La scène du docteur et de la patiente
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La scène du docteur et de la patiente
La scène du docteur et de la patiente - Scène 1 - Acte 1.
LE DOCTEUR — Vous avez bien fait de venir.
LA PATIENTE — Qu’est-ce que je fais là ?
LE DOCTEUR— Et votre mère, qu’est-ce qu’elle pense de tout ça ?
LA PATIENTE — Qu’est-ce qu’elle pense de quoi ?
LE DOCTEUR— De vous, qui consultez un psychologue.
LA PATIENTE — J’imagine qu’elle me dirait que tout ça, c’est à cause de mon père et qu’elle n’a rien à voir avec tous mes problèmes. Je ne me souviens pas être entrée ici.
LE DOCTEUR— Et c’est vrai ?
LA PATIENTE — Oui je n’ai pas le souvenir d’avoir pris rendez-vous chez vous.
LE DOCTEUR— Je parle de ce que raconte votre mère. Vous avez des relations troublées avec votre père ?
LA PATIENTE — Non… enfin j’imagine qu’on a tous plus ou moins de traumatismes à cause de nos parents. Mais sérieusement, je n’ai aucune idée de qui vous êtes !
LE DOCTEUR— Vraiment ? Des lunettes sur le bord du nez, un carnet, un crayon, un sofa. Ça ne vous donne pas d’indices ?
LA PATIENTE — Est-ce que je suis folle ?
LE DOCTEUR— C’est à vous de me le dire
LA PATIENTE — Si vous êtes mon psy, comme vous le sous entendez, ce n’est pas plutôt à vous de me le dire ?
LE DOCTEUR— Je ne sous-entends rien. Est-ce que vous pensez que je suis votre psy ?
LA PATIENTE — Mais vous l’avez dit !
LE DOCTEUR— …
LA PATIENTE — J’ai dit « qu’est-ce qu’elle pense de quoi ? » et vous m’avez dit, « de vous, qui consultez un psychologue » et ensuite vous me parlez de divan. Un divan ça sous-entend toujours un psy.
LE DOCTEUR— Vous m’avez l’air d’avoir une bonne mémoire, pour quelqu’un qui ne sait pas ce qu’elle fait ici.
LA PATIENTE — Vous pensez que je fais semblant de ne pas savoir ce que je fais ici ?
LE DOCTEUR— Je ne pense rien du tout. À vous de me le dire.
LA PATIENTE — J’étais en terrasse avec une amie. Elle m’a demandé si un jour je pensais aller consulter un… thérapeute. J’ai dit « jamais de la vie ». Je lève les yeux, j’atterris ici et vous me dites « vous avez bien fait de venir ».
LE DOCTEUR— Oui, et je le pense. Vous avez bien fait de venir.
LA PATIENTE — J’ai envie de vomir.
LE DOCTEUR— Oui, je fais souvent cet effet aux femmes.
LA PATIENTE — Quoi ?
LE DOCTEUR— C’était de l’humour. Les toilettes sont à côté.
LA PATIENTE — Non. Merci, mais ça ira.
LE DOCTEUR— Vous n’avez plus envie de vomir ?
LA PATIENTE — Est-ce que je vais devoir vous payer à la fin ?
LE DOCTEUR— Vous pensez que les psys sont bénévoles ?
LA PATIENTE — Je ne sais pas ce que je fais là.
LE DOCTEUR— Vous avez bien fait de venir.
LA PATIENTE — Arrêtez. Arrêtez ! Arrêtez de répéter ça sans arrêt. Je… ne sais pas ce que je fais là…
LE DOCTEUR— Vous aussi, vous vous répétez.
Elle se lève et s’avance.
LA PATIENTE — Eh ! Qui vient de parler ?
LE DOCTEUR— Moi. J’ai dit « vous aussi, vous vous répétez. »
LA PATIENTE — Non, j’ai entendu autre chose.
LE DOCTEUR— …
LA PATIENTE — Montrez-moi votre carnet
LE DOCTEUR— Calmez-vous.
Elle fait les 100 pas dans la pièce.
LA PATIENTE — Encore cette voix !
LE DOCTEUR— Vous entendez une voix ?
LA PATIENTE — Peu importe. Montrez-moi le carnet. Je veux connaitre le début de notre entretien ! Je veux savoir si je suis folle. Si je suis dans un asile. Si tous les jours je me lève pour faire semblant de vivre alors qu’en vérité je suis folle et enfermée avec d’autres fous. Et vous. Vous. Vous savez qu’on fait tous semblant, mais vous nous laissez dans notre illusion pour que la réalité ne nous fasse pas de mal.
LE DOCTEUR— Je suis très flatté que vous me croyiez capable d’une telle influence sur un asile entier. Mais voyez-vous, si j’ai choisi la psychologie, c’est pour éviter d’interagir avec plus d’un humain à la fois. Asseyez-vous maintenant.
Elle s’arrête et le fixe.
LA PATIENTE — …
LE DOCTEUR— Asseyez-vous.
LA PATIENTE — Est-ce que c’est vrai, est-ce que je suis folle ?
LE DOCTEUR— Qu’est-ce qu’un fou ? Quelqu’un qui ne suit pas la norme. Et si la norme était inventée par des fous ? Est-ce qu’être normal dans le monde des fous c’est être fou ?
LA PATIENTE — Est-ce que je suis dans un asile psychiatrique ?
LE DOCTEUR— Vous regardez trop de films.
Elle s’affaisse, se laisse tomber et s’enfonce dans le canapé en cuir.
LA PATIENTE — Un canapé ? ce n’était pas un divan ?
LE DOCTEUR— Un divan, un canapé, ce n’est pas si différent. Les gens comprennent, ils ont l‘image.
LA PATIENTE — Ah donc vous l’entendez aussi.
LE DOCTEUR— Quoi donc ?
LA PATIENTE — La voix.
LE DOCTEUR— Parlez-moi donc des voix que vous entendez.
LA PATIENTE — Je suis perdue. Je ne sais pas ce que je fais là.
LE DOCTEUR— Vous avez bien fait de venir.
LA PATIENTE — …
LE DOCTEUR— Comique de répétition.
LA PATIENTE —Pour utiliser le terme comique, il faut que ce soit drôle.
LE DOCTEUR— Hm. Public difficile.
LA PATIENTE — …
LE DOCTEUR— Vous savez, si vous répondiez normalement à mes questions, la scène serait finie depuis longtemps déjà.
LA PATIENTE — La scène ?
LE DOCTEUR— Oui. La scène du psychologue.
LA PATIENTE — Donc c’est une caméra cachée ? Ha ha ha je le savais ! C’est tellement évident ! Mais comment vous avez fait pour m’amener ici ? Vous m’avez endormie ? Franchement, c’est très limite comme caméra cachée, j’ai failli avoir une attaque de panique parce que je pensais sincèrement que j’étais folle. Une minute de plus et je vous aurai demandé de m’enfermer. Surtout que depuis quelques jours, ça ne va pas très bien… Ça passera sur quelle chaine ? Ah mais c’est sur YouTube sans doute, alors il faudra me dire si …
LE DOCTEUR— Ce n’est pas une caméra cachée.
LA PATIENTE — Me dire si… si… si… heu… quoi ?
Elle pâlit. Elle était déjà si pâle à l’origine que sa blancheur maintenant en devient presque inquiétante.
LA PATIENTE — Eh oh je n’ai pas eu de vacances cet été et on n’a pas tous les moyens de se faire bronzer.
LE DOCTEUR— Vous payez cash ou par chèque ?
LA PATIENTE — Attendez… attendez. C’est déjà fini ? J’allais très bien. Très bien et…
LE DOCTEUR— Ce n’est pas ce que vous venez de me dire
LA PATIENTE — …et j’ai passé 5 bonnes minutes ici avec vous et j’ai l’impression d’être dans un remake de Shutter island. Vous ne pouvez pas m’abandonner comme ça…
LE DOCTEUR— Semaine prochaine, même endroit, même heure ?
Sa voix tremble, ses yeux s’humidifient.
LA PATIENTE — Mais… je ne comprends pas…
Elle met sa tête dans ses mains pour cacher ses larmes.
LA PATIENTE — Qu’est-ce que j’ai fait, où je vais, …
LE DOCTEUR— Oh je ne suis pas un grand fan d’Amel Bent.
LA PATIENTE — Quoi ?
LE DOCTEUR— Je vous raccompagne jusqu’à la porte
Elle se lève. Elle a un regard cerné, plein de désespoir. J’aimerai vous dire qu’elle ressemble à un petit chaton désespéré, mais on est plus proche ici du bulldog en manque de Xanax.
LA PATIENTE — OH TOI CA VA !
Ok je le mérite celui-là.
LE DOCTEUR— Allez à la prochaine scène. Tout ira mieux. Pour l’effet de drame, vous pouvez sortir d’ici les larmes aux yeux. Mais l’histoire doit continuer.
LA PATIENTE — Pourquoi je ne me souviens pas du début de la consultation ?
LE DOCTEUR— Parce que ce n’est pas important pour le lecteur. Ne l’embêtons pas avec des formalités, des échanges de politesse, des regards gênés entre patients dans la salle d’attente, et des conversations improvisées dans l’ascenseur, qui personnellement me mettent mal à la l’aise.
LA PATIENTE — Vous devriez aller voir un psy.
LE DOCTEUR— Ce n’est pas un problème, j’ai une deuxième personnalité à qui je parle tous les soirs.
LA PATIENTE — …
LE DOCTEUR— Humour de psy. Mais je vois que je vais encore devoir attendre un peu avant de faire mon one man show.
Il sort son carnet, tourne quelques pages, s’arrête sur l’une d’entre elles et barre au stylo une phrase qui semble être le trait d’humour qu’il vient de tenter. Dommage, je l’aimais bien. Il range son carnet.
LA PATIENTE — Mais sérieusement ? Je suis dans une histoire ?
LE DOCTEUR— Allez dire à la personne qui est en train de nous lire qu’elle n’existe pas, quelle crise existentielle vous allez lui causer ! Oui, c’est une histoire. Mais nous ne sommes pas censés franchir le mur entre le lecteur et nous.
LA PATIENTE — Et donc, le lecteur se fiche du début de mon histoire, de comment je suis arrivée ici ?
LE DOCTEUR— Le lecteur veut juste lire une histoire qui le rassure, parce qu’il n’a pas à la vivre. D’ailleurs cela fait sans doute des mois qu’il se dit lui-même « et si j’allais consulter un psy ? ». Il vit par procuration, se sent conforté en voyant que vous paniquez dans une situation où il paniquerait. Il relativise, se satisfait de voir le chaos de la vie de quelqu’un d’autre pendant quelques secondes. Et oublie un peu la sienne.
LA PATIENTE — Comment l’histoire se termine ?
LE DOCTEUR— Je ne sais pas, mais à votre place, je serai plus aimable avec le narrateur.
Hm. A suivre.