sur la Méditerrané, un métro sous la ville du Caire, le nouveau pas de tir la fusée Ariane à Kourou en Guyane, et un sarcophage à Tchernobyl en Ukraine. Sa réponse ne me dit pas qui il est précisément, mais ce qu’il fait m’interpelle et m’appelle.
J’ai en tête l’image des sarcophages des Pharaons égyptiens
Mais je ne connais pas celui-là. Lorsque Pierre m’apprend que ce sarcophage peut contenir le stade de France, et qu’il va recouvrir le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, je lui fait part immédiatement de mon enthousiasme à le suivre quand il se rendra sur le chantier. Il y va justement dans quelques semaines, et spontanément, m’invite.
A la question de ce que je fais moi dans la vie, je réponds que je suis producteur de programmes de télévision, et que je suis aussi un passionné d’Histoire.
Notamment celle du XXème siècle, avec une prédilection toute personnelle pour le bloc soviétique, dont je connais les villes, les cartes ferroviaires, les mines de charbon, les zones interdites, l’archipel du Goulag, la base de sous-marins de Mourmansk, les détails de la conquête spatiale à Tiouratam au Kazakhstan, et d’autres lieux improbables de Sibérie où je me suis rendu récemment.
Je suis heureux en Russie depuis longtemps.
Bien avant d’y être allé, depuis que j’ai appris sur les cartes géographiques d’Union Soviétique le nom de toutes les gares du transsibérien, de Moscou vers Vladivostok, en passant par Iekaterinbourg, où a été assassiné le denier Tsar de Russie, puis à l’Ouest de l’Oural, Tomsk, Omsk, Novossibirsk, jusqu’à la méconnue Krasnoïarsk, qui précède Irkoutsk, située en bas du Lac Baïkal, plus grande réserve d'eau douce du monde.
C’est d’ailleurs à côté de Krasnoïarsk que Staline a fait construire, caché dans l'intérier d'une montagne, le premier réacteur nucléaire militaire soviétique dans les années 50. La structure qui accueille sous terre le réacteur nucléaire et les installations de fabrication du combustible nucléaire à vocation militaire occupent un volume équivalent à trois fois et demi la taille de la pyramide de Khéops.
Un documentaire passionnant intitulé Krasnoïarsk 26 atteste de la taille gigantesque de cet édifice sous-terrain.
Avant que Sylvain Tesson ne me donne envie de retourner bivouaquer au bord du Baïkal à la lecture son livre Dans les Forêts de Sibérie, j’ai eu moi aussi la chance de traîner mes guêtres en Russie en 2005, et de la traverser d’Ouest en Est pour tourner la première saison de mon émission Pékin Express.
J’y ai découvert ces cités de Sibérie
Entre mélancolie, incompréhension, et fascination. Comme un concentré d’une histoire et d’une culture ancestrale, brutale et fascinante. Il ne faut pas chercher à comprendre la Russie, il faut l’aimer. Et je l’aime.
Fort de ce pédigrée, Pierre me propose de venir à Tchernobyl avec forces caméras et mes équipes de tournage.
Je viendrai seul, heureux de partager cette immersion unique en sa compagnie. La période faste et passionnante de ma vie de producteur de haut vol est derrière moi. Je sors d’un burn out carabiné, pointe au chômage, et mes activités de producteur en vue sont à l’arrêt.
Seul, détaché de toute forme de pression sociale propre à un homme de media un temps médiatisé, je cherche alors à me construire une nouvelle vie, à prendre un nouveau départ.
J’aime les théâtres d’opération dans des lieux chargés d’Histoire, a fortiori lorsqu’ils sont contaminés par la radioactivité depuis plus de 20 ans.
Je sens que ce voyage va me faire du bien.