La polémique du panneau
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La polémique du panneau
Voici une petite histoire qui a suscité pas mal de débats ces dernières semaines dans l'équipe de Moissala et que je soumets à votre appréciation.
Il y a quelques semaines, une personne de ECHO, l'organisme en charge de l'aide humanitaire de l'Union Européenne, est venue sur le terrain évaluer notre projet. Elle n'a rien trouvé à redire à notre travail ; sa seule objection était la faible visibilité de l'effigie de l'Union Européenne sur notre projet. Au décours de cette visite, MSF a été sommé d'exposer de grandes affiches partout où il pouvait y avoir des bénéficiaires du projet, à l'UP, sur les sites de distribution de la CPS, au bureau MSF, et même à la base vie, sous peine sinon de devoir rembourser les fonds que lui avait alloués l'Union Européenne. En effet, l'attribution de ces fonds cette année a été conditionnée contractuellement à la mise en valeur du drapeau de l'UE sur le projet.
La présence de ces affiches a suscité un énorme malaise au sein de l'équipe expatriée. Alors que nos règles de sécurité avaient privilégié la discrétion concernant la présence du logo MSF sur nos batiments, qui était même totalement absent au niveau de l'UP, les volontaires MSF se sont retrouvés du jour au lendemain à devoir travailler et vivre sous la bannière de l'Union Européenne. L'équipe découvre en même temps que l'apparition de ces affiches que le projet sur lequel elle travaille est financé majoritairement à 63% par des bailleurs de fonds institutionnels et privés, et à 37% seulement par des fonds propres de MSF. Et se pose alors évidemment pour chacun la question de l'indépendance politique énoncée dans la charte de MSF :
" Les Médecins Sans Frontières apportent leurs secours aux populations en détresse, aux victimes de catastrophes d'origine naturelle ou humaine, de situation de belligérance, sans aucune discrimination de race, de religion, philosophique ou politique.
Oeuvrant dans la neutralité et l'impartialité, les Médecins Sans Frontières revendiquent, au nom de l'éthique médicale universelle et du droit à l'assistance humanitaire, la liberté pleine et entière de l'exercice de leur fonction.
Ils s'engagent à respecter les principes déontologiques de leur profession et à maintenir une totale indépendance à l'égard de tout pouvoir, ainsi que de toute force politique, économique ou religieuse.
Volontaires, ils mesurent les risques et périls des missions qu'ils accomplissent et ne réclameront pour eux ou leurs ayants droit aucune compensation autre que celle que l'association sera en mesure de leur fournir. "
De cet épisode, je voudrais revenir sur deux points :
- D'abord la présence de fonds institutionnels dans les projets de MSF.
Cela fait désormais une bonne dizaine d'années que MSF a pris le parti d'accepter des financements institutionnels sur ses projets. Cette question a suscité et suscite toujours de vifs débats au sein de l'association. D'un côté la possibilité d'accroître le nombre et l'ampleur de ses projets, de justifier d'un savoir faire et d'une expertise dans le domaine de la santé humanitaire, et donc d'être un acteur reconnu par ces bailleurs de fonds qui recherchent des partenaires dignes de confiance pour mettre en oeuvre les projets qu'ils supportent financierement ; de l'autre côté la perte d'indépendance financière, et le risque de perte d'indépendance de MSF dans l'orientation de ses choix et de ses terrains d'action, le rendant " prestataire de service ".
MSF se prévaut pourtant d'être une des rares ONG qui fonctionne encore essentiellement à partir de dons privés ; la réalité est que désormais 20% de ses fonds proviennent de financements institutionnels ou privés, et que sur certains projets comme le nôtre cela atteint même les 60%. Aussi, que penser de tous ces fonds dirigés vers le Tchad, certes un des pays les moins développés de la planète, mais aussi base centrale du dispositif militaire français Barkhane de lutte contre le terrorisme en Afrique Centrale ? N'entrons nous pas dans les jeux complexes de la politique étrangère de la France et de l'U.E en Afrique ?
- Le deuxième point est pour moi le plus problématique dans le débat : la présence de l'effigie de l'Union Européenne sur nos projets.
Jusque là, les bailleurs n'exigeaient rien en retour de leur participation ; désormais, ils exigent la présence de leur symbole. L'insistance de la représentante d'ECHO au retour de sa visite montre bien l'aspect crucial de cette évolution, pourtant traité comme anecdotique par nos instances à Paris : il s'agit désormais de valoriser l'image de l'Union Européenne sur nos projets.
Ainsi, comment MSF peut-elle se proclamer encore indépendante politiquement quand elle fait la promotion d'institutions politiques sur son terrain ?
Que penser du logo MSF siégeant à côté d'un drapeau représentant l'Europe et donc l'Occident ?
Comment ne pas y voir un risque sécuritaire quand Boko Haram, qui sévit juste à côté et a déjà perpétré 2 attentats à N'Djamena depuis mon arrivée, signifie littéralement "l'école occidentale mauvaise"?
Comment ne pas y voir une atteinte à notre liberté d'action quand on se retrouve contraints à agir contre nos principes de discrétion ?
Comment peut-on nous imposer des règles de sécurité aussi drastiques sur le terrain, nous ressasser que les humanitaires sont des cibles privilégiées en Afrique, se faire le plus discrets possible, et après cette visite, considérer que finalement il n'y a pas de risque majeur à cet affichage que nous nous interdisions jusque là ?
Enfin, que diront les autres bailleurs de fond en visite ici qui verront 2 logos mais pas le leur ? Devrons-nous là aussi afficher le logo de Véolia à l'UP, et devenir ainsi la vitrine publicitaire des fonds insitutionnels ou privés investissant dans l'humanitaire au Tchad, comme je l'ai déjà vu ailleurs, par exemple au Cambodge ?
Cette question de l'indépendance est primordiale, elle est aux fondements mêmes de la création de MSF. Nous avons ressenti cet épisode sur le terrain comme un tournant majeur dans la politique de MSF.
L'autre valeur fondamentale à protéger, c'est la liberté d'expression, et donc l'importance de pouvoir débattre et de remettre en question les choix pris au sein de l'association. Aussi, je conclurais par cette question provocante : MSF n'est elle pas en train de s'écarter de son statut d'ONG pour devenir une sorte de multinationale de la santé humanitaire ?