Paris, un soir de novembre 1938. Le crépuscule baignait la capitale d’une lumière orangée, projetant des ombres longues et inquiétantes sur les façades haussmanniennes. La ville lumière, agitée et toujours en tension, semblait ce soir retenir son souffle face aux incertitudes menaçantes pesant sur l'Europe.

Un homme en manteau sombre remontait les Champs Élysées d’un pas vif. Arrivé devant l'immeuble discret du 16 avenue Wagram à deux pas de l'Arc de Triomphe, il rentra sous un porche et montra une carte à la concierge qui était devant sa loge. La femme hocha la tête et lui indiqua l'escalier.

L’inconnu gravit rapidement les étages et arriva devant une porte où s'affichait une plaque dorée : Centre Spiritualiste de Paris – G. Zaepffel. Il frappa trois coups secs. La porte s’ouvrit rapidement sur une petite femme mince, drapée dans une longue robe blanche qui lui donnait l'apparence d'une druidesse des temps antiques. Geneviève Zaepffel, prophétesse et médium réputée, lui fit signe d’entrer. La pièce était ornée de tentures pourpres, de chandeliers aux bougies vacillantes, d'un grand miroir et d’étagères avec des livres anciens. Au centre de la pièce une table ronde d'aspect médiéval trônait avec quelques chaises en bois aux motifs étranges. Sur un guéridon de style empire orné de têtes de lions dorées, des lettres manuscrites s'étalaient ainsi qu'une pile du dernier ouvrage de Geneviève Zaepffel "Le livre de mes prophéties : 1938 année décisive".

-Vous avez bien fait de venir ce soir, monsieur Fournier. Asseyez-vous je vous en prie, si je vous ai demandé de venir rapidement c'est qu'il se passe quelque chose de grave...

L’agent du contre-espionnage français, s’assit en regardant cette femme qui la fascinait à chacune de ses rencontres, tant sa présence était impressionnante malgré sa petite taille. Geneviève Zaepffel n’était pas seulement connue pour ses visions spectaculaires qui attiraient la foule en transe lors de ses conférences à la salle Pleyel. Elle était aussi réputée pour être en contact avec des figures politiques influentes de toute l’Europe et des États-Unis.

-Nous sommes au bord du chaos, monsieur Fournier.

-La situation devient critique en effet, reprit Fournier. Contrairement à ce que pensent certains, Hitler n’hésitera pas à mettre d'ici pas longtemps, l’Europe à feu et à sang.

Geneviève se pencha légèrement en avant. Une mèche de ses cheveux argentés, en contraste avec son visage encore jeune, glissa sur son épaule. Le regard de la voyante se perdit un instant dans le vide.

-La guerre est inévitable, annonça-t-elle calmement. Mais ce n’est pas cela qui doit vous inquiéter. Il y a quelque chose de plus… important en jeu. Quelque chose qui se joue dans l’ombre.

Fournier se raidit. Il avait entendu parler de certaines relations douteuses de la voyante avec certains dirigeants nazis qui faisaient des recherches sur les civilisations anciennes pour justifier leur doctrine, et il se méfiait des révélations ésotériques qui pourraient l'amener sur un terrain glissant. 

-Vous parlez de complots politiques, madame Zaepffel ?

Geneviève esquissa une moue dédaigneuse.

-Les complots ne sont rien comparés à ce qui se prépare. Il y a des forces que ni vous, ni moi, ni même les dirigeants de cette époque ne peuvent contrôler. Des forces obscures qui influencent déjà l’Europe, et plus précisément… la France.

Elle se leva et se dirigea vers une bibliothèque situé dans un coin sombre de la pièce. D’un geste précis, elle tira un livre et l’ouvrit. À l’intérieur, une carte de l’Europe y était soigneusement roulée. Elle la déplia devant l’agent et lui désigna plusieurs points marqués en rouge.

-Ce sont les lieux où « ils » agissent. Berlin, Vienne, Prague, Paris… et Brocéliande.

-La forêt de Brocéliande ? s’étonna Fournier. Que peut-elle bien avoir à voir avec…

-C’est un lieu de pouvoir, murmura-t-elle. Un lieu où le passé et le présent se rencontrent. Les Allemands le savent. Hitler a déjà envoyé des émissaires là-bas. Ce qu’ils cherchent, ce n’est pas de l’or ou un trésor. Ils cherchent… un savoir ancien pour réveiller des forces qui sont retenues depuis des millénaires. Un secret qui pourrait leur donner un avantage décisif dans le conflit à venir mais qui pourrait tous nous anéantir ..

Fournier fronça les sourcils. L’idée d’un secret capable d’influencer la guerre pouvait paraitre absurde, mais il avait appris à ne pas sous-estimer les croyances des nazis en matière d’ésotérisme. Les services de renseignement avaient intercepté de nombreux rapports étranges sur les expéditions occultes de Himmler et d’autres dignitaires du régime. Il ne pouvait s’empêcher de ressentir un frisson devant les révélations de cette femme étrange, sorte de pythie moderne.

-Que dois-je faire ? demanda-t-il la voix tendue.

Geneviève lui tendit un mince dossier, cacheté par une cire noire.

-Prenez ceci. À l’intérieur, vous trouverez des noms, des lieux et… certaines prédictions. Lisez les et remettez-le à vos supérieurs. Dites-leur que le destin de la France n’est pas uniquement entre les mains de ses généraux, mais aussi entre celles de ceux qui contrôlent le passé et l'avenir.

Elle se redressa, le regard rivé sur lui, comme si elle voyait au-delà de sa silhouette tendue.

-Et vous, monsieur Fournier, vous ferez bien d’être prudent. Dans l’obscurité, il est facile de se perdre et ce qui semble être la lumière salvatrice n’est parfois qu’un feu destiné à vous brûler.

Le silence retomba dans la pièce, lourd de présages funestes. Fournier fit un effort sur lui-même pour se lever ; il rangea le dossier dans sa sacoche et inclina légèrement la tête.

-Merci, madame Zaepffel.

-Nous nous reverrons, murmura-t-elle. Et peut-être plus tôt que vous ne le pensez.

L’agent quitta le Centre Spiritualiste, une étrange sensation nouée à son estomac. Derrière lui, Geneviève Zaepffel replia la carte et murmura quelques mots dans une langue inconnue.