Questions Existentielles
Auf Panodyssey kannst du bis zu 30 Veröffentlichungen im Monat lesen ohne dich anmelden zu müssen. Viel Spaß mit 28 articles beim Entdecken.
Um unbegrenzten Zugang zu bekommen, logge dich ein oder erstelle kostenlos ein Konto über den Link unten.
Einloggen
Questions Existentielles
Une aventure d'Aristide & Mérédyth
— C’est quoi des toilettes non genrées ?
Mon père leva les yeux de son journal et baissa ses lunettes de lecture sur son nez pour mieux me voir. Considérant un court instant la question, il adressa un regard à ma mère qui lui apportait son café avant de me répondre :
— Et bien, je dirai que ce sont des toilettes mixtes. Où as-tu vu cela ?
— Dans l’annonce d’un Osthéopathe. Il se présente comme LGBT friendly, avec des toilettes non genrées.
— Intéressant…
Chez mon père, cette réplique est toujours lourde de sens. Il en dégage une sorte de condescendance à la fois bienveillante et ennuyée dont il gratifie avec flegme tout ce qui ne trouve pas faveur à ses yeux. Ça en a déjà fermé le clapet à plus d’un, même parmi les spécimens des plus excités que compte notre premier quart de vingt-et-unième siècle. J’espère un jour atteindre ce niveau de perfection.
— Les toilettes mixtes, ce sont bien des toilettes qui ne sont pas réservées aux messieurs et aux dames ?
— C’est bien ça.
— Dans ce cas, pourquoi ne dit-il pas “toilettes mixtes”, tout simplement ?
— Peut-être parce que “toilettes non genrées”, ça fait LGBT friendly ? risqua Mérédyth qui levait le nez de son puzzle pour s’intéresser à la discussion.
— Et c’est quoi au juste, LGBT friendly ?
— Et bien, comment vous expliquer ça simplement ?… Ça veut dire qu’il souhaite attirer une clientèle d’hommes qui veulent être des femmes et de femmes qui veulent être des hommes.
— Comme les messieurs qui se déguisent en femmes moches pour faire la lecture dans les écoles ?
— Oui, des gens comme ça.
Nous avions déjà parlé des drag queens. Notre cousin en a eu dans son école. Heureusement, le directeur de notre école nous a assuré qu’il n’y en aura pas chez nous. Parce que je n’ai pas très envie d’en voir de près.
— Est-ce qu’on peut en déduire qu’il compte sur l’effet de mode plutôt que sur ses compétences pour attirer sa clientèle ? demandais-je encore.
— On peut éventuellement en déduire cela.
— Tu te poses trop de questions, Aristide. De toute façon, tu n’iras jamais chez ce médecin, lança ma soeur.
— Il n’est pas médecin, il est Osthéopathe. Il prend ton corps pour le tordre comme une poupée de chiffon et fait craquer tout ce qui peut craquer !
— C’est ce que je dis. Tu n’iras jamais.
— Surtout s’il n’est pas très compétent, répliquais-je avec suffisance.
En effet, du haut de mes neuf ans, un jugement simple et tranché me convenait. Et juste histoire de chasser l’ennui qui me gagnait, je changeais aussitôt de sujet pour m’intéresser aux lunettes de notre père.
Ce bon père de famille d’une autre époque se montre irrémédiablement réticent aux verres progressifs qu’il qualifie de “verres à double foyer”. Maman dit que c’est son petit côté béotien. Il jongle donc avec une paire “de loin” et une paire “de près”, généralement retenue autour de son cou par une chainette. Cette dernière lui confère un look terrible, lorsqu’il traîne en robe de chambre par dessus son pantalon et sa chemise, le dimanche.
— Père, on fait des lunettes pour voir de près. Et des lunettes pour voir de loin.
Il ferma les yeux, se rejeta en arrière dans son fauteuil et inspira profondément.
— Et on ne fait pas des lunettes pour voir moins loin ?
Mon père huma l’air, ouvrit doucement les yeux.
— Quel est donc ce nouveau maléfice qui embaume toute la maison depuis la cuisine ?
— Des cookies ! s’écria Mérédyth avant de se précipiter dans la cuisine.
La sorcière des sablés venait encore de frapper. Et mon père en profitait pour éluder la question. Mais je n’en resterai pas là.
Photo de Couverture : Daniel Muriot, collection privée - tous droits réservés