Sédentaires et casaniers
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Sédentaires et casaniers
Pour certains, le voyage n'est qu'une perte de temps et un gaspillage d'énergie. Si le destin exauce leurs vœux, ils naissent, vivent et meurent au même endroit, sur la même terre que leurs ancêtres depuis tant de générations que tout le monde serait prêt à croire que le premier de la lignée a été créé sur place, et ils en sont fiers. Ils ont la conviction intime que l'endroit où ils vivent leur appartient de droit, du droit de l'ancienneté des générations des ancêtres, et ils affirment que tel est le destin et le véritable bonheur de tout être humain sur terre et que tous ceux qui s'en éloignent ne peuvent connaître que le malheur. Ce sont des enracinés qui ne jurent que par les racines, les leurs, celles des autres et les racines en général.
Ils ont la vie pour seul voyage et ça leur suffit amplement. Ils donnent raison aux Néerlandais quand ils disent que "oost west, thuis best" : qu'on peut aller n'importe où, à l'est ou à l'ouest, au nord ou au sud, on n'est nulle part ailleurs mieux que chez soi.
Mais au lieu de voyager dans l'espace, ils voyagent dans le temps.
Ils ne se sentent attachés à un paysage que parce qu'ils l'ont toujours vu. Ils ont grandi et évolué avec lui, en même temps que lui, parfois même à cause de lui. Mais le paysage dans lequel ils vivent aujourd'hui n'est plus celui dans lequel ils sont nés. Il a changé.
Il a parfois tellement changé que même ceux qui y sont nés et ne l'ont jamais quitté ont l'impression d'y être devenus des étrangers. Seul le fait d'y avoir toujours vécu sauvegarde encore leur sentiment d'appartenance. Ils ont littéralement l'impression d'avoir malgré eux voyagé sur place.
Malgré eux. Parce que ce voyage, ils ne l'ont jamais voulu.
À moins que justement, ce paysage ait évolué à cause d'eux. Parce qu'ils l'ont expressément voulu.
Parce qu'il y a deux façons d'être sédentaire.
Il y a ceux qui chantent avec Fabienne Thibeault que "je ne veux pas d'une autre island que la terre où je suis devenue grande, mon rêve n'est pas d'aller ailleurs mais qu'ici tout devienne meilleur" (la vidéo se trouve ici). Certes, ils sont les premiers à reconnaître que ce n'est pas parce qu'on est né quelque part plutôt qu'ailleurs que tout y est donné d'avance par définition. Néanmoins, pour eux, le destin de chacun ne consiste pas à s'en aller pour voir ailleurs si l'herbe est plus verte et pour chercher partout et n'importe où son endroit idéal (que neuf fois sur dix il ne trouve nulle part). Au contraire, pour eux, le destin de chacun consiste justement à travailler là où il est pour que son monde, et avec lui le monde dans son ensemble, deviennent meilleurs.
Mais améliorer les choses, et avec ça changer le monde, n'est-ce pas déjà toute une entreprise ? Un travail de longue haleine ? N'est-ce pas déjà en fait tout un voyage en soi ?
On peut le penser si l'on tient compte du fait qu'avec l'action et le temps qui passe, même si l'on passe toute sa vie au même endroit, celui où l'on finira sa vie n'aura plus grand-chose à voir avec celui dans lequel on est né.
Et puis il y a tous ceux qui non seulement tiennent à leurs racines comme à la prunelle de leurs yeux, mais qui estiment que leur mission dans la vie est de conserver soigneusement les choses en l'état. On pourrait même dire qu'ils veulent les y conserver pieusement : il y a en effet quelque chose de quasi religieux dans leur vision, une conviction que l'existant est le résultat d'un ordre naturel des choses qu'il serait pratiquement sacrilège de vouloir remettre en question, et que tout changement ne peut être que le prélude à toute une série de catastrophes ou même, au pire, à la fin du monde, rien de moins.
À ce moment-là, parlons-nous encore de sédentarité ? Ou même de conservatisme, aussi crispé soit-il ? Ne sommes-nous pas plutôt en train de parler d'une allergie quasi maladive au changement ?
Certes, que nous soyons grands voyageurs ou grands casaniers, l'endroit où nous nous sentons le mieux et le plus en sécurité est ce territoire qui nous est familier, où nous avons tous nos repères, que nous avons adapté à nos besoins, à nos désirs, à nos envies, à nos attentes, à nos nécessités, auquel nous nous sommes habitués là où il n'était pas parfait et qui lui aussi s'est habitué à nous, qui s'est adapté à nos grandes visions, à la moyenne de nos goûts et à nos petites manies, et que nous appelons "chez nous".
Et c'est vrai que tout changement est potentiellement porteur d'une part d'insécurité.
Mais se retrouver perdu à la moindre modification et se sentir existentiellement menacé dès que l'on met un orteil en dehors de sa zone de confort, n'est-ce pas aussi en soi un danger ?
Si l'on doit en croire la théorie de l'évolution, ceux qui survivent ne sont ni les plus forts, ni les plus rapides, ni les plus intelligents, ni les plus malins, mais ceux qui sont le plus capables de s'adapter au changement...
Jackie H vor einem Jahr
Et pourquoi pas 🙂 "auprès de mon arbre, je vivais heureux" chantait en son temps Georges Brassens 🙂
Bernard Ducosson vor einem Jahr
Moi je tiens à mes racines, je veux être enterré dans mon jardin !