Les sagnes
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Les sagnes
Comme toujours, la nature a appliqué son baume
Sur les angoisses effervescentes du moment
Et nos solitudes jumelles, mutiques.
Nous avons marché sous le soleil voilé de février ;
À bien y regarder, nous avons
Franchi, aisément, des contrées fabuleuses aux frontières artistement ciselées,
Traversé d'un seul pas de géant
Des univers fantastiques, des fleuves transis, des lacs emprisonnés par la glace,
Parcouru le désert blanc où des fils fragiles, tenus à bout de bras,
Relient les derniers hommes dispersés.
Là, pas de route, ou si peu, presque effacée ;
Pas de bruit, le silence assourdissant régnant en maître
Dans ce décor lunaire où le temps semble figé.
Des monts au dos de bison surgissent de l'horizon ;
Des torrents tortueux comme des serpents agités
Filent sans cesse entre nos pas, fuyant avec les nuages ;
Des piquets de bois, dressés comme des soldats en faction,
Gardiens fidèles à la barbe blanche, à l'uniforme tanné,
Tignasses mousseuses en double rangée, contraignent le chemin,
Vains, formidablement vains face aux coulures sonores continues, inarrêtables.
Les pieds baignant dans la poudre cristalline et buttant sans cesse sur des mottes noires,
Têtes chevelues de masques africains,
Dérisoires volcans ébouriffés par les vents sous le regard lointain des grands cratères, fiers,
Notre progression se fait lente dans ces vastes étendues herbeuses
Avant d'atteindre, non sans quelques réticence,
Plus bas, le peuple des frênes tourmentés, des hêtres rabougris,
Des sapins trop sagement ordonnés quelquefois,
Pays éclaboussé de pierres et mangé par les ronces,
Où guettent, endormis, les fougères, les genêts et les bruyères
Dans l'attente de meilleurs jours auréolés d'arabesques royales.
De ces lieux âpres, saisissants et tout à la fois insaisissables,
En invités de passage on s'extirpe, les yeux repus,
La bouche emplie de mots râpeux,
La tête durablement engourdie par les mélopées de cet étrange compagnon de route :
On croit avoir rêvé l'équilibre du monde.