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L'Ondine de Morimont 

L'Ondine de Morimont 

Veröffentlicht am 11, Sept., 2020 Aktualisiert am 11, Sept., 2020 Kultur
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L'Ondine de Morimont 

L’ONDINE DE MORIMONT

 

La belle Mathilde avait le cœur tout chargé de tristesse. Son chevalier Peter guerroyait au lointain alors que son ventre était rond d’un enfant à venir. Elle allait chaque jour s’asseoir près d’une source qui courait sur leurs terres à l’ombre des noisetiers. Son eau était si pure et si argentée, qu’elle semblait communiquer sa paix tranquille à qui s’arrêtait là. 

Un jour, en arrivant, Mathilde y trouva une dame très douce et souriante. Elle était toute vêtue de dentelles vertes et blanches qui rappelaient vraiment les lichens, les feuilles, les écumes mousseuses des cascades et les givres pointus des forêts d’hiver. Mathilde trouva la femme très belle et surtout étonnante. Et de fait elle l’était. « Je suis l’ondine, gardienne de la source, fais-moi marraine de la fille que tu portes » Puis elle fila dans l’eau comme par une porte, dans sa robe tissée de lichens et de mousses.

Mathilde rentra au château, éblouie par cette somptueuse visite et bien décidée à dédier sa fille à l’ondine. Elle accoucha bientôt, souffrit peu, l’enfant était fille, bien rose et les yeux bleus. L’accoucheuse, qui n’avait jamais si vite travaillé, se retira, surprise. Une servante posa la petite au berceau, toute habillée de lin fin et bien blanc. Plus tard, dans la pénombre brune de la chambre, la mère, les yeux fermés, écoutait le souffle court et régulier de son enfant. Soudain une main prit la sienne. C’était l’ondine, avec ce même sourire, cette douceur, cette même robe aussi. Elle regarda la petite et posa un présent. C’était une pomme.
« Tu lui donneras cette pomme quand elle sera grande et sache qu’elle comblera trois de ses vœux. »

Mathilde appela sa chère fille comme elle-même. A quelques temps de là un messager arriva au château et qui portait des nouvelles du chevalier : il se mourait là-bas, sur le champ de bataille, mortellement blessé. Sa dame foudroyée, tomba morte aussitôt. 

Pourtant Peter ne mourut pas cette fois-là. On frôle parfois la mort sans la suivre. « Ce n’était pas son heure » dit-on alors, de celui qui revient. Peter revint, fit la connaissance de son enfant, petite orpheline blonde que les nourrices entouraient de leur mieux et la connaissance aussi de la poignante solitude du deuil. 

Quant à la pomme elle était dans un coffre, perdue au milieu des affaires de l’épouse morte. Le fruit était un peu moins luisant, un peu moins ferme, mais il n’avait rien perdu de sa magie…

Il n’est peine qui ne s’émousse. L’abstinence cependant rend les hommes naïfs et le retour des plaisirs fait perdre la jugeote. La nouvelle épouse de Peter était bien faite, bien mise, bien enjouée mais antipathique et très jalouse. Elle brûla toutes les affaires de l’ancienne épouse et, trouvant la pomme, elle haussa les épaules et la jeta dans la cour du château. La petite qui y jouait la ramassa et se mit à la lancer comme une balle. Mais la pomme roula et tomba dans la source. Aussitôt l’ondine y apparut, souriante et douce, et joliment vêtue. L’enfant était ravie de voir cette belle dame et de lui entendre une voix de maman.
« Reprends ta pomme, mon enfant et surtout garde-la bien. Je suis ta marraine. Un jour ce fruit exaucera trois vœux pour toi, n’oublie pas ! » Puis elle disparut dans l’eau sans faire le moindre bruit comme font les rêves qui s’éteignent. 

La petite cacha le fruit comme un trésor secret et ne parla à personne ni de la dame ni des souhaits. Il y a une sagesse de l’enfance. 

Quelques années plus tard le château fut pris et brûlé. Tous y périrent sauf la petite Mathilde qui réussit à s’enfuir, emportant sa chère pomme dans un foulard noué. Elle devint servante dans un autre château et la pomme soigneusement rangée dans ses rares affaires était ridée et si rapetissée que la croire magique devenait ridicule. Et Mathilde avec le temps se disait que l’ondine était peut-être, sûrement, une illusion d’enfant. On pense cela souvent. Son travail terminé, elle montait à une échelle et filait au grenier où était sa paillasse. La pomme était cachée dessous, à peine grosse encore comme une noix et presque sans couleur. Mais celui qui se fie aux apparences est un vrai sot. 

Un jeune chevalier de ce château, désirant se marier, annonça une grande fête, invita les jeunes filles. Mathilde se prit à rêver. Ce chevalier, elle l’avait tant de fois remarqué, mais comment aller à ce bal en haillons de servante ? Ce soir-là au grenier l’ondine lui revint en mémoire, sa voix, sa robe, la pomme. La pomme… elle la sortit de dessous sa paillasse, la trouva terriblement réduite, la prit pourtant dans ses mains et avec un grand respect elle chuchota : « Je voudrais une robe juste faite pour moi… ! » Aussitôt sur le matelas de paille apparut une robe aussi incroyable que l’avait été la robe de l’ondine dont Mathilde se souvenait fort bien. Frappant des mains, sautant de joie, la jeune fille l’enfila… eh bien c’était du sur-mesure, comme ni vous ni moi n’en avons jamais vu ! Du voile vert lichen, des perles végétales, du lin fin et mat, des boutons de cristal, des petits plis rangés comme aux fraises royales, des soies douces et moirées, une beauté, un régal, je ne saurais tout dire… Elle fit son effet et c’est peu dire. Chacun dans son geste s’arrêta net, le chevalier surpris, ravi, ébloui, se dit : « C’est elle ! » Et c’était bien ça. 

Ils dansèrent en silence. Autour d’eux les bouches se taisaient, même les pieds frôlaient à peine le parquet, l’émotion était grande. 

A minuit on entendit une horloge tinter, le silence creva comme une bulle de savon : la belle avait disparu. Le chevalier en fut si désolé qu’il annonça une deuxième fête pour le lendemain. Peut-être viendrait-elle, cette femme rêvée dont il ne savait rien. 

Le lendemain dans son grenier Mathilde chuchota sa demande une seconde fois au fruit minuscule et ridé. Une robe apparut, toute différente, mais aussi remarquable. Du voile rouge grenat et des perles de pluie, du taffetas fripé et des boutons vernis, un peu de velours noir et des plumes de pie, de paon, de geai, d’oiseau de paradis,  je ne saurais tout dire… Elle fit son effet et c’est peu dire. Le chevalier lui offrit une bague, étrangement assortie à la robe et au doigt ! Encore une fois c’était du sur-mesure ! Ils dansèrent à nouveau, les bouches se taisaient, les pieds frôlaient à peine le sol, l’émotion était grande. A minuit on entendit tinter l’horloge. Le silence creva comme un songe… la belle avait disparu !

Le chevalier, cette fois inconsolable, tomba dans une langueur qui le fit malade à mourir. Tous les médecins, les guérisseurs, les charlatans coururent à son chevet, mais aucun ne possédait même l’ombre de la science qu’il fallait pour le guérir. 

Mathilde dans sa chambre de grenier se faisait du mouron. Alors elle descendit dans les cuisines et fit une tisane (les filleules d’ondine ont un savoir inné de recettes très fines). Elle prit un gobelet de grès, posa la bague au fond et puis versa dessus la mixture chaude et dorée qu’elle fit porter au chevalier. En buvant la tisane, il trouva la bague, appela toutes les filles des cuisines, bien sûr Mathilde était là. Il vit le nez, les yeux, la bouche, même sans la robe il reconnaissait cela. Elle rougit et avoua. Il sourit et comme il se sentait soudain très bien, on le déclara guéri. Ils s’épousèrent. 

Et c’est souvent ainsi qu’un conte se termine, mais celui-ci, pardon, a un rebondissement car ce chevalier avait une mère, beaucoup en ont, mais celle-ci n’était pas bonne. Elle détesta Mathilde dès le premier regard et chercha longuement comment briser le mariage, qui était fort heureux, car de jeux d’amour en jeux de lit, en jeux de vie, un bébé arriva, rose, joufflu et tendre. La vieille, qui était femme, voulut faire l’accouchement. Aucun fils ne s’oppose à une telle attention. La naissance terminée, Mathilde, délivrée, fit comme nous faisons toutes : somnoler un peu, enfin, délicieusement. La vieille alors se pencha vers le berceau tiède, prit le bébé dans ses mains et posa à sa place le petit, noir et tordu, d’une quelconque bête misérable. Puis elle jeta l’enfant par-delà le vitrail, aux douves du château où il s’enfonça sans résistance. 

Le rejeton noir et tordu dans le berceau souleva l’horreur au château. « Cette mère est sorcière, disait-on, elle a porté au jour un fils de Satan, ébouillantons-la et tuons cet enfant ! »

On tua sans égards la pauvre bête noire et Mathilde fut traînée au-dessus du baquet fumant, elle cria là son troisième souhait. « Que vienne l’ondine ! » Et la dame apparut, gracieuse sur le rebord du baquet, le bébé rose joufflu et tendre dans ses bras et qui n’était pas plus noyé que vous et moi. 

Le chevalier découvrit qui était sa propre mère et ne pardonna pas. 

Mathilde et son beau chevalier et tous les enfants qui leur vinrent encore eurent une vie grande et forte, comme elle vient parfois à ceux qui ont beaucoup vécu. 

On dit que ce sont ces deux-là qui s’installèrent plus tard dans le village de Rixheim, pour diriger de leur sagesse le Haut-Sundgau durant des générations et des générations et des générations…
 
la la lère la la li l’eau du baquet est refroidie,
la la lère la la li et mon histoire est finie.
(Histoire extraite de CONTES ET LÉGENDES D'ALSACE - Patricia Gaillard - éditions de Borée - 2010)

la gaillarde conteuse 

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