

Nouvelle "Les habits et les saisons" pour le concours estival "Renaissance"
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Nouvelle "Les habits et les saisons" pour le concours estival "Renaissance"
Les habits et les saisons
Elle range ses habits d’été. Toujours à la Toussaint. Avec ce ciel gris, ces premières pluies, cette température qui a fraîchi tout à coup ‒ ils viennent de mettre le chauffage ‒ elle ne peut plus s’imaginer les jambes à l’air, orteils visibles, aisselles dans le vent, quelle incongruité.
Elle monte chercher dans la penderie de l’étage ses tenues d’hiver. Elle essaye un par un ses pulls à col roulé, les mailles serrées, les velours épais. Elle s’en enveloppe avec volupté. Chaque fibre la ramène à une vie plus lente.
Ça lui paraît naturel d’être ainsi, incarnée dans ce nouveau corps et ce nouveau look, accompagnée d’un nouvel état d’esprit. Elle est entrée dans l’automne, aussi sûrement que d’autres entrent en religion.
Elle se prépare à l’appel de l’hiver, aux six mois tranquilles et feutrés de cette vie-là, dans les matinées tardives et les soirées précoces. Elle prend la teinte du temps avec ces couleurs rassurantes et s’accorde aux saisons avec sagesse. L’automne est la saison qu’elle préfère.
Et puis, un jour, prise d’une impulsion soudaine ‒ c’est toujours à Pâques que ça se passe ‒, elle redescend de la penderie ses habits d’été et remonte ceux d’hiver, prêts pour leur hibernation estivale.
Elle choisit, elle élimine, elle ajoute. Du neuf, en quantité raisonnable. Enfile ses tenues une par une. Ça peut l’occuper un jour entier, ou deux dans le jeu infini des combinaisons.
Elle change de peau. Elle renaît. Redécouvre avec ivresse lors de cette mue printanière ses jambes dénudées, ses épaules offertes, la courbe de ses bras. Elle ne porte que quelques grammes de vêtements sur la peau. Elle se déploie dans la lumière, les gestes fluides. Sa peau respire sous l’insolence du coton frais, sous la caresse rêche du lin. Les couleurs sont à l’image de la saison sur le point d’éclore : blanc, rose et bleu.
Elle rit presque en jetant au loin les manteaux noirs, les gilets qui sentent le vieux, les mâchoires sombres des pulls lourds. Elle ne peut plus se cacher sous ces oripeaux d’hiver, s’enfouir dans la torpeur animale de la laine, hiberner sous le gris arctique des polaires. Tout ceci n’a aucun sens, ce n’est pas d’elle dont il s’agit.
L’automne et sa triste conséquence, l’hiver, n’existeront plus jamais, elle en est sûre. Ce printemps sera éternel, et l’été le prolongement logique de cette éternité. Toute une vie se prépare et se promet en six mois, qui valent six ans ou même soixante, à ce stade de l’existence. Le printemps est la saison qu’elle préfère.
Elle est autre. Elle est sa symétrique, son reflet dans le miroir. Non, c’est faux ! Chaque fois, c’est elle l’originale, la vraie, l’authentique. L’autre n’est que la copie, celle qui ne sait pas vivre, celle qui est toujours en décalage et ne comprendra jamais rien à rien.
Et tous les six mois, comme mû par une minuscule aiguille, le cadran se renverse et le sablier se retourne. Elle pivote sur elle-même, statuette au sommet du gâteau d’anniversaire. Son autre moi prend les commandes, et ‒ c’est bien là le plus important ‒, ce moi-là a toujours raison, quelle que soit la saison traversée.
Isabelle Créac'h

