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Le Prince de la Terreur

Le Prince de la Terreur

Veröffentlicht am 4, Dez., 2024 Aktualisiert am 4, Dez., 2024 Tale
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Le Prince de la Terreur

Il est dit, dans les anciennes légendes, que si l'on marche jusqu'au bout du monde, et que l'on

continue ensuite droit devant pendant mille jours et mille nuits, ainsi que mille jours de plus, encore et encore, jusqu'à perdre la notion d'espace et de temps, on peut atteindre une contrée perpétuellement plongée dans la froide obscurité de la nuit. 


Depuis l'aube des temps, jamais le moindre rayon de lumière n'a traversé la grisaille chaotique de la

voûte céleste pour réchauffer cette terre noirâtre et gelée. Le souffle glacial du vent s'infiltre dans les plus petits interstices, pénètre jusqu'au plus profond des os, étouffe toute flamme tentant vaillamment de s'élever contre cet enfer d'ombres et de glaces. C'est un lieu de désolation et de mort, où chaque seconde est une lutte acharnée et furieuse pour la survie, où chaque minute équivaut à une petite éternité aussi fragile qu'une tour de cristal.

Les arbres sont de sombres colosses, pourvus de branches tortueuses et acérés, aussi dures que le roc, aussi tranchantes que l'acier, s'élevant avec défiance vers les nuages massifs et menaçants. Les oiseaux sont vifs et fourbes, leurs becs puissants et tranchants tandis que leurs griffes suintent d'un fluide méphitique et mortel.

Les cafards et les vers grouillent sous une herbe rugueuse et éparse. 


Si l'on s'enfonce plus profondément encore en ces terres dévastées, on peut trouver un marais pestilentiel. Des reptiles d'un autre âge rampent parmi les joncs en décomposition, se nourrissant des malheureuses créatures qui s'aventurent parfois en ce coin isolé et dangereux. C'est ici, sur une île inquiétante, que se dresse une ville aussi sombre que le pays qui l'abrite. Un mur d'enceinte, épais de plusieurs pieds, enserre une quantité impressionnante de bâtisses en basalte. Les rues sont étroites et sinueuses, les façades ternes et sans fenêtres.

Aucun bruit ne s'échappe des rares échoppes ; aucun éclat de rire, de tristesse ou de colère ne résonne.

C'est un monde enfermé dans un mutisme total, et aucune ride ne vient jamais troubler cette surface de silence. 

Les habitants - des humanoïdes grimaçants, à la peau aussi pâle que des cadavres et aux longs membres effilés - ne lèvent jamais le regard, se contentant de fixer le sol d'un œil éteint. 


Au centre de l'île, érigé sur un rocher torturé, s'élève un immense palais construit dans une matière à la noirceur dépassant celle de la nuit. Des clochers tordus et des dômes globuleux s'élancent au-dessus des toits. Seules quelques fines meurtrières déchirent par endroit les murs impénétrables de cette sinistre forteresse ; ainsi qu'une imposante porte cloutée par laquelle s'échappe un flot gargouillant d'esclaves, marchands, mendiants et notables. 

C'est au centre exact de ce temple de l'ombre que vit le maître de la ville.

Il ne se montre presque jamais, mais est connu de tous, et chacun murmure son nom avec crainte et un respect lugubre.

Il est le Prince de la Terreur.


Cela fait plusieurs décennies, peut-être même plusieurs siècles, qu'il n'est plus sorti de sa tour de pierre noire. Certains disent qu'il est mort, d'autres qu'il n'est qu'un mythe. D'autres encore qu'il scrute le monde, engoncé dans son trône mortifère, et qu'aucun geste d'aucun habitant de son royaume malsain ne lui échappe. Qu'il se nourrit de la terreur du monde et se prélasse dans l'obscurité suintant des âmes vacillantes de son peuple.

L'effroi qu'il inspire depuis des millénaires imprègne chaque recoin, chaque fissure, dégoulinant des

murs et des ruelles, jusqu'au plus profond des marécages et des campagnes où ne pousse qu'une herbe sombre et filandreuse.

Et dans ce monde froid et mort, sa loi fait office de règle divine et immuable. Les Quatre Prévôts, seuls récipiendaires de la justice, s'évertuent à faire respecter son Ordre, et punissent durement chaque écart.


Au sortir de l'hiver, quand la noirceur du ciel se mue en obscure grisaille, les mœurs se libèrent faiblement et certains protestent un peu trop fort. Les places se fleurissent alors de bûchers aux flammes bleues, sur lesquels se tortillent de pauvres hères aux grimaces grotesques. Quelques-uns, dit-on, ont voulu atteindre le Prince lui-même. Les rares ayant réussi à tromper les Prévôts, et à s'élancer jusqu'au sommet de la tour, n'étaient jamais redescendus. Et voilà près de trente ans que personne n'avait tenté l'aventure, considérée comme inutile et funeste.


Un soir, pourtant, une ombre bondit hors d'une ruelle pour s'engouffrer par la porte béante de la plus

haute tour, se glissant parmi les gardes avec une déconcertante facilité.


C'est une enfant. Enfoncée dans une cape trop grande munie d'un capuchon.


Elle est jeune et orpheline. Elle-même serait incapable de donner son âge exact, ou une description précise de son apparence. Ici, les miroirs n'existent pas. Elle se sait dotée de deux bras et deux jambes, et d'un nez au milieu de la figure, et cela lui suffit amplement. C'est une enfant, mais une sourde colère consume déjà son âme. Elle veux voir de ses propres yeux le responsable de sa haine ; ce terrible Prince noir, tout là-haut, si haut, effleurant les nuages de sa ténébreuse prestance. 


Sa mère a disparu juste après sa naissance, bannie par les Prévôts, ingurgitée par le marais vorace. Et son père est en train de s'éteindre, petit tas de cendre sur l'un des derniers bûchers de la saison.


Mais le brûlot intérieur qui nourrit son corps et carbonise son cœur, lui, rien ne peut plus l'étouffer. Il flambe ardemment, et si par mégarde la flamme de la colère commençait à trembloter, il suffirait d'un souffle pour l'attiser à nouveau.


Elle s'avance dans les allées taillées à même la roche, glisse sur les grandes dalles de basalte. Silhouette chétive, minuscule au milieu de cette architecture immensément vide et folle.

Aucune lumière, aucun son.

Aucun être.

Quelques marches et des statues d'âges antiques et funèbres.

Tout n'est que néant, et l'ombre se confond avec la matière.


Mais l'enfant continue d'avancer, pas après pas, marche après marche. Elle monte, traversant vestibules et antichambres, halls et galeries, arches et colonnades. Elle s’élève vers la peur de tout un royaume. L'enfant marche longtemps. L'éternité peut-être, ou quelques heures, peu lui importe. Elle marche jusqu'à arriver devant une simple porte sans poignée. 

Il pose contre le bois moisi ses petites mains et, sans un bruit, pousse de toutes ses forces.


Une pièce presque vide.

Il n'y a personne.

Rien qu'un tas d'ossements à moitié rongés par le temps, grossièrement avachi sur un trône poussiéreux.

Et surmontant le tout, une couronne de fer blanc, sans aucune tache de rouille. 


Elle est belle, attrayante, seul éclat de clarté siégeant au-dessus de cette terre morbide. L'enfant ne peut s'empêcher de tendre le bras, toucher ce bout de triste joyau perdu au sommet du pays de l'obscurité.

Gelée.

Aussi glaciale que les ruisseaux des vastes contrées du Nord, eaux figées à jamais en de fines langues de cristal. 


Elle soulève lentement la couronne. Combien de temps elle se tient ainsi, son regard happé par le métal lisse et blanc, personne ne peut le dire. Elle la pose alors sur sa tête, et elle semble parfaitement à sa place. Ni trop grande, ni trop petite, si légère qu'elle n'en ressent aucune gêne. 


Une étrange chaleur s'insinue doucement dans ses membres, le long de sa colonne vertébrale, à l'intérieur de son crâne et de ses yeux.

Elle ne peut plus bouger, et des larmes de sang s'échappent silencieusement de ses orbites.

Elle veut hurler, mais sa langue et ses lèvres se dessèchent. Sa peau ondule, et des rides apparaissent, flétrissant à jamais sa jeunesse.

Ses cheveux s'allongent, devenant aussi blanc que le fer qui ceint son front, avant de se dissoudre

sur le sol de pierre.

L'enfant-vieille se recroqueville, rabougrie, maigre et maladive, arthrosée.

Et elle tombe en poussière, sans un bruit, avec pour seul vestige de son être un morceau de fémur cerclé d'une couronne maudite.


Parfois une plainte sinistre, un long râle aigu et glaçant, s'engouffre avec le vent par les

vitraux cassés de cette pièce morte depuis des siècle. Tout est sec et vide, creux. Comme le monde figé, là, en-bas, aux pieds de la tour sombre, qui continu d'avancer mécaniquement, répétitivement, maintenu par un souvenir éteint depuis des années. 


Quelques brises d'air frais et leur sifflement, et une couronne de fer blanc.

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