1047 - 2047 La femme savait déjà
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1047 - 2047 La femme savait déjà
1047 - 2047
Il faudra partir
Une vie de Princesse
Perdue ?
La plaine aux chiens
Les voleurs de cheveux
Le riche marchand
Un corps
Le mal te fera solitaire
Pourquoi, mais où ?
Le mal est bien
2047
Il faudra partir
La Princesse Cléa ressentait un mal-être ce matin.
Pas vraiment un mal-être. Plutôt une gêne.
Et pas seulement depuis ce matin, depuis plusieurs jours, de fait. Elle n’était pas habituée à cela.
Son esprit était toujours clair, son corps parfaitement sain. Ses pensées étaient toujours celles qu’elle avait décidé d’avoir. Des pensées pour chercher, pour trouver, pour les solutions, pour l’action, pour se battre, pour faire. Elle savait utiliser ses pensées comme son corps. Elle dirigeait sa machine à vivre, comme elle dirigeait son fief. Elle savait, et elle agissait.
Comme sa mère le lui avait enseigné.
Mais ce matin, il lui était très difficile de ne pas ressentir, de ne pas voir ces images diffuses qui flânaient. Elle ne comprenait pas. Et cette sorte de vibration qui s’amplifiait, dans son corps ; une pression sur le plexus. Une
fois, lorsqu’elle avait eu la forte fièvre, c’était un peu ainsi. Elle décida de chercher son miroir. Elle l’utilisait rarement, de temps en temps, pour peu d’usages. Sa mère lui avait donné ce conseil : regarde toi pour observer comme tu changes, et jamais pour voir comme tu es ; ne te soucie guère du « comme tu es » mais de « qui tu es ». Et donc ce
miroir était relégué dans la pièce à souvenirs, là où elle n’allait que rarement, lorsqu’elle cherchait l’avenir dans le passé.
Son visage était bien particulier, pas à son habitude.
Deux traits barraient son front. Non pas des rides du temps, mais un froncement. Deux forts bourrelés, comme lorsque le soleil est en face. Ses pommettes serrées, comme ses lèvres et son menton. Curieuse tension. Elle ne se connaissait pas avec
ce visage. Quelque chose avait changé, c’était sûr. Elle ne pouvait dire quoi.
Elle avait à faire, beaucoup à faire, comme chaque journée. S’occuper de ses gens, de son domaine, ordonner à ses ministres, visiter sa mère, manier les armes, organiser le trésor, vérifier la sécurité des abords.
Être Princesse.
Milly, son écuyère, l’attendait comme toujours et comme depuis toujours.
Milly avait une monture, de plus petite taille, moins rapide, plus fragile que celle de la Princesse Cléa, mais elle y avait droit. Elle en avait besoin pour suivre la Princesse, tant ses déplacements étaient fréquents, distants, et rapides. La Princesse Cléa mit de suite le galop, traversant la cour, le pont, les jardins, et pris la direction du nord, sur le chemin des trois arbres. Elle avait à rendre justice entre deux de ses paysans, au sujet d’un bois et de son gibier.
Le domaine était grand. Presque sept lieux vers le nord, cinq vers le sud, sur les autres faces, jusqu’à la rivière Lingre et ses marais. Il était protégé, bien, depuis longue date, au moins les temps de son arrière arrière mère, la
Princesse Mina, qui avait su le mettre en Paix, au prix il est vrai, de beaucoup de sang. Jusqu’à ce jour, elle avait su préserver ce calme, ce que ses gens lui reconnaissaient et savaient lui rendre à travers l’impôt. Et c’était bien là son rôle principal, comme le lui avait fait jurer sa mère, le jour où elle devint Princesse.
Elle aimait à se remémorer ces instants de son histoire. Elle réussissait souvent à retrouver ces images dans son miroir. Ce matin où sa mère lui expliqua, alors qu’elle sortait du bain, que ces deux boules qu’elle sentait sous ses tétons,
allaient devenir des seins.
Des seins ? Se demanda-t-elle. Mais pour faire quoi ? Et pourquoi ne les avait-elle pas reçus tout de suite ?
Elle avait bien vu que sa mère avait cela, elle y touchait même quelque fois, et même la mère de sa mère, il lui semblait qu’elle en avait encore, au moins un, gros et large, sous ses vêtements épais.
Alors c’est là qu’On lui dit pour la première fois l’avenir.
Qu’On lui dit qu’elle était une Fille, qu’elle serait une Femme, qu’elle serait une Princesse. Que lorsque ses deux seins auraient grandi, comme les fruits des arbres, que lorsqu’ils seront ronds et lourds, que lorsqu’ils seront un peu douloureux, alors viendra le jour du saignement de la féminité. Et que ce jour-là, elle ne serait plus une Fille, mais une Femme. Et que ce jour-là, On lui dirait une nouvelle fois un nouvel avenir.
Et donc, elle allait se transformer si souvent ? Elle qui pensait être Cléa, pour toujours…
Le lendemain, elle chercha son miroir.
Elle n’était plus la même. C’était la première fois qu’elle voyait deux images.
Celle d’avant et celle du lendemain.
Une vie de Princesse
Les montures avaient déjà parcouru deux lieux.
Milly lui fit signe qu’il fallait pauser. Le relais du Cèdre était une étape qu’elle aimait dans son fief. Le vin y était toujours bon, et le jeune tenancier, Victor, était des plus agréables à regarder.
Souvent, lorsqu’il y avait peu de passants, et qu’il était à couper le bois ou àagrandir son antre, qu’il travaillait le torse dénudé et les braies portées très courtes, alors il venait servir les clients dans le même habit. Et là, son
vin était encore bien meilleur !
La Princesse aimait à observer finement ce Victor. Lorsqu’il bougeait autour des tables, qu’il portait les fûts et les coupes. Ses fesses étaient saillantes, musclées, certainement bien dures. Elles transparaissaient à travers les étoffes souvent fines qu’il portait. Ses mollets étaient dessinés, deux lignes légèrement courbes, de la cheville jusqu’au creux du genou, et des cuisses fines mais très longues. Le cheveu doré, presque roux, la peau matée par l’air frais et la lumière. Et il sentait fort. Non pas l’oignon ou le lait caillé comme tous les gardes, pas non plus les onguents rassis des jeunes héritiers en quête de descendance. Non, il transpirait l’humus, la terre, la forêt, les premières fleurs sous la neige.
Cette odeur qui va au ventre, que l’on respire avec la bouche, un parfum que l’on mange. Il n’était pas que plaisant pour les yeux et les narines ce Victor, il était reposant, parce qu’il était beau.
Bien sûr, la Princesse Cléa avait pensé en faire son amant, pour une seule fois, et elle y pensait quelques fois. Mais les choses ne pouvaient être ainsi. Il n’était pas bon qu’elle trouvât partenaire pour les plaisirs de son corps parmi les mâles de son fief. Il en était ainsi depuis ses aïeules, Princesses du fief, et depuis le jour où elle en prit la charge. Il était dit que c’est l’une des clefs de son autorité. Milly n’avait pas ses contraintes. Même si son rang d’écuyère lui conférait un statut particulier, qu’elle savait largement, mais avec discrétion utiliser, elle avait le loisir de jouer avec les hommes qui lui plaisaient.
Et ainsi donc, il lui était arrivé de passer quelques bons moments avec Victor, et bien sûr, de les conter à la Princesse.
Toutes les parties de cet homme étaient aussi belles qu’attendues. Ses bourses étaient bien lourdes et bien retenues, ses mains fermes, rugueuses comme il faut sans être râpeuses, sa langue épaisse, souple et agile. Mais il semblait n’aimer que peu le corps des femmes. Ou peut-être n’était ce que celui de Milly.
Les montures avaient eu leur temps de repos, la nourriture et l’eau. Il fallait maintenant reprendre chemin. Victor n’était pas en son antre. Les estomacs de la Princesse Cléa et de Milly étaient pleins d’un ragoût bien cuisiné et d’alcool de pomme vieilli.
Elles devaient être aux trois collines avant le soleil de midi.
La Princesse Cléa aimait à chevaucher au grand galop. Elle sentait la puissance de ses muscles tenir la monture.
Elle aimait aller très vite, voir les arbres défiler sur le bord de ses yeux, jusqu’à ne distinguer que formes et couleurs. Elle aimait le risque, puisqu’elle ne connaissait pas la peur. Et elle avait passé tant d’années à se préparer, à être préparée, à se former, à être La Princesse Cléa, qu’elle aimait à en jouir. Sa mère, ses maîtresses et maîtres d’arme, ses instructeurs de sciences, ses conteurs, ses gens avaient transformé une jeune fille prédisposée, en femme accomplie, comme avant elle, la mère de sa mère, et bien avant encore, celles qui avaient eu à être Princesses.
Le premier jour des premières règles, elle avait quatorze ans. Elle n’avait pas pleuré, n’avait pas ri. Elle savait, et savait aussi que c’était le premier jour d’un nouvel avenir.
Sa mère lui parla, une journée entière. De sa responsabilité maintenant, de faire ou de ne pas faire la suivante Princesse. Des douleurs qui viendront à chaque tour de lune, de la propreté de son corps qu’elle devrait tenir toujours, de ces colères qu’elle devrait maîtriser, des hommes qui pourront devenir fous et terriblement dangereux sans qu’elle sache pourquoi, de ses pulsions certaines journées qui pourraient lui faire donner son corps et prendre celui des hommes, plus que ce qu’elle ne voudrait vraiment. Du jour où tout cela s’arrêtera parce que Femme est faite ainsi, même Princesse. Et que tous les gens, qui sont Femme, ne sont pas différents.
Cette journée-là fût longue. Elle ne retint que peu des explications de sa mère. C’était même ennuyeux ce discours. Elle n’était inquiète de rien, sauf de ces linges qu’il lui fallait porter entre les cuisses, qui la gênaient un peu pour s’assoir et marcher, et cette toilette qu’il fallait renouveler souvent. Elle espérait que ça ne durerait pas plus que quelques jours, et que ça ne recommencerait pas trop souvent.
Le lendemain, elle alla à son miroir.
Elle avait changé, beaucoup changé ce matin-là.
Perdue ?
Les trois collines.
Perdue.
La Princesse Cléa n’avait jamais été perdue !
Elle dut mettre pied à terre.
Milly ne comprenait pas.
Elle ne savait plus. Et ces troubles qui étaient revenus, beaucoup plus forts. C’était désagréable, presque une douleur, ou une envie, un besoin ?
Ses maîtres d’armes, tout comme ses précepteurs de l’esprit, lui avaient enseigné à simuler la faiblesse comme diversion. Elle décida ainsi de se laisser guider, et prit un chemin opposé, vers les limites du fief.
Milly n’eut pas mot à dire, et se devait de suivre la Princesse Cléa, où qu’elle pût aller.
Elles dévalèrent la longue pente, laissèrent à leur gauche la ferme des nains, celle qui refusait souvent de se soumettre mais sans que ces gens ne fassent trouble à la Princesse, continuèrent à travers la forêt dense de résineux, et lorsque le soleil fut aux deux tiers de sa journée, elles atteignirent la plaine aux chiens.
Maintenant, la Princesse Cléa n’était plus chez elle.
Il était rare qu’elle dût quitter son fief. D’abord parce qu’elle y était fort occupée, même si ses ministres et ses gardes l’aidaient fort bien à sa tâche. Aussi parce qu’elle savait que changer de monde était un grand danger. Ses maitres lui avaient souvent répété que ce qui change le plus hors de sa maison, ce ne sont pas les autres et les autres choses, mais ce que nous en ressentons et en apprenons. Et ainsi, à aller ailleurs, nous risquons de devenir une autre, et pas toujours pour le meilleur. La forte personne ici est faible ailleurs, le bien d’ici est le mal de là-bas. Et surtout elle était La Princesse, et elle ne pouvait pas attraper la Maladie.
Il était dit, dans les histoires que contaient les colporteurs, que quelques fois Princesses, bien loin de chez elles, contractaient un mal étrange. Ce mal ne donnait ni fièvres ni diarrhées, ni plaques purulentes ni déformations des pieds, mais transformait néanmoins, et à jamais, celles qui l’avaient attrapée. Elles perdaient l’agressivité, la force et la volonté pour se battre et pour tuer, elles ne savaient plus être dures, impartiales et contraignantes avec leurs gens, comme il se doit. Ce mal retirait le goût des plaisirs de la chair, de la chasse, de la fête, du pouvoir, enlevait le goût du vin et de la tête qui
tourne. En un mot, ce mal pouvait transformer une Princesse, puissante et respectée sur son fief, en une contemplatrice du temps qui passe, toute occupée à coiffer les cheveux d’une enfant. Un peu comme les louves qui deviennent si dociles lorsqu’elles mettent bas.
La Princesse Cléa, curieuse et jamais satisfaite de ce qu’elle ne comprenait pas exactement, interrogea fortement plusieurs de ces itinérants. Fortement est à dire qu’elle savait utiliser quelques outils bien placés sur les dents ou sur la verge de ces bonimenteurs, pour qu’ils parlent prestement et sans mensonges.
Et ainsi, il lui fût rapporté que ce mal ne semblât pas que de mauvaise conséquence pour les Princesses qui en furent prises. L’un rapporta même avoir vécu un temps au château de l’une, qui au retour d’un tel voyage, était transfigurée, métamorphosée, recomposée. Il l’avait connue comme maitresse du lieu, qui l’invitait à dire ses histoires, pour ses amies et quelques gens.
Elle était respectée, crainte et aimée, parce qu’elle menait bien le présent et le devenir de chacun. Son visage était strict et ne montrait que la certitude ou le rire. Son corps et ses gestes étaient toujours tenus, maintenus, redoutables d’efficacité dans ce qu’ils avaient à faire. Elle mangeait peu, sauf en ripaille, dormait juste le temps du repos, n’avait ni rêveries, ni pensées ni questions, et ne s’intéressait dans les contes qu’à l’action et aux décisions. Elle prenait un amant toutes les quatre nuits. Il était choisi parmi ses gardes et n’avait d’autres choix que de faire toujours la même parade, les mêmes gestes et risquait souvent sa tête s’il n’avait pas su lui détendre les muscles pour qu’elle trouvât le sommeil. Et le temps de cette Princesse passait ainsi. Elle savait qu’un jour elle aurait à concevoir son héritière, mais elle n’en avait pas encore décidé.
Elle fût absente près de deux lunes complètes, personne ne sût jamais où.
Quand, au retour, elle se présenta à ses gens, ce jour-là, ce conteur, y était.
Elle n’était plus La Princesse, Nôtre Princesse, Nôtre Maîtresse. Elle était devenue une guide. Elle rayonnait.
Il semblait qu’elle produisait de la chaleur et de la lumière comme les grandes étoiles des nuits d’hiver. Elle était plus grande qu’avant. Son visage avait plus de traits, son corps plus de mouvements, ses cheveux étaient gonflés, ses yeux plus
ouverts semblaient pouvoir observer tout au même instant. L’homme était sûr de ce qu’il rapportait, et le disait avec une voix douce, même s’il était quelque peu sous la contrainte. Il ajouta que, chose étonnante, elle transmettait naturellement, le calme et la paix. Non par force, par respect, par crainte ou dévouement, mais par… par contagion !
Il était sûr que ce qu’elle avait, ce mal, était contagieux.
La princesse Cléa ne réussit pas à obtenir plus de ce raconteur. Il dit avoir été chassé à ce moment-là, et de toute façon, elle avait serré un peu trop fort ses outils, et il était mort sur la table à parler
La plaine aux chiens
Ne jamais se laisser aller à penser !
Elle le savait pourtant !
Elle n’avait pris garde à rien en allant calmement.
Milly était silencieuse et les montures détendues. Elle n’avait pas observé.
La meute hurlait, elle devait être déjà très proche.
Un territoire interdit aux femelles, à tout ce qui peut être vivant et de sexe féminin. Les maîtres, le lui avaient dit, et ils n’avaient pas menti !
Une seule race de petits arbres, tous strictement identiques et strictement alignés, brun ocre, sans fleurs, sans branches, juste des tiges droites. Et à perte de vue, aussi loin que l’œil pût porter. Il est dit que cette partie du monde n’est habitée que par des chiens tellement hideux, cruels et carnassiers, que rien de féminin ne peut y vivre, ni végétal, ni animal, ni humain.
Les grognements se faisaient de plus en plus proches, et devenaient paroles. L’ouïe, si fine, de la Princesse, percevait les bruits sur une demi-lieue.
Voilà pourquoi nulle femme, simple gente ou soldate, n’était revenue de ce territoire. Voilà pourquoi les hommes violents, ceux qui battaient enfants, tuaient plus faibles ou violentaient jeunes vierges, étaient bannis et emmenés ici.
Ces créatures n’étaient ni des chiens, ni quelques monstres informes et sanguinaires. Ils étaient des hommes, ou plutôt, ils en furent. De ces hommes que rendait fou furieux, incontrôlable, la présence de tout être qui permet la procréation.
Ils ne supportent pas le féminin.
Se savent-ils si mauvais qu’ils savent devoir ne pas se reproduire ? Ils disent qu’ils auraient dû être les maîtres, toujours. Mais alors, l’ont-ils été un jour ? Et qu’ont-ils fait de leur fief, maintenant si laid et si stérile ?
Les phrases que perçoit la princesse sont sans appel. Faire souffrir et détruire, ne surtout pas laisser repartir ces quatre femelles, deux femmes et deux montures.
Milly ne connaissait pas la stratégie, cet art n’était que pour les Princesses et leurs filles. Elle était moins forte au combat des armes. Mais ses tactiques étaient redoutables, comme son instinct, qu’elle laissait souvent diriger ses actes. Et la princesse Cléa, bien souvent, l’avait suivi, sans question poser, sachant que la solution était la bonne, et souvent la seule. C’était bien là le rôle d’une écuyère.
Il restait quelques minutes, tout au plus, avant d’être rattrapées, attrapées, et puis…
Milly avait déjà tassé un paquet bien haut de ces branches droites, aussi sèches que pauvres, et l’avait couvert des mousses piquantes qui couvraient les troncs morts. Elle tentait d’y faire jaillir une flamme à la base.
Les premières fumées en sortaient déjà.
Alors elle enleva ses habits, sans en prendre le temps, tout, le bas. Elle portait les braies les plus pratiques pour chevaucher, le châle, la blouse, le corsage. Restaient ses protections de cuisses et son porte poitrine. La Princesse Cléa fit de même, sans comprendre ce que voulait Milly.
La flamme grandissait, et une odeur âcre commençait à se répandre alentour.
Milly fit une boule de sa blouse, empoigna la queue de sa monture, la leva, y fourra le chiffon, en frottant tant qu’elle pouvait. Et elle faisait le même geste, sur elle, avec la soie pure qu’elle avait mise dans sa cuissarde pour protéger lèvres et vagin. La
Princesse connaissait les cycles de lune de Milly, elles étaient chaque jour ensemble. Elle savait qu’elle n’était qu’à un tiers de temps du saignement.
La Princesse venait de comprendre ce qu’allait faire Milly.
Les odeurs femelles, portées par quelques résidus de l’intérieur, de cette partie du corps que les vieilles femmes appellent le tunnel des bébés, étaient bien déposées sur les étoffes. La monture de Milly était comme elle, avec une forte chaleur depuis quelques nuits, ce qui la rendait d’ailleurs nerveuse, mais fort tonique.
Milly et la Princesse Cléa déposèrent les étoffes, y compris les portes poitrines qu’elles avaient aussi frottés sur leurs tétons et sous les aisselles, sur les mousses, au sommet du feu. Les effluves devaient partir.
Elles, ne les sentaient pas.
Mais Milly savait que ça fonctionnerait.
Elles reprirent montures, dans le sens opposé au vent.
Les hurlements changèrent de direction. Ils s’éloignaient d’elles, et elles du danger.
La Princesse Cléa venait d’apprendre que des cinq sens, s’il n’en reste qu’un, alors un
homme n’est plus qu’un mâle et ne peut que détruire celle qui le reproduit.
Et c’est certainement pour cela, que les anciens ont désignés ces fous d’odeurs, les
chiens.
Les voleurs de cheveux
Elles venaient de tenir le galop trop longtemps, mais le danger était loin. Elles pénétrèrent des fourrés assez épais, où elles ne purent avancer qu’à pas lent.
Bientôt, il leur faudrait s’alimenter et dormir.
La Princesse Cléa avait appris très jeune à se sauver elle-même, à se vivre seule. Sa mère disait que, puisqu’un jour elle aurait à diriger ses gens, elle devait d’abord savoir mener la plus difficile, la moins docile d’entre toutes, Elle.
Elle disait que l’autonomie, cette capacité à vivre de soi-même et avec soi-même, était l’apanage des Princesses et la seule voie pour le rester. Qui accepterait pour Maître, celle qui ne l’est pas d’elle-même ?
Et ainsi, pendant un long temps de son grandissement, on lui apprit comment trouver autour d’elle et en elle, tout ce qui lui était nécessaire, tant à la sécurité de son corps qu’à l’équilibre de son âme.
Quelle force, de pouvoir tout contrôler, seule.
Et quelle liberté de ne rien attendre d’ailleurs.
Le gibier foisonnait ici, comme l’eau claire, et quelques grandes roches bien disposées au pied d’une pente allaient faire un bon refuge.
Milly et la Princesse prenaient ainsi quelque repos.
Le jour allait passer à la pénombre.
Les cinq prédateurs apparurent.
Ils portaient bâton d’une main, et grosse pierre de l’autre, mais n’étaient pas d’une agressivité directe.
La Princesse Cléa et Milly s’étaient déjà relâchées, préparées pour la nuit. Elles avaient enlevé les chausses et les pièces de bois qui tenaient leurs cheveux. L’une comme l’autre portait la coiffe longue, très longue, parce qu’elles l’aimaient ainsi, parce qu’elle ne cessait de s’allonger, alors pourquoi l’auraient-elles coupée ?
Des cinq prédateurs, un seul pouvait être un danger. Très grand, le corps épais, la tête bien dressée.
Ils en voulaient à leurs cheveux !
Celui qui parlait expliqua qu’ils voulaient leurs toisons, et qu’ils les laisseraient libre.
Mais qui donc étaient ces hommes ?
Quelles étaient leurs croyances ?
Le grand dit que le pouvoir des femmes venait de leur pilosité, et que si eux pouvaient aussi en exposer autant, alors il leur serait permis de transmettre le mal.
Mais quel mal ?
Ce n’était pas l’instant de penser.
La Princesse, de trois gestes aussi précis que brefs, trancha les huit jambes des quatre menaçants. Milly tenait en respect le plus grand, de son couteau brillant.
Elles l’amenèrent face au feu. Elles constatèrent sa beauté, et même ses traits de visage doux, bien qu’il feignait
de les rendre méchants. Il n’y réussissait en fait, guère.
La Princesse Cléa eut envie, instamment, de prendre du plaisir avec cet homme. Elle ne s’était pas livrée aux jeux du corps depuis trop longtemps, et elle savait qu’à trop durer, l’esprit perd sa bonne humeur, sa clairvoyance et sa capacité à raisonner. Elle se demanda un moment, le regardant fixement, si elle allait le forcer.
Elle préféra le questionner sur le mal.
Mais elle savait déjà qu’il ne dirait rien. En savait-il beaucoup ?
Et elle sentait les images revenir.
Ce n’était pas le moment.
Elle confia l’homme à Milly, lui demandant d’aller à l’écart pour la laisser penser.
Milly emmena son prisonnier, docile, à l’arrière des rochers.
Quelques bruits, étouffés, rassurèrent la Princesse sur ce que Milly prenait et donnait.
De retour près du feu, elle était apaisée, prit la couche et sombra directement, sans mot, dans son sommeil.
Et la Princesse Cléa pensait.
C’était nouveau pour elle.
Et ce mal, comment ne pas se questionner ?
Un mal qui touche les femmes, et que cherchent les hommes ?
Mais personne ne cherche le mal, il en est assez comme cela, de tous ceux qu’il faut combattre pour rester chaque matin capable de voir le soir.
La Princesse savait qu’elle devait dormir, et poursuivre son chemin.
Le riche marchand
Après certainement plus de vingt lieues, dans une clairière où croisaient plusieurs chemins,une grande, très grande bâtisse
était posée au centre d’un jardin merveilleux parce que parfaitement dessiné et travaillé. Ce lieu ne semblait pas être celui du château d’un fief, et pourtant il resplendissait d’une grande richesse.
Elles allèrent et furent accueillies dès l’entrée.
L’homme qui se tenait fort droit, avec belle allure et beaux habits, semblait avenant et accueillant. De plus, fort courtoisement, il proposa le gîte et le repas, que la Princesse accepta.
Tout allant à donner visite de sa propriété, il expliqua à la Princesse être un riche marchand. Il commerçait avec toutes les contrées, certaines très éloignées, et avait accumulé presqu’un trésor, en pièces d’échanges. Il avait plus qu’il ne pouvait en user, et était fort fier et satisfait de son ouvrage.
Il se mit à louer la Princesse pour ce qu’elle semblait être, l’encensant de moult compliments, sur sa personne, sur ses mouvements et sa voix, sur son passé et sur ce qu’elle pourrait être, sur ce qu’elle répondait et même sur ce qu’elle ne répondait pas ! Les premières phrases furent plaisantes et avaient touché la Princesse Cléa. Mais après ces premiers émois, quel étonnement d’être décrite si merveilleuse, par une personne qui ne la connaissait que de si peu de temps.
Et le marchand de continuer à expliquer qu’il avait tout acquis, déjà tout eu et tout vu, puisqu’il était riche et avait tant voyagé, mais que lui manquait, dans son présent, toujours, une chose. Et cette chose, il était sûr que c’était Femme. Et bien sûr, il proposa à la Princesse d’être celle-là.
Il ne cessa pas et expliqua qu’elle aurait tout, n’aurait jamais le moindre besoin et garderait toute liberté d’être.
La Princesse, avec la plus grande douceur de parole, expliqua qu’il ne pourrait en être ainsi. Elle ne pouvait être achetée, puisque pas à vendre. Qu’elle ne souhaitait pas ne plus avoir de besoins, et qu’elle avait un domaine à garder.
Alors, le riche marchand finit de se confier. Il avait déjà acheté femmes, des plus belles et des plus douces, leur avait donné plus que ce qu’elles attendaient, et pourtant, toutes les fois, elles s’étaient flétries comme fleur sans soleil. Elles devenaient tristes, sans joies, et même n’avaient jamais enfanté. L’une d’elle, apportée et repartie d’une contrée peu visitée, avec une grande connaissance des esprits, lui expliqua que le mal ne pouvait se décider. Qu’il arrivait, ou pas. Et que sans ce mal, aucun bien n’était beau ni brillant, aussi rare qu’il soit.
Le riche marchand expliqua à la princesse Cléa qu’il n’avait pas compris, pas encore, mais que ce mal ne pouvait s’acheter, ou que peut-être il n’avait pas encore assez de biens. Et que donc, il continuait à marchander, marchander, tant dans l’espoir d’acquérir un jour ce qui lui manquait, que pour cacher ce qui lui manquait tant.
Il fit une demande à la Princesse concernant Milly. La Princesse répondit qu’elle sans Milly ou Milly sans elle, alors, elles ne seraient pas ce qu’elles étaient. Ce à quoi le marchand répondit qu’il avait entendu cette phrase d’un homme qui avait connu le mal.
La Princesse n’eut aucune gêne à prendre nouveaux habits, victuailles et pièces de changes, le repas et le gîte pour la nuit, et de bon matin, prit congé.
Un corps
La Princesse Cléa ne savait toujours pas vers où aller, ni pourquoi, mais elle devait aller.
Elle prenait garde à maintenir ses sens éveillés, mais elle pensait.
Son miroir, son visage qui s’était modifié, une fois de plus ce jour-là. Le jour où sa mère lui dit qu’elle avait tout acquis, tout ce qu’une fille doit et peut savoir, et que le temps était arrivé qu’elle devienne une femme, et qu’il était bon et indispensable qu’elle le décide elle, et non pas un homme.
Elle n’avait pas précisément compris à cet instant, mais se doutait. Sa mère lui parla encore longuement, de son corps, de tant de choses qu’elle lui avait déjà enseigné, mais elle en ajouta une. Le plaisir intime.
La Princesse crut comprendre, elle n’en était pas sûre.
Et ainsi donc, elle fut confiée à un homme, deux journées et deux nuits. Un homme de beaucoup plus vieux qu’elle, pas très grand, pas très fort, mais au corps bien proportionné. Un homme dont le regard inspirait l’intelligence et la bienveillance, et dont les gestes et postures prouvaient la douceur et la générosité.
La Princesse avait les meilleurs souvenirs de ces moments. Régulièrement, elle y pensait. Cet homme prit tout le temps et donna toute la patience dont il était besoin, pour qu’elle réussisse à s’ouvrir pour la première fois. Ouvrir ses chairs et les découvrir, ouvrir son esprit pour jouir de ses sensations, ouvrir ses sens pour odorer les productions de l’homme, ouvrir son âme à elle-même pour que l’orgasme existe et qu’il donne tant au corps. Elle reçut pour la première fois les parties d’un homme, pour la première fois le plaisir d’être pénétrée, caressée, baisée de la tête jusqu’au bout des pieds. Mais elle reçut bien plus de ce premier amant. Il lui parla d’elle, mais surtout de l’homme.
De ce qu’il a en plus, et de la meilleure façon d’en prendre ce qu’elle viendra régulièrement y chercher.
Tout ce qu’il avait dit était vrai et l’avait toujours aidé depuis, à tirer le meilleur parti du corps des hommes, pour sa plus grande satisfaction.
Et le lendemain, sur son miroir, il y avait une image de plus.
Plus belle, à son goût. Plus grande, plus sûre, plus solide.
Depuis ce jour-là, elle savait gérer son intérieur, comme tant d’autres femmes,
Princesses ou femmes libres de leurs devenirs.
Elle prenait amant régulièrement.
Elle les désignait simplement, soit pour leur capacité à donner de la joie, soit parce qu’elle les voulait sans vraiment savoir pourquoi, soit parce qu’ils avaient été bon pour elle ou pour le domaine. Elle recommençait très rarement avec le même. Lorsque ce fut le cas elle y trouvât un bonheur bien moindre, sauf pour deux ou trois, lorsque l’habitude devenait un jeu. Elle passait quelque fois de longues périodes sans ces besoins. Mais alors, un moment, elle se sentait fatiguée, moins forte, moins vivante, et elle savait alors qu’il était temps d’aller jouer de son intimité, comme tous les vivants, les plantes, les fleurs, les insectes et les animaux le font régulièrement. Comme la terre doit se montrer à la lumière, ou elle deviendrait poussière.
Le chemin qu’elles parcouraient à cette heure était rassurant. Entre forêt et plaine depuis un long moment, juste sur la lisière, un soleil tiède de côté, le calme des chants d’oiseaux et le bruissement léger de quelques gibiers affairés à trouver passages et caches dans les fourrés.
Au loin, sur le plateau, à une demi-lieue, il semblait être une bâtisse, un endroit de vie…
Elles allèrent.
Le mal te fera solitaire
Une ferme, petite, mais sans manque. Le champ travaillé, le verger, la basse-cour et quelques bêtes à viande, de bonnes protections et une maison faite de pierres et de troncs, qui semblait bien solide.
Personne n’y était.
Elles firent le plus de bruit pour se faire connaitre. Après un long moment, le Solitaire arriva.
La Princesse Cléa expliqua qu’elles étaient voyageuses, juste curieuses et sans intentions belliqueuses. Ce à quoi le Solitaire répondit qu’il n’attendait personne, ne voulait voir personne, et il rentra !
La princesse n’aima pas cette attitude, elle était Princesse !
Elle entra derrière lui, se posa fixement face, et lui dit fortement qu’à ne point lui accorder un moment de son temps, c’était atteindre à sa dignité et qu’elle en était meurtrie.
Le solitaire restait là, sans donner la moindre voix.
Qu’avait cet homme ? Il était clair qu’il était seul, mais pour sûr, pas du tout apeuré. Alors quoi ?
Milly était entrée. Toutes deux assises sur un banc, devant l’homme. Le temps passait, long, sans le moindre mot. Les regards restaient fixes, deux sur l’un, l’un sur les deux.
Une phrase courte et sèche. « Je crois que vous avez besoin du mal ».
La Princesse Cléa sentit comme le coup d’une arme qui s’abattait sur elle.
Le mal, encore cette chose inconnue.
La voix résonnait à son oreille, sans cesser. Elle ne pouvait parler, comme emprisonnée en elle.
L’homme se leva et ne dit que cela : « J’ai eu le mal, je ne l’ai plus, et maintenant je veux rester seul, toujours. Partez ! ».
Il sortit le premier, se dirigeant vers son champ. Il avait le dos vouté, les épaules basses, les jambes un peu pliées semblaient souffrir pour le porter. Cet homme devait être fatigué. De la solitude ou du mal qu’il avait eu ? La Princesse avait de plus en plus de questions.
Elle n’y était pas habituée.
La Princesse et Milly repartirent, prirent un chemin vers le bas, et se mirent en quête d’un endroit pour la nuit.
La Princesse Cléa, à l’instant du réveil, se sentait parfaitement reposée. Sur la couche de Milly étaient déposées deux feuilles vertes superposées, ce qui signifiait qu’elle était allée quérir quelques nourritures, et qu’elle serait de retour tôt. La Princesse devait donc attendre là.
Elle n’avait pas encore levé la tête du coussin où elle était posée, lorsque tout apparu dans son esprit. Quelle histoire ! Pas une histoire qui se déroule, toute une histoire dans le même instant !
Il lui arrivait de rêver. Pas très souvent.
Lorsqu’elle connaissait ses rêves le matin, ils étaient toujours l’histoire de la précédente journée. Ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait fait, les questions les ordres et les décisions qu’elle avait eu à donner.
Pour la première fois, elle avait vécu, elle s’était vu vivre, en songe.
Et quelle chose nouvelle.
Elle portait dans les bras un enfant, un nouveau-né.
Sa mère était là, face à elle, et à l’arrière, quelques-uns de ses ministres et de ses instructeurs.
Elle était à son aise, calme. Rien n’était différent de ce qu’elle connaissait. Elle se voyait en pied, en totalité. Elle était habillée d’une robe, blanche immaculée. Sa poitrine était forte, presqu’enflée. Il semblait en sortir de la chaleur, des rayons de douceur, de la lumière, ou une autre chose qu’elle ne connaissait pas.
Elle se leva prestement. Elle voulait sortir de toutes ces couleurs qui avaient envahi son esprit. Debout, la Princesse Cléa se frotta le visage, plusieurs fois, démit ses cheveux pour mieux les remettre attachés en courte queue, et décida d’aller aux montures pour les préparer à la journée de marche.
Mais elle avait besoin de penser.
Il lui arrivait tant de choses nouvelles, inconnues.
Penser pour comprendre ? Elle ne savait penser que pour agir !
Et cet enfant, si beau, dans ses bras.
Enfanter, créer une vie, donner au monde une partie de ce qu’il nous a donné, pour que le
monde continue à être.
Ses précepteurs et sa mère lui avaient parlé, plusieurs fois et longuement, sur cette loi, qu’ils disaient être de la nature et non pas des maîtres de domaine.
La Princesse Cléa avait été enseignée sur ce sujet. « Le plus difficile et le moins contournable de la vie », lui avait-on souvent dit, bien plus essentiel que tout le reste de sa préparation à être ce qu’elle est aujourd’hui.
Elle savait parfaitement comment se déroulait la reproduction de ses gens. Elle l’avait souvent observée. Des instants qui allaient transformer la jeune femme en mère, jusqu’au moment où un nouveau gent apparaissait en son domaine. Elle était presque toujours émerveillée, comme toutes, de cette arrivée. Sauf lorsque quelque fois, la nature envoie un monstre. Alors, souvent elle l’avait fait elle-même, pour ses gens, renvoyer cette vie, de là où elle était arrivée,
à la nature.
Il était simple pour ses gens que leur vie donnât une autre vie. C’était ainsi, les choses arrivaient…
Pour elle, Princesse, comme pour sa mère, comme pour la mère de sa mère, comme pour toutes celles qui sont et deviendront Princesse, alors la nature n’était pas ainsi.
Il lui fût tant expliqué qu’elle pouvait jouer de son corps avec tous les amants qu’elle choisirait. Ce n’était pas ainsi qu’elle mettrait la vie en elle. Comme elle était Princesse, aucun amant ne pouvait la faire mère.
Et lorsqu’elle demandait « mais alors qui ? », il lui était toujours répondu « tu le sauras, la réponse viendra ».
Et de fait, elle ne se souciait jamais de ce sujet.
Ce matin, le souvenir des leçons était présent, détaillé.
Elle avait entendu un jour sa mère, alors qu’elle était arrivée sans bruit faire, questionner le plus ancien des Maîtres, et lui demander pourquoi le mal ne se disait pas le bien. Le Maître répondit qu’alors toutes et tous le chercherai, et qu’il deviendrait impossible de gérer le domaine.
La Princesse n’avait pas compris et pas entendu plus.
Milly arrivait à l’instant. Repas pris et montures prêtes, elles cheminèrent à pas soutenus.
Pourquoi, mais où ?
La brume tomba soudainement.
Epaisse, mais claire. Presqu’éclairante, bien que le soleil n’y fût plus.
Les montures pouvaient se diriger.
Les cavalières ne distinguaient ni chemin ni objet pour savoir vers où aller.
Elles entendirent trois voix, distinctes, mais qui parlaient au même instant, comme lors de chants que certains de ses gens savaient donner, capable de remplacer les meilleurs des objets à sons.
Et face à elles, les voix devinrent des nuées, et les nuées prirent forme pour se donner à être vues.
La Princesse était sur ses gardes, prête à frapper. Mais frapper quoi ? Et où ? Et pourquoi surtout…
Les trois étoiles parlèrent.
Tant La Princesse que Milly, se sentaient forcées de se taire.
Elles expliquèrent qu’elles étaient Cléa ! Son passé, son présent et son avenir. Et elles dirent qu’il en était ainsi pour toutes et tous, gens, Maîtres et Princesses de domaines, qu’elles pouvaient être tour à tour chacune et chacun. Et que les songes venaient toujours d’elles. Et que, lorsqu’elles venaient, c’est parce qu’elles étaient appelées. Elles expliquèrent qu’elles étaient le miroir, non pas celui des visages, mais celui des esprits.
Et la Princesse Cléa apparue en lieu et place des nuées.
Le temps d’un instant, et…
La Princesse avait compris vers quoi et pourquoi elle devait aller…
Et l’instant suivant…
Le chemin, les arbres, les oiseaux étaient là, de nouveau.
Milly questionna la Princesse, qui répondit qu’elle avait rencontré le faiseur de rêve, et qu’elles avaient à chevaucher, vite, et qu’elle savait où elles trouveraient la vérité.
Le mal est bien
La Princesse Cléa reconnaissait parfaitement le lieu.
Elle n’était jamais venue, et pourtant, elle savait exactement où elle était.
La maison se montrait simple en sa construction. Un peu cachée par les arbres, fleurie en son pourtour, sans protection érigée mais gardée par l’un de ces très grands chiens confiant de son instinct et de sa force pour savoir écarter le prédateur et accueillir le bienvenu.
Elle savait qu’il était plus que temps, pour elle et pour lui.
L’homme se tenait devant la porte.
Il portait son corps bien droit. Il était plutôt grand, le visage franc, les yeux bleus très clairs, le cheveu assez long et presque bouclé. Il était vieux mais ne le semblait pas. Une longue vie était marquée sur lui, mais les années l’avaient laissé beau et solide.
Lorsque la Princesse Cléa mit bas de sa monture et se posta devant l’homme, il ne dit que ces mots : « Je vous attendais ».
La Princesse entra. Elle savait où se diriger.
Une très petite pièce, chaude, quelques tentures, des fleurs fraîches, une pénombre bienveillante donnée par quelques branches et fleurs lourdes qui masquaient aux trois quarts la fenêtre vers dehors.
L’homme la regardait.
Il était là.
La Princesse Cléa le connaissait. Depuis toujours.
Elle le reconnaissait, parfaitement.
Elle savait qui il était.
Elle le trouvait beau.
Non pas bien fait comme ses amants.
Mais elle aimait ses imperfections.
Il en avait.
Elle les observait.
Elle détailla son visage, tout son
visage et chaque de ses dessins.
Elle y lisait tout. Tout ce qu’il était. Mais aussi et surtout, tout ce qu’elle était, elle. À le regarder ainsi, elle se sentait chez elle. Rassurée, apaisée, en harmonie, comme terre et ciel.
Des heures avaient dû s’écouler lorsque la Princesse observa que la nuit était presque là.
Ils n’avaient pas parlé, ni elle ni Lui.
Pas le moindre mot, et le temps était passé.
Mais elle savait.
Que c’était Lui.
« Où étais-tu ? » demanda la Princesse Cléa, « Pourquoi ne point m’avoir fait chercher ? ».
Il expliqua que partout il était allé, partout il avait fouillé, à tant de ces gens il avait demandé, et même à la lune chaque jour il avait quêté. Et qu’il avait tellement appris, de ses voyages et des sages, qu’un jour il avait su.
Il se devait de rester là, sans être las, parce que les Princesses doivent faire leur chemin. Il se devait de savoir patienter, jusqu’à son arrivée, parce que c’est ainsi, les Princesses savent trouver, lorsqu’elles sont prêtes.
« Que devons-nous faire maintenant ? » demanda la Princesse Cléa.
Il répondit qu’il fallait se reposer, il était grand temps, et savoir dormir, à deux.
Ainsi donc, dénudés, apaisés, sans le moindre étonnement, juste enveloppés par la chaleur de l’autre, les regards enlacés, la pénombre ferma les quatre paupières au même instant.
Cette nuit-là était claire. Les étoiles s’amusaient entre elles.
La princesse Cléa les avait peut-être entendues.
Elle voulut les remercier.
Une fois levée, et presqu’à l’extérieur de la pièce, elle sentit une partie d’elle se détacher, presque un morceau de chair qui s’arrache, comme coupé par une dague aiguisée. Ça n’était pas douloureux, comme des blessures de combat qu’elle avait déjà reçues, mais difficilement soutenable. Comme le serait un membre attaché sur lequel on tire pour espérer redonner à tout le corps la liberté. Alors elle opérât un demi-tour, et se rapprocha de Lui. Toute proche, toutes ses parties étaient en elle.
Elle voulut être sûre, et recommença.
Et de nouveau, cette même douleur diffuse.
Alors, le regardant de nouveau, elle debout à ses pieds, lui allongé face à elle, les chemins de la vie lui apparurent, aussi simples qu’honnêtes.
Il était là le « mal ».
Non pas en Lui, ni en Elle.
Mais en Eux.
Et ce mal ne semblait pas de mauvais augure, peut-être même était-ce le bien.
Il semblait à la Princesse qu’à cet instant elle finissait enfin d’apprendre, et ne savait pas ce qu’elle devait en faire.
Elle plia les deux jambes, posa les genoux, prit soin, sans le moindre bruit, de se bien caler sur sa main, approcha son visage, retint son souffle, et posa ses lèvres sur les siennes.
Vertige, effusion, explosion, tempête et mer d’huile, soleil brûlant sur la neige étincelante, vert criant des feuilles et douces pastelles des pollens, cris d’enfants et chants d’oiseaux.
Où était-elle ?
Son corps tremblait. Ses membres partaient. Sa tête enflait. Elle découvrait chacun de ses cheveux, ressentait chaque bulbe, un fluide glissait, jusqu’au bout de la longueur, créant une masse, une énergie concentrée qui se colla sur son ventre, rayonnant, diffusant, son pubis était pris, surpris, humide, mouillé, trempé, les lèvres ouvertes comme pour offrir, pour réclamer le plaisir, pour donner le liquide qui coulait déjà sur sa cuisse, sur le bord de sa fesse durcie et déjà en
mouvements. Doux, réguliers, amplifiés par le bassin qui se recourbait, qui cherchait, des jambes pour les ouvrir, des genoux qui veulent serrer.
Elle était pénétrée. Sa bouche était pleine.
De sa langue à Lui.
Elle se laissa, pour la seconde fois, faire et aller.
Il faisait jour, grand jour, toute la pièce était éclairée. Le soleil devait être au plus haut. Mais jamais elle ne dormait ainsi ?
Elle était seule au bord de la couche.
Mais elle l’entendait.
Il était là.
Le chemin de retour parut très court, tant elles avaient parlé.
Milly était joyeuse.
Elle semblait être enlacée par le bonheur des Deux.
Lorsque la Princesse Cléa fut face à son miroir, elle y trouva une nouvelle image.
Elle n’avait jamais été aussi belle.
Elle n’avait jamais été une Femme.
Et juste deux lunes ensuite, il était sûr qu’elle portait en elle une vie.
Cet enfant que les faiseurs de rêves lui avaient montré.
Dans sa pièce à objets du passé, resplendissante comme elle ne l’avait jamais été, elle décida qu’elle aussi elle laisserait sa fille, une nouvelle Princesse, découvrir seule que le mal n’est autre que le bien, et que les nouvelles Princesses n’apparaissent que si elles reconnaissent celui dont elles ne peuvent s’éloigner.
Comme il n’y avait pas de mot connu pour conter son histoire, la Princesse Cléa décida que sur son domaine, maintenant, ses gens auraient à dire cette nouvelle musique :
« Je t’aime, toi, pour l’Amour »
2047
– Bonne nuit ma fille adorée, il faut dormir maintenant.
– Maman, c’est vrai qu’avant c’était les garçons qui devaient trouver leur amoureuse ?
– C’est ce que raconte grandma. Etelle dit qu’ils choisissaient toujours mal.
– Et la princesse Cléa, elle a vraiment existé ?
– J’espère ma fille, en tous cas moi j’y crois. Tu demanderas à ton père.
Maintenant dodo Princesse.
Editions PIECK et Fils Paris, Mai 2047. Collection « Les histoires pour petites filles qui grandissent ».