

Parfois, j'ouvre la fenêtre...
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Parfois, j'ouvre la fenêtre...
«Parfois, j’ouvre la fenêtre, celle qui donne sur la rue, uniquement pour entendre le bruit de la vie qui avance sans moi. Souvent, il m’arrive de regarder machinalement mon téléphone, à la recherche d’un message, ou d’un appel. De n’importe qui, pour n’importe quoi. Un signe, qui indiquerait que quelqu’un a pensé à moi. Enfin, vous allez me prendre pour une folle, mais, il m’arrive de me rendre dans ce café, simplement pour voir du monde. Pour voir ces visages qui me saluent quand j’entre dans la petite salle aux tables serrées, et aux rideaux délavés. Ces visages qui me voient travailler d’arrache-pied, car je n’ai rien d’autre à faire. Personne avec qui discuter. Avec qui sortir. En réalité, je crois que je repousse le moment de rentrer. Je fuis le silence de ma chambre, car il pèse trop lourd.»
Le bruit des conversations ambiantes lui donnait mal à la tête. Il fallait dire que cela faisait quatre heures qu’Esmée n’avait pas bougé de sa place, plongée dans la rédaction d’un essai sans fin. Elle regarda la jeune femme assise à la table juste à coté. Elle aussi, travaillait depuis plusieurs heures. Elle ne relevait jamais la tête, sauf pour boire quelques gorgées de son thé. Sa concentration était inébranlable, et ses doigts tambourinaient sur le clavier sans arrêt. Elles étaient bien les seules, si sérieuses, au milieu des conversations frivoles des autres clients.
L'inconnue soupira, fermant les yeux un instant. Lorsqu'elle les rouvrit, son regard croisa celui d'Esmée. Celle-ci ne put se détourner, hypnotisée par la solitude qu'elle y lut. Elle se voyait, miroitant dans l'âme écorchée de cette jeune femme. Un frisson l'enveloppa. Elle se sentait comprise, enfin. Esmée rangea ses affaires. Elle enfila son manteau, et son écharpe, puis sortit le plus vite possible du café.
Paniquée, elle slaloma entre les flaques d’eau, piétinant les feuilles mortes. Il pleuvait à verse. La jeune femme se hâta, et finit par franchir la grille de son immeuble. Elle sortit maladroitement les clés de son sac, les fit tomber par terre, les ramassa, puis les enfourna dans la serrure rouillée. La porte s’ouvrit dans un grincement étouffé par le tumulte de la pluie. Lorsqu’elle la referma, le boucan extérieur s’évanouit, laissant place à un épais silence. Un silence familier, qui n’avait pourtant rien d’apaisant. Esmée soupira.
Elle avança jusqu’à sa boite aux lettres, qui ne contenait aucune lettre.
Elle traina ensuite des pieds jusqu’à l’ascenseur, accompagnée uniquement du bruit spongieux de ses chaussures.
L’ascenseur conduisit Esmée jusqu’au troisième étage, où se situait son appartement. Lorsqu’elle poussa la porte, un courant d’air la surprit. Elle constata avec désarroi qu’elle avait oublié de fermer la fenêtre de la cuisine, par laquelle s’engouffraient pluie et vent, inondant son appartement. Parfois, j’ouvre la fenêtre, celle qui donne sur la rue, uniquement pour entendre le bruit de la vie qui avance sans moi.
Esmée se rua dans l’appartement et repoussa la fenêtre trempée. Il fallait toujours qu’elle oublie, ou qu’elle se trompe. Rien ne pouvait jamais se dérouler sans encombre. Elle retira son manteau et ses chaussures, et sortit immédiatement la serpillère du placard.
Une fois la corvée terminée, la jeune femme s’affala dans son canapé. Sa montre affichait six heures et demie. Là, dans son petit appartement, seule, elle écouta le silence que lui imposait sa vie. Son cœur pleura une seconde, puis se rappela qu’il en était ainsi chaque jour, depuis qu’elle avait commencé ses études. Ou peut-être même depuis qu’elle était née, forcée d’être un peu incomprise. Esmée n’avait rien d’original : tout le monde se sentait comme ça. Mais ce n’était pas parce qu’elle n’était pas la seule qu’elle en était moins seule. A cet instant, elle aurait voulu discuter de cette peine qui lui alourdissait le cœur. Mais elle en était incapable. Par peur, mais aussi parce que personne ne l’écoutait vraiment. Sa mère était dans une autre ville, son père aussi. Elle n’avait ni frère ni sœur, ni cousin, ni cousine. Elle était fille unique, unique enfant de la famille. Une famille qui se limitait à son père et sa mère, qui étaient tous deux trop occupés pour écouter leur fille se plaindre d’une solitude qui n’existait que dans sa tête.
Deux mois passèrent. Deux mois durant lesquelles Esmée occupa ses soirées de manière similaire, répétant le même schéma quotidien, inexorablement. Rien ne pouvait la sortir de ce cercle vicieux. Rien à part elle-même, peut-être. Mais elle n’était pas prête. Changer la terrifiait, tout comme le monde extérieur, qu’elle se contentait d’observer sans jamais y prendre part.
Un matin, Esmée arriva à la fac avec ses dix minutes d’avance habituelles. Le soleil de janvier illuminait ses joues fraiches, rougies par le vent. Elle s’installa sur un banc, relisant ses notes. Soudain, quelqu’un vint s’asseoir à côté d’elle. Elle tourna la tête, et réalisa qu’il s’agissait de l'inconnue du café. Esmée écarquilla les yeux.
— Coucou, fit-elle. Heu…
La jeune femme rougit. Elle hésita quelques secondes, baissant les yeux, puis reprit sur un ton plus détendu :
— Désolée. Je m’appelle Ninon. Et avant que tu ne me prennes pour une folle, non je ne t’espionne pas. C’est juste que, je te vois souvent au café du centre ville. Tu travailles beaucoup. Moi aussi, et comme je suis souvent toute seule, je me demandais si tu voulais, peut-être, t’es pas obligée d’accepter, venir à ma table. Je sais qu’il est huit heures du matin et que j’aurais pu te demander ça au café directement, mais, j’avais peur de ne plus te croiser. Enfin bref. Pardon j’ai paniqué. Je ne sais pas parler aux gens. Enfin bref. Salut, bonne journée !
Sans laisser le temps à Esmée de répondre, Ninon s’enfuit.
Quand Esmée sortit de son cours, ce soir-là, elle se trouva démunie face aux battements rapides de son cœur. Elle descendit en ville, s'arrêtant quelques secondes devant la porte du café.
Esmée prit une grande inspiration, et s'engouffra dans l'endroit bondé, scrutant chaque table avec appréhension. Elle n’avait plus jamais revu Ninon, et pourtant celle-ci semblait la voir régulièrement.
C’est alors qu’elle l’aperçut : tout au fond, dans un coin, ses boucles blondes et ses taches de rousseur.
— Coucou, murmura celle-ci. Désolée pour ce matin, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Je ne pensais pas que tu allais venir, du coup.
— Si, souffla Esmée.
Ninon poussa ses affaires pour laisser de la place à la nouvelle arrivante qui s’installa en face d’elle. Ce soir-là, Esmée fut plus productive que jamais. La présence de Ninon lui offrait une motivation nouvelle, qu’elle était ravie de voir coupée par de simples échanges, entre deux lectures. Bien que leurs conversations fussent un peu maladroites au début, les jeunes femmes trouvèrent un certain réconfort dans la présence de l’autre. Elles brisaient une solitude pesante, sans mot, ni grande conversation. Avec uniquement des sourires, ou des regards. Elles se rendaient mutuellement intéressantes. Chaque jour, Esmée revenait à la table de Ninon, au café ou à la bibliothèque, et chaque matin, Ninon s’installait à côté d’Esmée sur le banc. Les soirs, Esmée rentrait plus tard. Elle décalait sa routine, envoyait quelques messages à Ninon, pour savoir si elle était bien rentrée. Chaque soir, il y avait une présence, qui occupait l’esprit de la jeune femme. Quelqu’un à qui penser. Et ça, ça faisait toute la différence.
« Un jour, j’ai arrêté d’ouvrir la fenêtre et d’inonder ma cuisine. Mon téléphone s’est allumé seul, sans que je le consulte chaque minute à la recherche d’attention. Et puis, je suis allée au café du centre ville, non pas pour voir du monde, des visages vides qui ne me connaissent pas, mais pour voir Ninon. Son visage rosé, qui s’illumine quand elle me voit. Je crois que je l’ai sauvée autant qu’elle m’a sauvée. Ce matin-là, sur le banc, quand elle est venue vers moi, elle m’a sauvée. Et ce soir-là, quand je me suis installée à sa table, c’est moi, qui l’ai sauvée. »

